Écrivain et juriste humaniste français, Étienne de La Boétie est né le 1er novembre 1530 à Sarlat (Dordogne).
Il appartient à une famille de petite noblesse de robe. Son père, Antoine de La Boétie, lieutenant du Sénéchal de Périgord, étant mort prématurément, il est élevé par son oncle, sieur de Bouilhonnas, un prêtre féru de droit et de lettres classiques. Il est éduqué dans le vaste mouvement humaniste de la Renaissance qui, sous l'impulsion de l'évêque Nicolo Gaddi, cousin des Médicis, est particulièrement actif à Sarlat. On ignore s'il étudie au collège de Guyenne mais il termine ses humanités à l'université d'Orléans qui s'illustre à l'époque par des maîtres brillants dans les domaines de la philologie, de l'histoire, de la poésie classique et du droit romain, toutes matières où le jeune étudiant excelle. En 1552, il publie son Discours de la servitude volontaire. Le 23 septembre 1553, il obtient le grade de licencié en droit civil.
En 1554, il épouse Marguerite de Carle, fille du président du Parlement de Guyenne, plus communément appelé "Parlement de Bordeaux", qui siège comme Cour de justice souveraine. Dès le mois de mai, on lui confie, après serment et avec une dispense d'âge, un office de Conseiller de cette institution dont la juridiction s'étend de Bayonne à Limoges et dont les principales missions sont de dispenser la justice royale et faire régner l'ordre dans la province.
C'est à Bordeaux, en 1557, qu'il fait la connaissance d'un nouveau Conseiller de la cour des Aides de Périgueux muté à la Cour de Bordeaux: Michel de Montaigne, son cadet de deux ans. La grande amitié qui lie bientôt les deux jeunes humanistes deviendra célèbre et c'est grâce à cette relation que La Boétie doit de ne pas être oublié. Ce fut le "type de l'amitié-passion", née soudain "avec l'imprévu et la rapidité de l'amour", dit Sainte-Beuve. En vers latins, La Boétie célèbre d'ailleurs entre eux ce "mariage des âmes". Après la mort de son ami, Montaigne portera son deuil et vivra dans le culte de sa mémoire. Grossissant son importance, lui si peu prodigue en admiration, il le proclamera le "plus grand homme" de tout le siècle et fera de lui un génie méconnu ayant, "tout le long de sa vie, croupi méprisé aux cendres de son foyer domestique".
En 1560, le Chancelier de France Michel de L'Hospital, auteur d'un Traité de la réformation de la justice et fervent partisan de la tolérance et de la conciliation, demande à La Boétie d'intervenir pour l'aider à pacifier dans le midi aquitain le violent conflit entre catholiques et protestants. Il accompagne Charles de Coucy, lieutenant général de Guyenne, en mission de pacification dans l'Agenais. Vers la fin de l'année 1561, il rédige un important Mémoire sur la pacification des troubles, sans doute pour préparer la très prochaine assemblée du Parlement de Bordeaux, favorable au catholicisme des Guise. La Boétie parvient à faire comprendre aux parlementaires le sens de la nouvelle politique de tolérance et leur annonce la réunion d'un colloque national visant à préparer la réconciliation au sein de l'Église chrétienne.
Le 17 janvier 1562, la Régente Catherine de Médicis, conseillée par Michel de L'Hospital, fait signer au roi Charles IX, alors âgé de 12 ans, le fameux Édit de Janvier — ou Édit de tolérance — qui autorise chacune des confessions à exercer son culte et à s'assembler dans ses propres églises, soustrayant ainsi les huguenots à la vindicte des catholiques. La Boétie en donne un commentaire, intitulé Mémoire sur l'Édit de Janvier 1562 où, tout en restant favorable au catholicisme comme religion d'État, il exprime son espoir dans les vertus éthiques de la tolérance et son profond désir de conciliation entre les communautés religieuses. Ses discours d'apaisement et ses efforts diplomatiques, tout comme ceux de son ami Montaigne alors chargé de mission à la Cour, ne parviendront cependant pas à stopper le conflit. En décembre 1562 il est de nouveau incorporé dans un bataillon militaire de Charles de Coucy pour arrêter une troupe de huguenots avançant vers Bordeaux.
