Écrivain français, Colette — pseudonyme de Sidonie Gabrielle Colette — est née le 28 janvier 1873 à Saint-Sauveur en Puisaye (Yonne).
Le nom de Colette reste associé à Saint-Sauveur en Puisaye, qui apparaît comme le symbole des paradis perdus de l'enfance, et au Palais-Royal, à Paris, où elle est morte le 3 août 1954 et où des funérailles nationales consacrèrent une réputation de sagesse victorieuse de la vieillesse, de la douleur et de la maladie.
Un nom-prénom, deux lieux, il ne manque plus qu'un vrai prénom, celui d'un personnage né avec le siècle: Claudine à l'école (1900), Claudine à Paris (1901), Claudine en ménage (1902), Claudine s'en va (1903), La Retraite sentimentale (1907). La mort du mari de Claudine ferme le cycle et coïncide avec la séparation légale de Colette et de Willy, son mari (de son vrai nom Henri Gauthier-Villars). Les quatre premiers romans de la série étaient signés du seul Willy, le dernier le fut de Colette Willy, étrange hybride composé d'un nom de famille sonnant comme un prénom et d'un pseudonyme — celui d'un homme soucieux d'imposer son image au public.
Colette avait avec Claudine créé le type de la jeune fille et de la jeune femme modernes, et dans le même temps, l'auteur et la femme, le littéraire et l'intime, se confondaient dans une aura quelque peu scandaleuse. Rude leçon pour une jeune femme qui allait devoir gagner elle-même sa vie. Bien plus tard, en 1922, quand est publié La Maison de Claudine, où Colette évoque ses propres souvenirs d'enfance, le prénom de Claudine est imposé dans le titre par l'éditeur, les raisons commerciales primant sur les raisons littéraires. Il est des prénoms dont on ne se débarrasse pas facilement, et l'oeuvre est signée "Colette (Colette Willy)": à l'exception de quelques articles ou de quelques très courts textes, il faut attendre Le Blé en herbe (1923) pour que le nom de Colette apparaisse seul en première de couverture: l'auteur ne dépendait plus que de lui-même.
La femme qui avait été mime et actrice ne vécut plus que de sa seule plume: elle poursuivit son oeuvre littéraire, mais écrivit aussi pour la presse, engageant ici son nom pour quelque publicité, le vendant là, en Europe, en Afrique du Nord ou aux États-Unis, comme conférencière. Elle affecta même de n'avoir ressenti aucune vocation d'artiste et revendiquait un modeste statut d'artisan, travaillant au jour le jour. Mais l'essentiel n'était-il pas le souci de ne livrer à son public que des pages dont elle n'ait jamais à rougir ? On se découvre écrivain en écrivant, et ce qui n'est au départ que nécessité, celle de gagner sa vie, devient conquête de sa liberté et de sa propre estime sans laquelle il n'est point d'image publique qui vaille. Celle qui commença à écrire, effacée dans l'ombre de Willy, devint peu à peu Colette, "la seule personne, avouait Montherlant, à propos de qui j'ai parlé de génie".
Sido, la mère, eut deux maris, et de chacun d'eux, deux enfants: du premier — Jules Robineau-Duclos, le "sauvage" —, une fille, Juliette, "la soeur aux longs cheveux" (1860-1908), et un fils, Achille, qui s'installera comme médecin à Châtillon-Coligny, et qui fut le préféré de Sido, le "très beau" (1863-1913); du second — Jules Colette, capitaine pensionné pour avoir perdu une jambe au combat en 1859 —, une fille, Gabrielle Sidonie, la future Colette, et un fils, Léo (1866-1940): ce dernier, à la différence de sa soeur, grandit et vieillit mal, incapable d'échapper à son passé et à son enfance. Un père amoureux fou de sa femme, une mère à la fois libérale et possessive, une soeur qui ne songe qu'à échapper à sa famille et qui, mariée en 1885, se pendra en 1908 après avoir reçu la communion, la grande complicité des deux frères, — les bonheurs réels de l'enfance de Colette n'allèrent pas sans troubles ni douleurs, et elle n'affronta littérairement ses souvenirs qu'à partir de La Maison de Claudine, en 1922, faisant peu à peu de sa mère un personnage essentiel de son oeuvre, dans Sido (1929), La Naissance du jour (1928), Journal à rebours ( 1941 ) ou En pays connu ( 1949).
