Mathématicien, encyclopédiste, philosophe français, Jean Le Rond d'Alembert est né à Paris le 16 novembre 1717.
Fils naturel de Mme de Tencin et du chevalier Destouches-Canon, lieutenant-général d'artillerie en mission à l'étranger au moment de sa naissance, il est abandonné par sa mère dans le cloître Notre-Dame sur les marches de l'église Saint-Jean-le-Rond, d'où son nom de baptême attribué d'office par un commissaire de police. L'enfant ne reste cependant pas dénué de protection, ni même de ressources grâce aux rentes que lui octroiera son père. De retour à Paris, celui-ci le met en nourrice chez Mme Rousseau, la femme d'un vitrier, rue Michel-le-Comte, où il reste jusqu'à ce qu'une maladie l'oblige à la quitter en 1765.
À l'âge de 10 ans, il est admis au collège des Quatre-Nations, fondé par Mazarin, sous le nom de "Chevalier d'Aremberg", nom choisi par son père afin de pouvoir l'inscrire dans ce collège réservé à l'aristocratie, et que l'encyclopédiste changera plus tard en d'Alembert, sans doute pour des raisons phonétiques. Cette école janséniste veut faire de lui un nouveau Pascal anti-jésuite. Il rédige même, lors de sa première année de philosophie, un commentaire sur l'épître de saint Paul aux Romains, mais ces polémiques le révoltent et le détournent définitivement de la théologie et de la métaphysique.
Son diplôme de maître es arts obtenu, d'Alembert étudie deux ans pour obtenir une licence en droit, puis fait un an de médecine, qu'il abandonne pour se consacrer entièrement aux mathématiques et à la géométrie. Après avoir envoyé plusieurs communications à l'Académie des sciences de Paris (Du mouvement d'un corps qui s'enfonce dans un fluide, 1740; Sur l'intégration des équations différentielles, 1741), qui suscitent les louanges des commissaires, dont Clairaut, il est nommé adjoint astronome en 1741.
Deux ans plus tard paraît son Traité de dynamique, qui contient le principe qui garde son nom. L'introduction révèle sa philosophie des sciences, qui rejette la métaphysique et se base sur la méthode expérimentale et inductive préconisée par Francis Bacon. En 1744, il publie une suite à cet ouvrage, le Traité de l'équilibre et du mouvement des fluides. Ces deux publications rendent d'Alembert célèbre et lui ouvrent la porte du salon de Mme du Deffand. Cette même année de 1744, il envoya son Traité des vents à l'Académie des Sciences de Berlin, qui lui décerne son prix en 1746 et l'invite à être membre de son corps.
L'année suivante, il publie ce traité sous le titre de Réflexions sur la cause générale des vents. Pour la même Académie des Sciences de Berlin, il publie des Recherches sur les cordes vibrantes (1747) et des Recherches sur le calcul intégral (1748). En 1749, paraissent ses Recherches sur la précession des équinoxes et sur la mutation de l'axe de la terre dans le système newtonien; en 1752 les Réflexions sur la théorie de la résistance des fluides, où il établit les équations rigoureuses et générales du mouvement des fluides, et en 1754-1756 les Recherches sur différents points importants du système du monde.
Malgré un grand nombre d'ouvrages apportant des "additions" et de "nouvelles observations" qui trouvèrent leur place dans les huit volumes des Opuscules mathématiques (1761-1780) — il existe un neuvième volume en manuscrit —, les plus importantes des découvertes mathématiques de d'Alembert sont déjà terminées à la fin des années 1740. Gardant toujours sa renommée de savant, il se fait ensuite une réputation comme encyclopédiste, philosophe et homme de lettres.
