Bien que résidant à Memphis (Tennessee) jusqu'à la fin de ses jours en 2005, Shelby Foote est né à Greenville dans l'État du Mississippi le 17 novembre 1916. Sa famille paternelle, originaire de Virginie, appartient à la classe des grands planteurs: Hezekiah William Foote, l'arrière-grand-père, possédait quatre vastes domaines — Mounds, Egremont, Hardscrabble, Mount Holly — et plusieurs centaines d'esclaves. Opposé à la sécession, il n'en servit pas moins dans l'armée confédérée avec le rang de colonel et prit part à la bataille de Shiloh. La génération suivante, fut en la personne de son fils, Huger Lee Foote, moins brillante: le goût du jeu aidant, la fortune familiale fut rapidement dilapidée et Mount Holly, la dernière des quatre plantations, vendue en 1908, époque à laquelle les Foote s'installèrent à Greenville.
Le grand-père maternel de l'auteur, Morris Rosenstock, venait en revanche d'un tout autre milieu et d'un autre continent. Juif viennois établi dans le Delta vers 1880, probablement pour échapper à la conscription dans son pays natal, il fut employé comme comptable dans une plantation du Mississippi et épousa la fille du propriétaire, exploit qui, étant donné la mentalité de l'époque et l'esprit de caste des planteurs, laisse aujourd'hui encore son petit-fils aussi perplexe qu'admiratif. Morris Rosenstock accumula une assez belle fortune, réduite à néant par la crise de 1921. Entre-temps, la seconde de ses trois filles, Lilian, avait en 1915 uni sa destinée à celle de Shelby Dade Foote, le père de l'auteur.
Né en 1890, Shelby Dade Foote passa son enfance à Mount Holly et connut dans un premier temps la vie facile et insouciante des fils de bonne famille sudistes. Les revers de fortune de son père le contraignirent cependant à affronter des difficultés auxquelles ne l'avait guère préparé son enfance privilégiée. Il semble y avoir fait face avec une énergie et une capacité d'adaptation insoupçonnées: entré comme modeste employé chez Armour and Company sur la recommandation de son beau-père, il devait sept ans plus tard prendre la tête des filiales sudistes de cette société. Mais, en septembre 1922, à Mobile (Alabama) où il venait d'être muté et promu, cette réussite professionnelle fut brutalement interrompue par la maladie et la mort. Veuve avec un enfant de neuf ans, Lilian Rosenstock Foote dut à son tour faire face à l'adversité; d'abord employée à Pensacola par la société de son mari, elle se rapprocha ensuite de sa famille établie à Greenville et y trouva un emploi de bureau. C'est donc à Greenville que Shelby Foote passa ce qu'il est convenu d'appeler ses «années de formation»: entrée au collège, fréquentation de la famille Percy où régnait un stimulant climat intellectuel (Walker Percy, né en 1917, futur écrivain lui aussi, sera une sorte de mentor littéraire), découverte des classiques européens et américains, révélation marquante à travers Lumière d'Août du grand contemporain William Faulkner, premiers essais littéraires et publications dans le journal du collège, The Pica, sans oublier les autres «premières» que réservent — l'ordre étant indifférent —, la découverte de l'amour, du jeu, de la chasse, de l'alcool et, clôturant cette période décisive, l'admission à l'Université de Caroline du Nord en 1935. Somme toute, rien que de très normal et banal pour un jeune homme arrivant à maturité dans le Sud des années trente; rien non plus qui semble le prédisposer à embrasser la carrière littéraire hormis peut-être cette «extrême dévotion pour la lecture» où la romancière sudiste Eudora Welty voit la condition sine qua non de l'accès à l'Écriture. C'est d'ailleurs, un “signe” sur lequel l'écrivain arrivé se plaît à attirer l'attention de ceux qui l'interrogent sur sa vie.