Ce tardif affrontement impliquait une conquête préalable de la lucidité, une juste distance prise par rapport à ce que lui livrait sa mémoire, et la volonté de garder le meilleur de l'héritage de Sido, ce qui n'exclut pas la sincérité mais témoigne d'un choix et d'un art de laisser dans l'ombre, d'estomper ce qui à ses yeux doit l'être, dans un mélange de retenue et de suggestion. Témoigne a contrario de cet art ce qu'elle s'autorise à mettre en pleine lumière quand l'oeuvre est de pure fiction, et c'est, publié en 1925 mais écrit bien avant La Maison de Claudine, L'Enfant et les sortilèges, où l'accent est mis sur l'envers du royaume de l'enfance et sur ses ombres. La jeune Colette se devait d'échapper à l'emprise de sa mère et, rêvant d'évasion, rêva tout naturellement à l'amour.
Cet amour, Colette l'attendait d'autant plus qu'une mauvaise gestion des biens familiaux par le père et des dissensions survenues entre Juliette et son beau-père obligèrent la famille à quitter Saint-Sauveur. Certes, cette maison de Saint-Sauveur restait la propriété d'Achille, mais la dignité exigeait un déménagement: on alla s'installer à Châtillon-Coligny, où Achille venait de s'établir médecin. Ce fut pour Colette un exil, autant valait s'ouvrir à une vie nouvelle.
Depuis 1889, la jeune Colette connaissait Henri Gauthier-Villars, "Willy" ou "Maugis", homme à la fois secret et avide d'occuper le public de son image. Né le 10 août 1859, il avait aimé une femme mariée qui mourut le 31 décembre 1891 en lui laissant un fils, Jacques, né en 1889, qui fut mis en nourrice en 1892 chez les Colette; ce drame intime et la séduction quelque peu clinquante de quelqu'un dont l'ambition était d'être l'homme du Paris fin-de-siècle ne pouvaient qu'aveugler une jeune provinciale rêvant d'échapper à sa province. Le mariage, provocant, d'une personnalité parisienne épousant sans dot un tendron anonyme, fut célébré à Châtillon-Coligny le 15 mai 1893.
L'année suivante, la jeune mariée découvre que son mari a une maîtresse: elle supporta plus que difficilement l'épreuve et se résigna, en en payant le prix. Mondanités, festivals de Bayreuth, liaison avec une femme, encouragée par le mari lui-même, il ne manque plus à Colette que de devenir le "nègre" de Willy — un nègre parmi d'autres nègres. C'est la série des Claudine, dont le succès est tel que Willy le prolonge par des adaptations théâtrales.
Le succès épuisé, Willy partit avec une autre et de longs démêlés les conduisirent, en 1910, au divorce, tandis que Colette trouva une sorte de remède dans une liaison avec la marquise de Morny, dite Missie. Dès 1906, c'est la séparation de fait des époux; en 1907, la séparation légale; en 1910, le divorce.
Dès 1906, soutenue par Missie, Colette doit gagner sa vie et fait ses débuts de mime, puis d'actrice, cependant que l'écrivain, en elle, s'affirme. En 1904, elle avait publié quatre Dialogues de bêtes, devenus sept en 1905: modeste prologue à une veine animalière qui donnera La Paix chez les bêtes (1916) ou Prisons et paradis (1932). Deux nouvelles avaient suivi, Minne (1904) et Les Égarements de Minne (1905), regroupés sous un titre unique en 1909: L'Ingénue libertine. Enfin, Les Vrilles de la vigne (1908), suite de textes courts et de nouvelles, constitue le premier bilan de sa vie, où l'évocation des fêlures et des douleurs s'accompagne d'une volonté de reconquérir une dignité perdue. Plus tard, Mes apprentissages (1936), écrit après la mort d'Henri Gauthier-Villars, qui s'était éteint le 12 janvier 1931, poursuivra le même but introspectif.