C'est en 1745 qu'il commence à travailler au projet de traduction de l'Encyclopaedia anglaise d'Ephraïm Chambers. Denis Diderot le rejoint l'année suivante et, en 1747, ils remplacent l'abbé Gua à la direction de l'Encyclopédie. Son Discours préliminaire de 1751, écrit sous l'influence de Isaac Newton, John Locke et Francis Bacon, est une sorte de préface à l'Encyclopédie et un résumé de la nouvelle philosophie de son siècle. Il y présente un tableau de la genèse de la connaissance et, à partir de là, une généalogie des sciences, de la morale et de la politique en relation avec la formation et l'évolution de la société. En outre, il dresse un tableau de l'arbre des sciences, c'est-àdire des différentes branches du savoir, en hommage à l'esprit systématique qui a toujours guidé sa recherche d'homme de science en le poussant à rechercher des principes de plus en plus généraux sous lesquels réunir les résultats partiels de chacune des sciences. L'esprit systématique ne doit pas être confondu avec l'esprit de système, dont il est même la parfaite antinomie dit-il: le premier vise à des synthèses de plus en plus larges entre les sciences en fonction de leurs connexions réelles, le second (qui a fait l'objet de la critique de Condillac dans le Traité des systèmes, 1749) superpose à l'expérience des constructions arbitraires, déduites d'hypothèses non vérifiées. Ce Discours préliminaire de l'Encyclopédie lui vaut, outre l'applaudissement de ses contemporains, son élection à l'Académie française en 1754, grâce aux efforts de Mme du Deffand.
Bien que chargé de la partie mathématique et scientifique (articles "Attraction", "Cartésianisme", "Copernic", "Dynamique", "Éléments des sciences", "Expérimental", "Fortuit", "Géométrie", "Gravitation", "Newtonianisme", etc), d'Alembert écrit également de nombreux articles sur des sujets esthétiques, philosophiques et polémiques. À cause d'une maladie de Diderot, il s'occupe presque seul du deuxième volume de l'Encyclopédie, qui contient notamment l'article "Certitude" de l'abbé de Prades. Cet auteur, qui vient de défendre dans une thèse à la Sorbonne les idées sensualistes de Locke, de Condillac et du Discours préliminaire, est condamné et exilé. Les pouvoirs voient en effet dans sa thèse une preuve d'un complot des encyclopédistes contre le trône et l'autel. La position peu orthodoxe des éditeurs a déjà suscité les critiques du journal jésuite Les Mémoires de Trévoux, entre autres, et cet article semble leur donner raison: l'Encyclopédie est supprimée en 1752. Mais les libraires risquant financièrement trop gros, on promet de nouveaux censeurs et la publication reprend l'année suivante avec le troisième volume, soutenu par Malesherbes, alors directeur de la Librairie, et muni d'une préface audacieuse et triomphante de d'Alembert qui accable ses ennemis.
Vers cette époque, d'Alembert resserre ses relations avec Voltaire, à la plume de qui il recommandait les ennemis de l'Encyclopédie, tel le jésuite Berthier. En 1757, le septième volume contient, à la demande de Voltaire, l'article "Genève", qui insulte à la fois les pasteurs de Genève, appelés "de parfaits sociniens", et les catholiques, qui ne le sont pas assez. De plus, il soutient le désir de Voltaire de fonder un théâtre en Suisse, ce qui provoque la réplique de Jean-Jacques Rousseau avec une Lettre à d'Alembert sur les spectacles (1758). Le scandale mène à une nouvelle suppression de l'Encyclopédie en 1759.
D'Alembert et Voltaire veulent transférer l'entreprise en Prusse sous la protection de Frédéric II, mais Diderot s'y oppose et obtient une permission tacite de continuer la rédaction clandestinement. D'Alembert ne rédige plus alors que ses articles promis sur les mathématiques, Diderot lui ayant interdit d'autres sujets et l'accusant d'avoir causé les malheurs de l'Encyclopédie par ses préfaces enflammées (les volumes huit à dix-sept parurent finalement en 1765). Ne pouvant répondre à l'article "Encyclopédie" de Diderot dans ses pages, d'Alembert publie en 1759 ses Éléments de philosophie en guise de préface à l'Encyclopédie. Il y réitère sa vision empirique et sceptique, rejetant les raisonnements par analogie prônés par son collègue. En 1761, il publie sa Théorie des comètes et une Théorie mathématique de l'inoculation qui met en doute la pratique.
