Juriste et indianiste anglais, Arthur Avalon — pseudonyme de John George Woodroffe — est né à Londres en 1865.
Il suit des études de droit à l'University College d'Oxford, devient avocat, puis juge à la Haute Cour de Calcutta (Inde). Il produit les première traductions et interprétations occidentales de tantras, aidé par ses études auprès d'experts bengalis, notamment Atal Behari Ghose. Il travaille aussi avec Lama Kazi Dawa Samdup, rencontré lorsqu'il était l'interprète en chef attaché à S. E. Lochen Satra (1860-1923), plénipotentiaire tibétain auprès du gouvernement des Indes. Vers la fin de sa vie, il est professeur de droit indien à l'université d'Oxford.
Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le tantrisme, dont entre autres The Tantra of the Great Liberation (1913), Shakti and Shâkta (1918), The serpent power (La Puissance du Serpent, 1919), Hymn to Kâlî: Karpûrâdi-Stotra (1922) et The garland of letters: studies in the Mantra-sāstra (La Doctrine du Mantra, 1922). Il a également écrit une postface au Livre des morts tibétain traduit par Samdup et édité par Walter Evans-Wentz.
John Woodroffe est mort à Londres en 1936, à l'âge de 71 ans.
M. P. Pandit
Quand l'avocat J. G. Woodroffe touche la Terre Indienne en 1890, on est plus proche des libations de sang anglo-indiennes de 1857 que de l'Indépendance Politique.
Alain Daniélou note que les conséquences de la révolte des Indiens creusèrent un fossé entre les deux communautés. L'appareil administratif se durcit. La vie quotidienne vit les anglais britanniser davantage leurs moeurs et leur cadre de vie. Les rapports avec les autochtones devinrent ceux de supérieurs à subalternes. Et il précise: "La période du gouvernement direct de l'Inde par la Couronne Britannique peut se diviser en deux parties: celle de l'impérialisme, de 1858 à 1905, et celle des réformes de 1905 à 1937. L'administration de l'Inde était sous le contrôle de secrétaires d'État à Londres, et la politique suivie, en particulier les Affaires Étrangères, était guidée par les intérêts européens."
J. G. Woodroffe a donc vécu les deux époques découpées par l'historien. Aussi a-t-il été le témoin d'une phase importante de l'évolution politique de l'Inde.
Sa qualité de magistrat, d'homme de justice, a dû, à coup sûr, le placer très près du coeur du processus. J'imagine fort bien — que l'on comprenne ce raccourci — n'importe quel autre haut fonctionnaire anglais, fidèle sujet de Sa Majesté Britannique jusqu'au fond de sa bonne conscience, parfaitement équilibré entre son travail d'administrateur (sphère politique) et sa vie privée, sa vie de club, son sport ou ses parties de chasse (sphère civile). Pour Woodroffe, c'est moins classique et moins attendu. Magistrat, son domaine, c'est le droit et la justice, et dans son cas, une tribune de premier plan pour apprécier les paradoxes indéfendables d'une tutelle étrangère. Homme privé, et nous l'avons vu, c'est un "Sanskrit Scholar" qui va s'attacher à copieusement démystifier un domaine qui laisse derrière lui une certaine odeur de soufre: le Tantra. Fallait-il du courage ? Seul, Avalon pourrait peut-être nous dire s'il a dû caboter serré le long des institutions officielles. En tout cas, l'indéfectible ardeur avec laquelle il s'est livré à des travaux scientifiques, la passion et l'amour qu'il a dispensés infatigablement pour anéantir des préjugés, rectifier des jugements péjoratifs — nous en donnerons quelques traits — pour "blanchir" en somme la pensée et le rituel tantriques, et aller au-delà, tout ce labeur transparent, est-ce une extrapolation audacieuse que d'y voir une sorte de "résistance" indirecte ? Est-ce excessif de discerner là son sentiment sur l'implantation anglaise en Inde ? Comme si, dans une interview imaginaire où on lui eût demandé: "Comment avez-vous vécu, dans votre for intérieur, l'hégémonie de fait de la Couronne sur le continent Indien ?", il eût répliqué: "J'ai étudié la métaphysique et le rituel des Tantras."
Alain Porte
"Homme d'habitudes studieuses et nullement mondaines, il consacra les loisirs, que lui laissaient ses fonctions de magistrat, au sanskrit et à la philosophie hindoue, se spécialisant dans le Shaktisme à un degré qui n'a probablement jamais été égalé par aucun autre orientaliste britannique. Tôt dans sa carrière, il publia, sous le nom d'Arthur Avalon, des études sur les textes tantriques et des ouvrages sur le Tantra."