Pour Colette, à l'approche de la quarantaine, tout est à refaire. À la fin de 1910, elle commence à collaborer au journal Le Matin: elle y devient reporter et, à partir d'octobre 1911, y publie un conte par semaine; ce seront Les Contes des mille et un matins, sous-titrés Journal de Colette à partir du 30 octobre 1913. Ce nouveau métier, qui ne l'empêche pas de poursuivre ses activités de mime, va aider à sa façon au renouveau sentimental de Colette, puisqu'un des deux rédacteurs en chef du Matin est Henry de Jouvenel: né en 1876, il a d'un premier mariage un premier fils, Bertrand (né en 1903), et un second, Renaud, de sa maîtresse en titre dans ces années 1910, Isabelle de Comminges, dite "la Panthère". Cette vie sentimentale agitée, Colette accepta d'y entrer. Jusqu'au mariage, jusqu'à un nouveau mariage.
Après la mort de Sido, le 25 septembre 1912, Colette épouse Henry de Jouvenel, le 19 décembre 1912, et le mariage est rapidement suivi, le 3 juillet 1913, de la naissance d'une fille qui se prénommera Colette et qu'on surnommera Bel-Gazou. La nouvelle mère s'appelle donc Gabrielle Sidonie Colette de Jouvenel des Ursins. Devenue baronne, elle témoigne une dernière fois de son univers professionnel de mime dans L'Envers du music-hall (1913), et surtout tente la transposition romanesque de ces années mouvementées dans deux romans centrés sur une unique héroïne, La Vagabonde (1910) et L'Entrave (1913). Le premier raconte le lent travail de deuil d'un amour déçu, celui d'une femme au "sang monogame" abandonnée par son mari et qui reprend goût à la vie malgré son désarroi; le second, la naissance d'un nouvel amour une fois le travail du deuil accompli.
Mais les difficultés de la guerre, la brillante carrière diplomatique d'un mari trop séduisant et séducteur, tout cela ruine le fragile équilibre du couple; le fossé se creuse entre eux jusqu'à l'irrémédiable: à trop vouloir s'occuper de Bertrand de Jouvenel, le fils d'Henry, Colette s'engage dans son initiation sentimentale. En décembre 1923, c'est la séparation, Colette cessant en outre de collaborer au Matin. Au printemps de 1925, c'est la rupture et le divorce entre Bertrand et Colette. La page "Jouvenel" est tournée.
Devenu en 1920 chevalier de la Légion d'honneur, l'écrivain Colette est alors pleinement reconnu, et son oeuvre prend de l'ampleur: textes sur la guerre et la société contemporaine (Les Heures longues, 1917; Les Enfants dans les ruines, 1917; Dans la foule, 1918; La Chambre éclairée, 1920), nouvelles et romans (Mitsou, 1919; Chéri, 1920; Le Blé en herbe, 1923; La Femme cachée, 1924), et bien évidemment, en 1922, La Maison de Claudine.
En 1913, Colette avait mis un terme à sa carrière de mime; en 1926, elle effectue ses dernières tournées théâtrales en jouant dans des adaptations de deux de ses romans, Chéri et La Vagabonde, sur les scènes de Monte-Carlo, de Marseille, de Paris, de Bruxelles et de quelques villes d'eaux. Elle s'en tiendra désormais à la critique dramatique, recueillant l'essentiel de ses articles, écrits de 1933 à 1938, dans La Jumelle noire. Mais elle ne renonce pas au cinéma: elle s'y était intéressée dès la Première Guerre mondiale et poursuit ses activités de scénariste et de dialoguiste (Lac aux dames, de Marc Allégret, 1934; Jeunes Filles en uniforme, de Léontine Sagan, 1932; Divine, de Max Ophüls, 1934).
Remplie d'énergie novatrice, elle ouvre en 1932 un magasin de produits de beauté, qui n'aura qu'une existence éphémère. Aux modestes mais épuisantes tournées de music-hall et de théâtre en France, succèdent de grands voyages au Maroc (février 1926), en Espagne et à Tanger (mars 1929), à Anvers (juin 1929), à Berlin (février 1930), en Autriche et en Roumanie (février-mars 1931), en Afrique du Nord (avril 1931), à New York (juin 1935), à Fez (1938). La Seconde Guerre mondiale met un terme à cette vie de voyages, que Colette ne reprit guère en 1945: le 5 septembre 1931, elle s'était fracturé le péroné et s'en était bien remise, mais ce fut sans doute l'accident à partir duquel se mit lentement en place une arthrose de la hanche qu'on ne savait pas alors opérer. À partir de 1939, Colette est condamnée à une immobilisation progressive, qui devient complète en 1946: elle ne pouvait plus compter que sur son fauteuil roulant.
