Empereur et philosophe romain de la "gens" espagnole Annia, écrivant en grec, Antonin Marc-Aurèle est né à Rome le 26 avril 121 après J.-C..
Enfant charmant par sa franchise ingénue, il plaît à Hadrien qui, jouant sur le nom de son père, Annius Verus, l'appelle "Verissimus", et l'adopte en ordonnant à son héritier Antonin d'en faire autant: c'est ainsi que Marc Aurèle est élevé au palais impérial et que, pendant les vingt-trois ans du règne d'Antonin, les plus heureuses de Rome, il apprend l'art de gouverner, en respirant la "suavitas morum" d'Antonin. Mourant, ce dernier donne l'ordre de transporter la statue de la Victoire dans les appartements de Marc Aurèle pour symboliser la transmission des pouvoirs de l'Empire (161).
Malheureusement, après une telle "félicitas", les dix-neuf années où Marc Aurèle exerce le pouvoir comptent parmi les périodes les plus catastrophiques de l'Empire romain à cause des menaces des barbares, des révoltes, des maladies épidémiques et des crises de toute nature. À cet esprit si ami de la paix et de la méditation, l'histoire confie des tâches matérielles lourdes s'il en est, qui lui font une vie mouvementée.
À la suite ininterrompue de guerres et de calamités qui accablent l'Empire, Marc Aurèle oppose cependant la sérénité de la force morale et l'énergie du sentiment du devoir. On voit des jours où ce maître du monde se trouve dans l'obligation de vendre aux enchères les trésors impériaux afin d'équiper une nouvelle armée composée d'esclaves, de fuyards, de gladiateurs, pour la campagne qui aboutit à la soumission des Marcomans (172) et des Quades (174).
C'est un fait curieux qu'un empereur romain ait appris le secret d'une telle force grâce à l'enseignement écrit d'un affranchi phrygien, Épictète (auquel il a été initié par le stoïcien Junius Rusticus), et qu'il ait aimé la liberté comme l'a aimée ce malheureux esclave, au point d'être un César qui a horreur de "césariser" (le verbe est inventé, avec haine, par Marc Aurèle lui-même).
Car cet homme qui gouverne une si grande partie du monde, et ne connait pas une heure de calme dans son prétoire ambulant, conserve malgré tout son habitude de jeunesse d'écrire la nuit. Il se sert de la langue romaine dans sa correspondance (échangée avant son accession à l'Empire) avec son ami et son maître Marcus Cornélius Fronton, où il traite de sujets d'étude, de questions de style, donne des nouvelles de sa santé fragile, compromise d'ailleurs par son rigide ascétisme. Mais, empereur, il écrit en grec quand il se parle à lui-même et se place devant sa conscience.
Marc Aurèle, à Carnuntum, écrit son Ta eis heauton (Pensées pour moi-même) en douze livres, sans doute pour oublier le tumulte de la journée précédente, passée à se battre. Stoïcisme? Certes, bien que son œuvre ne soit pas un traité de philosophie stoïcienne — elle ne comprend ni le dogme impitoyable d'Épictète ni le ton professoral et théorique de Sénèque —, elle a quelque chose de tout à fait propre à Marc-Aurèle, c'est-à-dire la manière humaine, intime et émouvante dont il transforme la doctrine en un constant examen de conscience. Le constat de vanité et de caducité des choses le pousse à chercher une raison profonde à l'univers. Toute réalité est l'élément d'un organisme divin, unique, ordonné et harmonieux. L'homme, composé de trois principes: corps, âme, esprit, occupe une position centrale dans le cosmos. L'esprit, élément divin en chaque individu, guide son action. La prise de conscience de sa participation au divin doit ramener l'homme à sa vie intérieure, pour qu'il retrouve la paix. On remarque que subsiste dans ces Pensées le contraste entre deux thèmes fondamentaux: le cynique et le stoïcien, pour lesquels l'indifférence envers toute cause extérieure, est atteinte soit par le mépris du monde extérieur, soit par la croyance opposée que tout est parfait en ce monde et qu'il est vain de vouloir changer le cours des choses puisqu'il est voulu par Dieu. De cet antagonisme naissent parfois un scepticisme et un pessimisme sur le sort final du monde et de l'individu. Il s'ensuit une compassion fraternelle pour tous les hommes et un fond de tristesse qui imprègne tout l'ouvrage.
Dans ses rapports avec les chrétiens, Marc-Aurèle adopte l'attitude juridique de Trajan: ne pas les rechercher mais les châtier s'ils sont dénoncés et se refusent à célébrer le culte de la religion ancestrale. Bien plus que la persécution, c'est son jugement très dur à leur égard qui compte, et leurs défenseurs, bien qu'il refuse de les entendre, ne font pas figurer le sage empereur au nombre des persécuteurs.
Marc-Aurèle est mort à Vindobona (aujourd'hui Vienne) le 17 mars 180 après J.-C., à l'âge de 58 ans.
Vincenzo Cilento,
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