Homère

Biographie
Homère
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Poète épique grec de la seconde moitié du VIIIe siècle av. J.-C., Homère est probablement originaire d'Ionie, en Asie Mineure. Depuis l'Antiquité on le désigne comme l'auteur de deux grands poèmes épiques, L'Iliade et L'Odyssée.

Sur la vie d'Homère nous ne connaissons rien de certain. L'intérêt d'ailleurs se fixe aujourd'hui sur les conditions de genèse de son œuvre plutôt que sur les éléments de sa biographie, déjà légendaires dans l'Antiquité. Il existe en effet sept Vies d'Homère, toutes issues de l'Antiquité tardive mais remontant à une tradition biographique plus ancienne. Elles se rattachent pour l'essentiel au genre de la biographie romancée, destinée à satisfaire la curiosité du public. La multitude et la discordance des informations qu'elles contiennent montrent que les Anciens déjà ne disposaient pas de données indiscutables.

Pour déterminer la date approximative de son existence, l'on se fonde principalement sur des pratiques et des objets qui, présents dans les textes, peuvent être datés par l'histoire et l'archéologie. Ainsi le combat en phalange, les décorations d'une tête de Gorgone, les chaudrons à trépied, entre autres, ne pouvaient être connus avant le VIIIe siècle. Autre indice historique, la notoriété des deux épopées semble établie au tout début du VIIe siècle, puisqu'on en trouve des échos dans des sources littéraires de cette période (par exemple Hésiode, Archiloque) et que des scènes homériques commencent à figurer dans les vases vers 680 av. J.-C.

La région d'origine d'Homère, comme sa langue en témoigne, est la région ionienne en Asie Mineure (aujourd'hui la Turquie). Des sept localités qui se disputaient l'honneur de lui avoir donné naissance, Smyrne et l'île de Chios sont les plus probables. En dehors de ces indications concernant la date et la patrie du poète, nous ne pouvons faire que des suppositions. Peut-être était-il lui-même aède, autrement dit chanteur ou récitant professionnel reconnu. Un passage de L'Odyssée (8, 62-103) nous montre un aède à l'œuvre dans le palais d'Alkinoos; il est entouré de respect et d'égards. La tradition voulait qu'Homère fût aveugle mais la cécité était souvent liée à l'idée d'inspiration. Quant aux étymologies de son nom, « celui qui ne voit pas » ou bien l'« otage » ou bien « celui qui réunit », on pencherait pour la dernière comme reflétant les réunions festives où les poèmes étaient récités.

Dans l'Antiquité on considérait aussi comme œuvres d'Homère l'ensemble du Cycle épique, ainsi que la Batrachomyomachie, le Margite (poème comique perdu) et les Hymnes. Mais les critiques alexandrins déjà ne retenaient comme authentiques que L'Iliade et L'Odyssée. L'Iliade traite un épisode crucial de la guerre de Troie (ou Ilion), la colère d'Achille. L'Odyssée raconte le retour d'Ulysse (Odysseus) dans sa patrie, Ithaque, après vingt ans d'absence, dix au siège de Troie et dix pour le voyage du retour.

Tandis que les événements racontés dans les poèmes remontent à la fin de l'époque mycénienne (XVIe-XIIe siècles av. J.-C.) la composition, elle, date du VIIIe siècle. Ainsi, quatre siècles au moins séparent le sujet et la narration, siècles qui ont vu des événements historiques extrêmement importants mais peu connus. Ce vaste laps de temps influe de plusieurs manières sur les épopées d'Homère; c'est pourquoi nous l'évoquons ici succinctement.

Vers le milieu du IIe millénaire avant notre ère, la civilisation mycénienne (du nom de la citadelle de Mycènes, siège du roi Agamemnon) s'étend sur plusieurs localités du continent et des îles grecs. Ayant assimilé les influences de la civilisation crétoise, elle succède à celle-ci comme puissance économique et surtout militaire. Les Mycéniens sont les Achéens (ou Argiens ou Danaens) d'Homère. Ils accomplirent vers 1200 une expédition contre Troie. Mais ils étaient alors proches de leur propre fin. La tradition attribue leur destruction à l'invasion dorienne qui marqua, avec la fin de l'ère mycénienne, le début du « Moyen Âge grec », XIe-IXe siècles, dits obscurs. Les recherches sur cette période n'ont pas encore éclairci tous les problèmes. Dans la perspective des épopées homériques, il est plausible de supposer que les Mycéniens qui, fuyant la catastrophe, s'installèrent sur la côte ionienne amenèrent avec eux leur patrimoine de légendes et le souvenir d'un passé glorieux, qui devint le matériau des épopées.