Son dernier livre sous ce nom fut The Serpent Power, fait de deux textes sur le Laya-Yoga, traduit du sanskrit avec introduction et commentaire.
On dit qu'il a reçu d'un Guru une initiation dans le Gâyatrî Mantra après s'être soumis au rituel dans sa plus complète orthodoxie, à Bénarès et qu'il porta le Yajnopavîta, le cordon sacré. Il avait la conviction ancrée qu'il y avait un sens profond dans chaque aspect du rituel hindou et il s'y adonna en l'approfondissant jusqu'au coeur.
Initié dans le Gâyatrî Mantra ? Ce n'est pas impossible, si l'on observe que sur les quatre ouvrages de lui qui ne sont ni des commentaires ni des traductions, deux d'entre eux cernent deux sujets précis: La Puissance du Serpent à propos de la Kundalinî (Laya-Yoga) et la Doctrine du Mantra (the Garland of Letters), qui traite du Son Primordial, à l'origine du déploiement de l'univers manifesté qui est constitué dans son intégralité d'énergie phonique. […]
"On m'a souvent demandé pourquoi j'avais entrepris l'étude des Tantra Shâstras, et on m'a suggéré dans certains cénacles anglais (je l'oppose à occidentaux) que j'aurais pu mieux employer mon temps et mon action. Voici ma réponse:
Suivre la piste d'un abus démesuré m'a toujours fait découvrir quelque chose de bien. Le problème actuel ne fait pas exception. Je proteste et j'ai toujours protesté contre les calomnies injustes qui se sont abattues sur la civilisation de l'Inde et de ses peuples. Si l'on y trouve de quoi blâmer, l'honnêteté exige que la critique soit réduite à ses justes proportions. Toute ma vie, j'ai étudié la religion et les philosophies du monde, et j'ai entrepris une étude particulière de ce Shâstra pour en découvrir moi-même l'enseignement, et pour savoir si c'était bien, comme on le disait, une inversion radicale de l'enseignement hindou que je connaissais. Car, on disait que c'était le culte et la pratique de la gloutonnerie, de la luxure et de la malveillance ("férocité, luxure et galimatias", comme le dit Brian Hodgson), ce que les Shâstras Indiens, comme toutes les autres religions du monde, proscrivent formellement." Il est toujours vrai que tout anathème manichéen se condamne de lui-même, qu'il est plus révélateur d'un conservatisme, d'une sclérose, d'une inhibition ou d'une peur que d'une réaction saine. La morale est souvent le wagon-lit de la Bonne Conscience.
H. Kucharski
"Sir John Woodroffe a contribué à ôter de nombreuses couches d'ignorance qui ont enrobé la philosophie Shâkta et sa pratique. L'esprit indien bienséant, qui a développé contre les Tantras un préjugé profondément enraciné se rendit compte de leur valeur après l'oeuvre de pionnier de cet éminent étranger. En éditant les textes originaux sanskrits, aussi bien qu'en publiant des essais sur les différents aspects du Shâktisme, il a montré que ce culte avait, derrière lui, une profonde philosophie, et qu'il n'y avait rien d'irrationnel ou d'abscons dans la technique d'adoration qu'il préconise."
T. M. P. Mahadevan
"Quand la véritable nature de l'âme de l'Inde était si complètement voilée que même les guides de sa renaissance vacillaient dans leur marche, ardents défenseurs de son passé mais inconscients de son authentique héritage, il a été donné à quelques hommes clairvoyants de découvrir, au milieu des décombres d'un passé fuyant, les joyaux sans prix d'un legs immémorial.
A la pointe de ces savants désintéressés, Sir John Woodroffe qui consacra sa vie à mettre en valeur les vérités profondes de la tradition religieuse Hindoue la plus mécomprise et la plus diffamée: les Tantra Shâstra. Membre bien connu de la magistrature, spécialisé dans les études sanskrites, il a abordé les textes sacrés des Agamas avec le respect adéquat; aidé par les lettrés autochtones et guidé par des Gurus, il a exploré les arcanes du Sâdhana Shâstra assez profond pour en ressurgir comme le champion inspiré de cette religion vénérable, stupéfiant tout le monde par son incroyable persévérance, par l'éclat de son esprit et la force de pénétration qu'il a apportés à maintenir son effort solitaire destiné à ressusciter la splendeur des Tantra Shâstra, particulièrement le Shâkta Vedânta.
Il a écrit, traduit, édité, commenté, fait des conférences il a fait tout ce qu'il pouvait faire pour présenter l'enseignement théorique et pratique des Agamas sous leur véritable jour. L'Inde a envers lui une immense dette de reconnaissance car il a éveillé ses fils au sens vivant d'un de leurs grands héritages."
M. P. Pandit,
10 avril 1980
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