Elle devient alors la dame du Palais-Royal: après avoir tiré Saint-Sauveur de l'anonymat et glorifié la Treille Muscate, sa propriété de Saint-Tropez achetée en 1926 et revendue en 1938, elle achète la même année un appartement à Paris, 9 rue de Beaujolais. Cadre historique pour une vieille dame glorieuse et couverte d'honneurs: officier de la Légion d'honneur (1928), commandeur (1936), grand officier (1953), membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (1936), membre puis présidente de l'Académie Goncourt (1945, 1949), elle reçoit aussi la Grande Médaille de la Ville de Paris (1953) et le diplôme du National Institute of Arts and Letters des États-Unis (1953).
Tout cela, activités, honneurs, souffrances de l'arthrose... et poursuite d'une oeuvre dont le meilleur fut produit après 1925, supposait une vie intime apaisée, propice à cette descente en soi qu'impose la création. Par Marguerite Moreno, son amie de longue date, qu'elle avait connue dans les années 1900, Colette avait fait la connaissance de Maurice Goudeket: il fut son dernier et fidèle compagnon. Elle l'épousa le 3 avril 1935. De 1925 à 1954, ils ne se quittèrent pas, si l'on ne tient pas compte de l'arrestation de Goudeket par les Allemands et de son incarcération du 12 décembre 1941 au 6 février 1942: il était juif et dut peut-être à la gloire de Colette de revenir auprès d'elle; il alla se cacher en zone libre jusqu'en 1944.
L'oeuvre écrite pendant cette dernière période comprend d'abord des romans et des nouvelles: La Fin de Chéri (1926), La Naissance du jour (1928), La Seconde (1929), La Chatte (1933), Duo (1934), Bella-Vista ( 1937), Le Toutounier ( 1939), Chambre d'hôtel (1940), Julie de CarneiIhan ( 1941 ), Le Képi ( 1943), Gigi ( 1944).
Parallèlement à cette veine qu'on pourrait dire traditionnelle n'était l'originalité de Colette, s'en développe une autre où la première personne occupe le devant de la scène, une scène conçue comme un lieu de confidence où se mêlent souvenirs, réflexions, anecdotes ou très courtes nouvelles, dans une sorte de capricieuse et libre démarche de la pensée, qui n'est pas sans rappeler celle des Essais de Montaigne. Tout semble jaillir de soi sans qu'on quitte jamais le quotidien mais renouvelé et présenté comme au hasard des jours et des rencontres: Ces plaisirs (1932) devenu Le Pur et l'Impur (1941), Journal à rebours (1941), Nudité (1943), Paris de ma fenêtre et Trois... six... neuf (1944), Belles Saisons (1945), L'Étoile Vesper (1946), Le Journal intermittent (1949), Le Fanal bleu (1949), En pays connu (1949).
"Ni mémoires ni journal. Que mon lecteur s'y résigne; lampe de jour et de nuit, bleue entre des rideaux rouges, étroitement collée contre la fenêtre comme un des papillons qui s'y endorment le matin, en été, mon fanal n'éclaire pas d'événements de taille à l'étonner" (Le Fanal bleu), ce fanal n'étant que la lampe entourée d'un papier bleu de l'écrivain cloué à son "radeau-divan": "[le] lit sur lequel naviguer". — "La Chatte Dernière, qui se mourait, indiquait, d'un geste de la patte, d'un sourire de son visage, qu'une ficelle traînante était encore objet de jeu, aliment de la pensée et de l'illusion féline. Chez moi, on ne me laissera pas manquer de bouts de ficelle."
Les oeuvres complètes de Colette, aux éditions du Fleuron, paraîtront de 1948 à 1950, quelque temps avant sa mort survenue à Paris le 3 août 1954. Elle avait écrit dans La Naissance du jour: "La mort ne m'intéresse pas — la mienne non plus".
Michel Mercier,
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Paris, mardi 15 octobre 2024