Le 9 août 1563, il tombe soudainement malade, peut-être atteint de dysenterie ou de tuberculose, ou peut-être victime de l'épidémie de peste qui sévit alors dans la région. Il demande qu'on le transporte sur l'une des terres de sa femme, en Médoc, mais il doit faire halte à Germignan, près de Bordeaux, chez le Conseiller Richard de Lestonnac, beau-frère de Montaigne. Le 14 août, son état a empiré. Il se sait mourant et rédige son testament. Un prêtre lui rend visite, Montaigne se rend à son chevet (il rédigera plus tard une lettre à son père rendant compte des derniers moments de son ami). Lorsque Étienne de La Boétie meurt à Germignan, le 18 août 1563, à l'âge de trente-trois ans, il laisse des traductions de Plutarque, de Xénophon et de l'Arioste, des lettres, des sonnets et des poésies latines d'inspiration stoïcienne. Montaigne réunit ses manuscrits et publie en 1571 un recueil de ses œuvres chez l'imprimeur Frédéric Morel, omettant toutefois le Discours de la servitude volontaire et le Mémoire sur la pacification des troubles car il trouve, dit-il, "la façon trop délicate et mignarde pour les abandonner au grossier et pesant air d'une si mal plaisante saison". Il envisage toutegois de placer le Discours au centre du premier livre de ses Essais.
Le Discours de la servitude volontaire est l'ouvrage le plus connu de La Boétie. Œuvre pleine des résonances des discours de l'Antiquité classique, ce bref réquisitoire fait écho aux luttes politico-religieuses intestines du milieu du XVIe siècle mais c'est avant tout une prise de position contre la tyrannie sous toutes ses formes, même s'il ne semble pas que La Boétie, alors jeune magistrat, ait alors songé à s'attaquer à la monarchie. Son écrit reste théorique, inspiré par la passion antique pour la liberté. Sa thèse principale est de montrer que tout pouvoir a un caractère arbitraire et que la servitude des peuples est due à son son manque de volonté réelle de reconquérir sa liberté naturelle. Si le peuple se contentait ne serait-ce que d'un refus passif du pouvoir, celui-ci tomberait, mais en réalité le peuple préfère le système de faveurs et de privilèges assuré par le pouvoir, à son propre droit à la liberté. Le pamphlet dévoile cependant les frontières que la nature et Dieu assignent à la tyrannie et avertit que la patience des peuples n'est pas sans limite. Passée cette limite, le refus et la révolte deviennent légitimes. Implicitement, La Boétie reconnaît qu'il n'y a pas de pouvoir qui ne doive s'appuyer sur le consentement des sujets. Le Discours est un des tout premiers maillons de cette chaîne qui aboutira aux pamphlets de la Révolution française de 1789. Il est caractéristique que ce soit un jeune humaniste qui prêche ainsi la haine contre les tyrans et que ce soit la culture des lettres classiques qui dicte cet appel à la liberté. Bien que peu porté aux innovations littéraires, La Boétie écrit dans un style vigoureux, impétueux, généreux et qui, malgré son éloquence, reste toujours simple et naturel.
Montaigne indique que le Discours de la servitude volontaire a été composé vers 1546-1548, mais ce fut plus vraisemblablement en 1552-1553 car il porte trace de faits dont la consignation ne peut être antérieure à ces années-là. Un long fragment du texte paraît en 1574, d'abord en latin dans les Dialogi ab Eusebio Philadelpho cosmopolita (Dialogues d'Eusèbe Philadelphe, Cosmopolite), puis la même année en français dans le Réveille-Matin des Français et de leurs voisins (2e dialogue), enfin en entier en 1576 dans les Mémoires des États de France sous Charles IX, recueil d'écrits calvinistes et antimonarchiques de Simon Goulard. À cette époque, le texte est plus couramment appelé Le Contr'un, mais le titre que La Boétie lui avait donné est bien, selon Montaigne: Discours de la servitude volontaire. Le texte a constitué et constitue encore un élément de référence pour de nombreux mouvements libertaires de contestation politique et de désobéissance civile qui se sont succédé en France et à l'étranger: Il sera largement utilisé au XVIe par l'opposition calviniste à la monarchie catholique puis par l'opposition catholique à Henri IV (le texte étant toutefois détourné de son sens premier à des fins de propagande religieuse), mais aussi ensuite à chaque époque troublée: en 1789 par la contestation révolutionnaire de Marat d'abord puis du cercle de Babeuf, sous la Restauration, à la fin du XVIIIe siècle, au XIXe par le socialiste chrétien Lamennais qui le réédite comme arme contre la monarchie de Juillet, au début du XXe par l'anarchiste révolutionnaire Gustav Landauer, pendant la Seconde Guerre mondiale par la Résistance qui le diffuse en anglais sous le titre d'Anti-Dictator (1942), récemment encore, pendant l'épidémie de Covid-19, contre la tyrannie des autorités sanitaires.
Jean Bruno,
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Paris, lundi 14 octobre 2024