Nous abordons ainsi la question de la genèse des épopées. Homère n'a pas conçu L'Iliade et L'Odyssée « ex nihilo »; tout porte à croire qu'il a puisé dans une longue tradition de poésie composée et transmise oralement. L'oralité étant un élément fondamental, non seulement pour la compréhension des modalités de création mais aussi pour l'appréciation de l'esthétique même de l'épopée homérique, nous mentionnerons ici les travaux qui en révélèrent les mécanismes. À cet égard les recherches de l'Américain Milman Parry (1902-1935) sont véritablement inaugurales. Il les conduisit en 1933-35 en Yougoslavie auprès de bardes qui maintenaient encore vivante la tradition de la composition orale. Il put constater qu'ils produisaient des poèmes qui comptaient jusqu'à plusieurs milliers de vers sans aucun recours à l'écriture. La teneur littéraire de ces productions n'est évidemment pas à comparer avec les poèmes d'Homère; mais l'analyse de leurs techniques nous aide à expliquer celles des aèdes. Le rôle de la mémoire — infiniment plus développée dans les sociétés sans écriture — est ici primordial. Le compositeur doit en effet posséder l'énorme répertoire des thèmes traditionnels ainsi que des moyens mnémotechniques particuliers tant à l'échelle du vers qu'à celle du chant. En effet, dans ce type de composition où la mémoire est si importante, l'élément de base ne se limite pas au mot isolé. Il est constitué le plus souvent par des expressions stéréotypées — les « formules » — pour reprendre le terme consacré mais de définition variable. Les formules sont constituées par des agrégats de mots qui occupent l'un des trois ou quatre segments naturels de l'hexamètre ou un vers entier ou un groupe de vers. Or l'un des traits saillants du style homérique consiste précisément dans la récurrence de groupes de vers ou de locutions. On connaît les tournures telles qu'« Achille aux pieds rapides », « du navire à la proue azurée », « à peine avait paru l'Aurore aux doigts de roses ». Formules « toutes faites », sans doute, mais que le poète singulier manie avec souplesse dans le contexte prosodique, et que des générations d'aèdes ont portées de leur côté à un degré élevé d'affinement esthétique en rejetant la cheville insignifiante et en recherchant l'insertion organique de la formule dans le fil du discours. Lors de chaque récitation l'aède faisait jaillir le chant en combinant la mémorisation (des thèmes traditionnels et des expressions formulaires) et l'improvisation (adaptation aux circonstances précises de la séance). Un chant traditionnel ne devait compter que quelques centaines de vers. L'Iliade (15537 vers) et L'Odyssée (12109) dépassent de beaucoup ces dimensions. La création des poèmes de cette envergure s'explique peut-être par la rencontre d'un poète extraordinaire avec une tradition parvenue à son sommet à cette époque de plein épanouissement que fut le VIIIe siècle grec.

Ce poète, Homère, a-t-il existé ou non ? Voilà, en simplifiant, la fameuse question homérique. Il s'agit en effet de savoir si les deux épopées sont constituées de chants d'origines diverses, plus ou moins bien réunis, sans véritable contrôle de l'ensemble (thèse des analystes) ou bien si L'Iliade et L'Odyssée, par leur cohérence et leur unité littéraire, sont le résultat de l'acte créateur d'un auteur unique (thèse des unitaires). Dans l'Antiquité et jusqu'au XVIIe siècle cette question ne se posait pas: les critiques alexandrins déjà avaient certes discuté sur les interpolations probables et autres interventions visibles au sein des textes, mais l'existence d'un poète créateur (soit un seul poète pour les deux épopées, soit deux poètes, un pour L'Iliade et un pour L'Odyssée) ne faisait pas de doute. L'émergence de la question à la fin du XVIIIe siècle peut s'expliquer par un certain climat régnant qui exaltait l'œuvre anonyme issue du génie populaire. À cela s'ajoutaient l'absence d'informations crédibles sur la vie d'Homère, le doute qu'un homme ait pu créer des poèmes de cette envergure sans recours à l'écriture, et certains éléments qui dans la composition des épopées étaient jugés incohérents. La question fut posée pour la première fois par les Conjectures académiques ou dissertation sur Homère de l'abbé d'Aubignac, écrites en 1664 et publiées en 1715. Mais ce n'est que depuis les Prolégomènes à Homère de F. A. Wolf en 1795 que les philologues se sont divisés en « analystes » et « unitaires ».