Pendant cette période encyclopédique, d'Alembert publie aussi d'autres ouvrages tels ses Eléments de musique (1752) basés sur les principes de Jean-Philippe Rameau, ses Mélanges de littérature et de philosophie (deux volumes en 1753, élargis à quatre en 1759, un cinquième volume en 1767), et un Essai sur les gens de lettres et les grands en 1753, véritable manifeste des hommes de lettres dans lequel il expose la conception propre aux Lumières des rapports entre intellectuels, société et État. Il y revendique pour la République des Lettres le droit de décréter les règles de l'art et du bon goût, tenu jusque-là par l'aristocratie, plus apte, dit-il, à la guerre qu'à juger des oeuvres de l'esprit. Il y célèbre surtout la liberté et la vérité comme vertus cardinales de l'écrivain et lance un appel à ces derniers afin qu'ils se libèrent de leur rôle avilissant de courtisan et de leur asservissement aux mécènes et autres "grands". Son indépendance à cet égard lui vaut des difficultés avec la Cour, mais il utilise l'estime que lui montre Frédéric II de Prusse — qui l'invite à prendre la succession de Maupertuis à la présidence de l'Académie de Berlin et lui attribue une pension — et Catherine II de Russie — qui veut le nommer tuteur de son fils, le grand-duc héritier — afin de forcer les ministres français à le respecter. À la longue, il obtient gain de cause.
Grâce à son influence grandissante sur Voltaire, d'Alembert devint son "lieutenant" à Paris dans le combat pour la "bonne cause": la diffusion des lumières et le rehaussement de la position des "philosophes" dans la société. Son élection comme secrétaire perpétuel de l'Académie française en 1772 lui donne la base nécessaire pour transformer cette institution en un bastion du parti philosophe. Sa liaison avec Mlle de Lespinasse lui est bénéfique en ce sens car son salon, où il règne, devient l'antichambre obligatoire de l'Académie française. Son amour pour elle suscite à l'époque des narrations quelque peu "romantiques", mais on ne peut nier que cette amitié lui est fort utile et qu'elle lui donne plus de patience que ne lui en aurait inspiré un amour entièrement désintéressé.
Poussé par Voltaire à prendre une part plus active dans la lutte philosophique, d'Alembert publie en 1765 (avec deux Lettres supplémentaires en 1767) son essai Sur la destruction des jésuites, qui condamne les jansénistes encore plus sévèrement que les jésuites, récemment supprimés en France. C'est vers cette époque, après la composition du Rêve de d'Alembert (1769, publié en 1830) par Diderot, que le mathématicien devient réellement athée. Mais il continue à affirmer publiquement le déisme voltairien qu'il a toujours soutenu.
Les années 1770 à 1780 représentent la consolidation de la position de d'Alembert comme maître de l'Académie française, où il est élu secrétaire perpétuel en 1772. Se voulant arbitre des questions littéraires, sa tentative d'imposer à l'Académie des normes pour la poésie est violemment rejetée par le public. Le but de tout écrit étant d'exprimer clairement des pensées, il juge bon un poème lorsqu'il se rapproche le plus de la prose, déclare-t-il dans ses Réflexions sur la poésie, lues d'une "diction lente et calculée" à l'Académie en 1760 et publiées en 1767. Fréron s'écrie contre "l'irruption des enfants d'Archimède dans le sanctuaire de la poésie. Elle expire frappée du fatal compas"; et Diderot conclut: "Qu'il s'en tienne donc aux équations; c'est son lot."
Par contre, ses autres discours publiques à l'Académie ont un grand succès, et il utilise ces occasions pour prêcher la tolérance et la philosophie. Ses soixante-dix-huit Éloges composés en dix ans lui acquièrent la réputation de continuateur de Fontenelle, son prédécesseur dans le genre. Les Éloges, lus dans les séances publiques de l'Académie française, sont publiés en 1779. Pendant ses dernières années, d'Alembert remplace de plus en plus l'aristocratie, qu'il avait toujours combattue, dans le rôle de mécène pour de jeunes écrivains qu'il aide dans leur carrière. Il meurt à Paris de la maladie de la pierre le 29 octobre 1783, à l'âge de 66 ans. Ayant refusé de recevoir un curé avant sa mort, l'archevêque de Paris refuse la cérémonie religieuse mais autorise l'inhumation dans une fosse commune du cimetière de la paroisse, "sans cortège et sans bruit".
En 1785 et 1786 on publie en cinq volumes une édition posthume de son Histoire des membres de l'Académie française morts depuis 1700, jusqu'en 1771. Le plus illustre de ses disciples est sans nul doute Nicolas de Condorcet, dont il avait fait avec Claude-Henri Watelet son exécuteur testamentaire.
John Pappas,
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Paris, mardi 15 octobre 2024