En effet, issu d'une famille sans prétentions littéraires ou culturelles qui ne pouvait, à la différence des Percy ou des Faulkner, se targuer de compter parmi les siens un écrivain ou deux, S. Foote a donc suivi une voie originale et répondu à une vocation qui s'est très tôt manifestée, vers l'âge de seize ou dix-sept ans. C'est, au fond, un cas exemplaire du phénomène «d'interpellation du Sujet par la fiction», thème développé par Tournament, premier roman de l'auteur. Infatigable lecteur, l'étudiant S. Foote a plus assidûment fréquenté la bibliothèque de l'université que les salles de cours: si la course aux diplômes en a quelque peu pâti, l'accès à l'écriture s'en est trouvé par la suite grandement facilité. Grand connaisseur de la littérature classique américaine mais aussi européenne, l'auteur inclut dans son Panthéon personnel Charles Dickens, Thomas Mann, James Joyce, Gustave Flaubert, Marcel Proust, dont il a lu l'œuvre sept ou huit fois, et pour l'histoire, Thucydide, Burke, Gibbon et Michelet: on a vu pire parrainage. Les deux références constantes sont cependant Faulkner et Proust: le premier, pour lui avoir apporté «la jouissance de l'écriture» et le second, «la compréhension des êtres humains». C'est également Faulkner qui lui a permis de comprendre le fonctionnement de la «mécanique romanesque» et surtout cette vérité fondamentale que «la réalité à l'intérieur du roman peut être plus vraie que la réalité à l'extérieur du roman». Proust l'a convaincu que le style n'est pas simple maîtrise du langage mais aussi une façon de voir le monde, axiome fondamental que l'auteur reprend à son compte quand il affirme que «loin de se réduire à l'adjonction de fioritures, le style est à la fois une certaine qualité de regard et la manière dont un homme communique à autrui la qualité de son esprit». À Gustave Flaubert, autre modèle, S. Foote a emprunté la pratique consistant à lire à haute voix tout ce qu'il compose; chaque phrase passe ainsi par «l'épreuve du gueuloir» car, précise l'auteur, «il faut retrouver les rythmes de la parole dans ce que j'écris», parti pris facilité par la musicalité du parler sudiste. Il n'est donc guère surprenant que, comme maint prédécesseur, S. Foote ait commencé son apprentissage littéraire par la poésie, art vocal par excellence (R. Browning est son poète favori), mais il le reconnaît bien volontiers, «les bons poètes restent poètes», d'où il ressort que les autres peuvent, dans le meilleur des cas, faire de bons romanciers et d'excellents historiens. L'attention portée au rythme restera cependant un trait distinctif de l'écriture de S. Foote; on peut également y rattacher, autre signe particulier, l'influence de la musique — du jazz en particulier — sur ses écrits.
La nature très cosmopolite de ces influences littéraires est cependant contrebalancée par l'enracinement de l'homme et de l'œuvre dans le Sud, ce qui n'empêchera pas l'écrivain de transcender tout provincialisme ou régionalisme pour accéder sinon à l'universel du moins, selon la célèbre formule de William Faulkner, «aux vieilles vérités du cœur humain».
Quand l'auteur quitte l'université en 1937 avec pour tout viatique un solide bagage littéraire et quelques publications dans le Carolina Magazine, c'est pour se mettre à l'école du journalisme, qui fut pour maint écrivain américain — les précédents exemplaires étant S. Crane, Ernest Hemingway et Ring Lardner — école de vie et véritable atelier d'écriture. Il travaille donc comme reporter pour le Delta Star jusqu'en septembre 1939 où il s'engage dans la Garde nationale du Mississippi en attendant d'entrer dans le service actif. Période d'une double initiation: à la vie militaire tout d'abord et à l'écriture romanesque ensuite puisque c'est à ce moment-là qu'est composée la première version de Tournament, qui sera proposée à l'éditeur new-yorkais A. Knopf. L'œuvre, jugée trop expérimentale, sera retournée à son auteur avec le conseil de la laisser reposer quelque temps avant de la réviser. La guerre aidant, le manuscrit reposera en fait plus longtemps que prévu et ne sera publié qu'en 1949. Il y a en effet, en 1940, d'autres priorités que la création littéraire et S. Foote, démocrate convaincu, n'entend pas s'y soustraire: il est mobilisé dans l'artillerie et suit la formation des officiers. En 1942, il est envoyé en Irlande du Nord où il restera jusqu'en 1944. Le capitaine S. Foote y fait la rencontre de sa première femme, Tess Lavery (il en divorcera en 1946 et épousera, deux ans plus tard, Marguerite Dessommes dont il aura une fille, Margaret Foote. Second divorce en 1953 et troisième mariage en 1956 avec Gwyn Rainer, qui lui donnera un fils, Huger Lee Foote II). S. Foote est toujours en Irlande quand la vindicte d'un supérieur lui vaudra, pour un motif futile — falsification d'un titre de transport pour aller voir sa belle —, de passer en cour martiale et d'être cassé de son grade. Retour sans gloire à la vie civile; au bout de trois mois, passés à New York où il travaille pour l'agence Associated Press, S. Foote s'engage dans les Marines. Nouvelle période d'instruction suivie des préparatifs pour aller rejoindre les unités combattant en Europe, mais Hiroshima met fin au conflit avant que le simple soldat S. Foote ne s'embarque sur un Liberty Ship. Il est démobilisé après avoir passé près de cinq ans sous l'uniforme. À défauts de lauriers, l'auteur aura gagné une solide formation militaire dont l'historien saura se souvenir et faire bon usage quand il s'agira d'écrire les trois volumes de The Civil War.
De 1945 à 1947, S. Foote, revenu à Greenville, travaille quelque temps pour une station de radio et continue à écrire: quelques récits, notamment Flood Burial et Tell Them Goodby, sont publiés par le Saturday Evening Post, encouragement suffisant pour que leur auteur décide de se consacrer totalement à sa vocation d'écrivain. La littérature va désormais dominer sa vie, qui peut se diviser en deux périodes distinctes: la première, s'étendant de 1948 à 1953, est placée sous le signe du roman. En cinq ans d'intense activité créatrice vont paraître coup sur coup cinq œuvres: Tournament (1949), Follow Me Down (1950), Love in a Dry Season (1951), Shiloh (1952) et Jordan County (1954). La seconde période débutant en 1953 — année de son second divorce — est marquée par le passage capital de la fiction à l'histoire. Ce changement de registre s'accompagne d'un déplacement géographique puisque l'auteur s'installe définitivement à Memphis.
