Écrivain français, Robert Pinget est né le 19 juillet 1919 à Genève (Suisse), où il étudie le droit tout en s'adonnant à la poésie, à la musique et à la peinture.
Il renonce à la profession d'avocat en 1946 et entre aux Beaux-Arts à Paris dans l'atelier de Jean Souverbie, un disciple de Georges Braque: période de vaches maigres où il voyage beaucoup, dans des conditions souvent précaires (Espagne, Afrique du Nord, Yougoslavie, Israël). Il fait ses adieux à la peinture en 1950 lors d'une exposition boulevard Saint-Germain, survit grâce à des travaux de rédaction (la révision du Dictionnaire des Oeuvres de Laffont-Bompiani), participe à la création de Jours de France.
Ses débuts littéraires sont cahotiques: après un premier livre assez composite, Entre Fantoine et Agapa, à compte d'auteur à La Tour de feu en 1951, il est publié successivement chez Robert Laffont (Mahu ou le matériau) et chez Gallimard (Le Renard et la boussole), avant de trouver son havre aux Éditions de Minuit.
Jérôme Lindon publie une version abrégée de Graal flibuste en 1956, rachète les droits des premiers ouvrages et publiera l'ensemble de son oeuvre. Désormais, Robert Pinget défend les couleurs du nouveau roman; il participera aux colloques de Cerisy (1971) et de New York (1982) sur ce sujet. Il reçoit le prix des Critiques pour L'Inquisitoire (1962) et le prix Femina pour Quelqu'un (1965).
Mais c'est le théâtre qui le fait vivre, et les commandes de la radio. Jean Vilar accepte sa première pièce, Lettre morte, pour le Théâtre Récamier en 1960, Samuel Beckett adapte La Manivelle en anglais pour la BBC la même année. Architruc est repris au Théâtre-Français en 1971, à l'initiative de Pierre Dux, et L'Hypothèse est joué par Pierre Chabert à l'Odéon-Théâtre de France, dans une mise en scène de Beckett. Le Festival d'Avignon lui apporte la consécration en 1987: la Comédie-Française y présente deux pièces, La Manivelle et Abel et Bela, Chantai Morel reprend Lettre morte et David Warrilow recrée L'Hypothèse dans une mise en scène de Joël Jouanneau. En 1990, le dramaturge reçoit le grand prix national des Lettres.
Les premières oeuvres de Robert Pinget sont capricieuses et fantaisistes. Il cherche sa voie dans la nouvelle (Entre Fantoine et Agapa), la relation de voyage, réel ou parodique (Le Renard et la boussole, Graal flibuste), la fausse confession (Baga, Clope au dossier). Le Fiston amorce l'évolution formelle du roman: la seconde partie du récit reprend la première en la récrivant et la décomposant. L'Inquisitoire, Quelqu'un, Autour de Mortin, Le Libéra constituent l'épine dorsale de l'oeuvre et fabriquent un monde à la fois cohérent et improbable, greffé sur la tradition réaliste — le roman balzacien, avec sa géographie, sa sociologie, son système généalogique, la récurrence des personnages —, mais dévoyé par les contradictions internes, la multiplication des sources de la parole qui gauchissent le récit, embrouillent l'intrigue à plaisir et dissolvent peu à peu un univers à la dérive, balisé fortement toutefois par la permanence des noms propres qui séduisent et accrochent le lecteur (la Lorpailleur, Latirail, Mortin, Levert, Ariane de Bonne-Mesure).
Dans Passacaille, Fable, Cette voix, L'Apocryphe et L'Ennemi, les noms se raréfient, le paysage tend vers le symbolisme (la Ville, la Maison), le calendrier se fait liturgique, le paragraphe devient verset. L'écriture s'exhibe et se représente sous la forme d'un gigantesque chantier dont le dernier mot reste à écrire. Monsieur Songe et la série de ses Carnets (Le Harnais, Charrue, Du nerf, Taches d'encre) présente sous une forme humoristique un autoportrait narquois de l'écrivain-moraliste et des affres de l'écriture.
Le théâtre a popularisé l'oeuvre romanesque de Pinget. Nombre de pièces sont une adaptation des romans, soit littérale (La Manivelle, extrait de Clope, L'Inquisitoire), soit ingénieusement recomposée: Lettre morte, issue du Fiston; Architruc, tiré de Baga. On peut considérer L'Hypothèse comme la seule grande pièce représentative du nouveau roman, avec la mise en scène vertigineuse de l'écriture et de ses apories. Le drame de l'écrivain forme aussi la trame d'Identité et de Paralchimie que complète un ironique traité de la dramaturgie sous forme de dialogue, Abel et Bela.
Pinget est également l'auteur d'un important théâtre radiophonique, partiellement regroupé dans Un testament bizarre. On fera une place à part à Autour de Mortin, porté à la scène par Jacques Seiler en 1979: évocation d'un écrivain disparu, à travers des interviews contradictoires, complétés vingt ans plus tard par un ultime démenti (Mortin pas mort).
Robert Pinget est mort à Tours le 25 août 1997, à l'âge de 78 ans. Que reste-t-il de l'écrivain après sa mort ? Un tissu de rumeurs, d'insinuations, un vaste malentendu sur une "gloire" dont on s'efforce de le dépouiller. Heureusement, sa vie est passée dans ses livres, l'écriture est l'instrument de la survie.
Jean-Claude Lieber,
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Paris, mercredi 11 septembre 2024