Jusqu'au début du XXe siècle les théories analystes ont occupé presque tout le terrain des études homériques: le travail a consisté surtout à éliminer des vers, déplacer des épisodes, distinguer les éléments récents des anciens, disséquer le texte afin de reconstituer un hypothétique « texte originel ». Pour les analystes, il ne peut pas ne pas y avoir plusieurs mains. En philologues rigoureux ils tirent argument de détails enfreignant la stricte cohérence (le nombre grammatical du « duel » pour un groupe de trois ambassadeurs, un personnage, mort au chant 5 de L'Iliade, pleure son fils tué au chant 13). Dans l'ordre de la trame, tel silence, telle reprise de scène ou tel retardement sont autant d'indices à l'appui de leur thèse pluraliste. De cela même les unitaires, littérairement plus fins, déduisent justement le contraire, c'est-à-dire les signes d'une conception unique de l'ensemble. Ces procédés seraient alors voulus à des fins architecturales. La querelle de l'unité s'est actuellement apaisée, et l'idée d'un acte créateur unique s'est imposée même auprès des néo-analystes modérés.

Les recherches des dernières décennies ont envisagé la poésie orale d'une autre manière. On a vu en elle un moyen de conservation et de transmission du savoir au sein de sociétés sans écriture, le langage formulaire et la versification facilitant la mémorisation et assurant l'exactitude. Or les poèmes homériques, sans que l'on puisse les réduire au rôle d'« encyclopédie tribale », véhiculeraient des souvenirs très anciens. Dans ce contexte la vieille question des rapports entre Homère et les réalités historiques peut se poser d'une manière renouvelée. La découverte au XIXe siècle des sites mycéniens et troyens a confirmé avec éclat l'existence historique des royaumes mentionnés par Homère. Notre connaissance croissante du IIe millénaire éclaire plus d'un aspect du monde homérique, mais démontre aussi que ce monde ne correspond ni à une période historique ni à une région précises: il est fait d'éléments repérables sur toute la trajectoire qui va de l'âge du bronze finissant — époque du contenu — au début de l'âge du fer — époque de la composition. Ainsi dans le domaine de la guerre, par exemple, coexistent des objets de grande ancienneté (le casque aux dents de sanglier) et des pratiques beaucoup plus récentes (la bataille en phalange d'hoplites).

La langue d'Homère ne correspond pas non plus à celle d'une région ou d'une époque uniques. Il s'agit d'un amalgame de dialectes grecs: la base en est l'ionien auquel se mêle l'éolien et l'attique, ce dernier ayant été probablement renforcé lors de la mise par écrit effectuée à Athènes au VIe siècle av. J.-C. Ces premiers textes, biens précieux pour les rhapsodes, sont peut-être liés à l'instauration de la récitation intégrale des poèmes au cours de la fête des Panathénées. Trois siècles plus tard, l'activité philologique des érudits alexandrins fut décisive pour la transmission du texte — nos éditions lui en sont tributaires.

La fortune d'Homère connut une continuité incomparable. Son interprétation fleurit à des époques aussi différentes que le Ve siècle grec et les siècles chrétiens: en l'allégorisant, ou en le moralisant comme on dira au Moyen Age, chacun y chercha et trouva un « sens caché ». C'est dire aussi qu'il exerça une influence immense sur notre civilisation dont il semble une sorte de point de départ littéraire. Il constitua la base de l'éducation à l'époque classique, puis hellénistique et ensuite à Rome. On y trouva exemples et motifs propres à assurer l'instruction littéraire; on y puisa aussi des modèles de vie.

À plus d'un titre l'homme occidental peut voir dans L'Iliade et L'Odyssée des œuvres fondatrices. Avant la grande expérience des tragiques, qu'elles influencent, elles dépeignent pour la première fois l'être humain face à un destin qu'il a conscience de devoir accomplir. En outre le héros homérique, au-delà des pulsions qui l'animent et des forces surnaturelles au sein desquelles il se meut, nous offre l'image inaugurale de quelqu'un qui finit par se reconnaître en l'autre et à voir en lui un homme, fût-il son ennemi: dans la scène qui dépeint la rencontre entre Priam et Achille au terme de L'Iliade, c'est une certaine idée de l'homme qui commence son cheminement.

Fani Tripet-Pedis,

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Paris, mercredi 24 avril 2024