La transition se fera de façon inopinée; à la demande de son éditeur, S. Foote entreprend de rédiger une brève histoire de la guerre civile. Le contrat initial stipule que la longueur de l'ouvrage n'excédera pas 200.000 mots. Mais Foote n'a pas plus tôt commencé à écrire qu'il se rend compte que ce conflit aux proportions homériques ne peut se narrer que dans un ouvrage de semblables dimensions. Il demande donc à son éditeur de lui laisser le champ libre, proposition acceptée sur le champ. Sans le savoir, l'auteur vient de se condamner à vingt ans de labeur. Voilà l'écrivain prisonnier de son sujet et S. Foote, véritable forçat de l'écriture, aura produit au terme de sa peine en 1974 deux mille neuf cent trente quatre pages grand format soit près de deux millions de mots patiemment assemblés dans une œuvre qui mérite amplement le qualificatif de «monumentale» qui lui est communément associé. Il s'agit en effet d'un triptyque, The Civil War (Fort Sumter to Perryville, 1958; Fredericksburg to Meridian, 1963 et Red River to Appomattox, 1974) au sous-titre d'une éloquente et provocante concision: Récit (A Narrative), mais c'est là une déclaration de foi ou de principe fondamentale pour un auteur qui affirme, au grand dam des historiens de métier, que l'histoire étant essentiellement narration, il n'est aucune technique romanesque qui ne soit transposable à l'historiographie.
Après cette longue parenthèse, l'auteur renouera avec le roman: 1977 voit la publication de September September où l'expérience de l'ex-journaliste et de l'historien se combineront pour dresser un état des lieux sans concessions du Sud des années 60; c'est la dernière publication de l'auteur. La fin des années 70 et les années 80 sont essentiellement marquées par la traduction française de quatre romans: Tourbillon, L'Enfant de la fièvre (ou Les Cœurs de sable), Septembre en blanc et noir. S. Foote, le plus francophile des écrivains sudistes contemporains, vient plusieurs fois à Paris assurer la promotion de son œuvre auprès du public français: articles, interviews, émissions à la radio et rencontres diverses se succèdent à un rythme soutenu.
Avec le temps, l'auteur voit également se consolider sa position et sa réputation en son propre pays où, selon l'adage, nul ne saurait être prophète: Hollywood achète les droits de son dernier roman et les multiples commémorations par la presse, la radio, la télévision ou le cinéma de la guerre de Sécession (l'auteur est conseiller technique pour le film Glory retraçant l'épopée des régiments noirs) se traduisent par un regain d'intérêt pour cet événement capital. La parution de la trilogie en format de poche lui assure une plus large diffusion auprès du grand public et vaut à l'auteur une certaine notoriété en tant qu'historien alors que l'œuvre romanesque semble ne pas jouir de la même faveur. La situation est paradoxalement, mais de manière compréhensible, exactement l'inverse en France où, la trilogie n'étant connue que de quelques spécialistes, la réputation de l'auteur repose essentiellement sur ses romans.
Un septième roman — Two Gates to the City — dont les prémices remontent à 1953 n'a jamais vu le jour. Il semblerait que la légitime satisfaction et même fierté de l'écrivain devant l'œuvre accomplie ait quelque peu freiné sa volonté créatrice. Mais même incomplète, l'œuvre est suffisamment solide et respectable pour assurer à son auteur la réputation méritée d'un grand artisan de fictions et d'un talentueux serviteur de l'Écriture à laquelle il a voué sa vie.
Paul Carmignani,
mai 2021
Après des études aux universités de Perpignan, Montpellier, Paris VII (Institut d'anglais Charles V) et Paris III-Sorbonne nouvelle, Paul Carmignani, Agrégé de l'Université, Docteur ès Lettres, Professeur de littérature américaine aux Universités de Montpellier et de Perpignan-Via Domitia, a consacré son doctorat d'État à l'écrivain sudiste Shelby Foote, et bénéficié pour mener ses recherches aux États-Unis d'une bourse d'études Fulbright. Il a publié une soixantaine d'articles sur la fiction, l'imaginaire et les mythes du Nouveau Monde, et fondé plusieurs centres de recherches dont le VECT-Mare Nostrum. Co-organisateur d'une douzaine de colloques internationaux et co-fondateur de la revue Profils Américains, il assure actuellement la direction du Collège Doctoral et des Presses Universitaires de l'UPVD. Auteur de Les Portes du Delta (PUP, 1997) et de Shelby Foote: Un Sudiste au carré (Belin, 1998), Paul Carmignani a dirigé de multiples publications (Rythmes et lumières de la Méditerranée; Autour de Fernand Braudel; Figures du passeur; Bouleversants Voyages, etc.) ou contribué à divers ouvrages collectifs (Hétérologies; Automobile et littérature; Introduction aux méthodologies de l'Imaginaire; Dictionnaire des Mythes féminins, etc.).
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Paris, mardi 15 octobre 2024