Écrivain français, Antoine François Prévost d'Exiles, dit l’abbé Prévost, est né à Hesdin (Pas-de-Calais) le 1er avril 1697.
Réduit aujourd’hui au seul roman Manon Lescaut, Prévost est pourtant une figure importante de la vie intellectuelle des Lumières en France, et l’un de ses plus grands romanciers.
Issu d’une famille de notables provinciaux – son père est avocat au Parlement et procureur –, il fait des études au collège d’Hesdin. Il commence deux noviciats chez les jésuites, interrompus par deux engagements militaires, et entre les deux, « après une affaire malheureuse », chez les bénédictins de Jumièges (1720). Cet asile va se révéler pour lui un tombeau dont il ne sort que huit ans plus tard.
Tout en poursuivant ses études de théologie, qui conduisent à son ordination en 1725, il contribue à des publications érudites et fait passer en Hollande un récit libertin et satirique sur la Régence intitulé Les Aventures de Pomponius, chevalier romain (1724). En 1728, il rompt avec son ordre, et publie les deux premiers tomes de son premier vrai roman les Mémoires et aventures d’un homme de qualité. Il inaugure ainsi une nouvelle existence, vouée à l’aventure et à la littérature.
Il tente de vivre de sa plume, et en une douzaine d’années écrit l’essentiel de son œuvre, poursuivi par les faillites, les scandales, les polémiques. Il découvre d’abord avec enthousiasme l’Angleterre, qu’il doit quitter, soupçonné d’avoir voulu épouser la fille de son employeur. Commence en Hollande une période de troubles financiers et sentimentaux, et de riche création littéraire : il achève les Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde, y insère L’Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut (1731), et commence son deuxième grand roman, Le Philosophe anglais ou Histoire de M. Cleveland, fils naturel de Cromwell (1731).
Il fait amende honorable, revient en France, obtient sa réintégration chez les bénédictins. L’abbé Prévost se consacre dès lors en partie à son journal, le Pour et Contre (1733-1740) et entame un roman plus prudent, Le Doyen de Killerine (1735). Polémiques et folles dépenses provoquent de nouvelles errances, également propices à l’écriture. Il achève le Doyen et Cleveland, publie deux biographies historiques, Histoire de Marguerite d’Anjou (1740) et Histoire de Guillaume le Conquérant (1742), ainsi que trois romans assez courts, proches par leur propos ambigu, leur ton désenchanté et leurs personnages libertins : Histoire d’une Grecque moderne en 1740, Mémoires pour servir à l’Histoire de Malte et Les Campagnes philosophiques, ou Mémoires de M. de Montcal en 1741.
L’abbé Prévost rentre ensuite en France et se consacre à des travaux d’édition et de traduction qui lui apportent la stabilité financière et une respectabilité que le genre encore décrié du roman ne pouvait lui procurer. Il renonce à la fiction, à deux brèves exceptions, les grêles Mémoires d’un honnête homme (1745) et le décousu Monde moral ou Mémoires pour servir à l’histoire du cœur humain (1760-64). Il traduit une Vie de Cicéron (1743) puis des Lettres de Cicéron (1744), et publie les Voyages du capitaine Robert Lade en différentes parties de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique.
En 1745, soutenu par le pouvoir, il lance par souscription Histoire générale des voyages, librement adaptée de l’anglais. Cette vaste entreprise se poursuivra jusqu’en 1759 à raison de 15 volumes entre 1746 à 1759. 5 autres volumes seront publiés à titre posthume entre 1763 et 1789. Elle précède l’Encyclopédie et obéit à la même intention : rassembler les connaissances acquises sur les peuples et les continents, et offrir ainsi la matière d’une réflexion anthropologique et philosophique.
L’abbé Prévost continue parallèlement à faire connaître la culture anglaise, traduisant (non sans opérer des coupes) les deux grands romans de Samuel Richardson, Clarisse Harlowe en 1751 et Histoire de sir Charles Grandison (1755-1758), et des romans moins connus de Richard Brinsley Sheridan et John Hawkesworth. Il adapte de l’anglais un dictionnaire, le Manuel lexique ou Dictionnaire portatif des mots françois (1750-1755), et prend un moment la direction du Journal étranger (1755). Tous ses romans sont régulièrement réédités, d’amples œuvres choisies paraissent en 1783-1785 puis en 1810-1816. Mais bientôt on ne retient de l’ensemble de son œuvre que le seul Manon Lescaut.
Prévost est pourtant l’un des plus grands romanciers français du XVIIIe siècle, le seul qui ait utilisé le genre romanesque pour construire un univers complexe, personnel, varié, sensible à la place du sujet dans l’histoire et la société comme à sa recherche de liberté et à sa quête anxieuse d’une vérité intérieure. Dans une période de méfiance à l’égard de la fiction, il renoue avec la tradition baroque et exploite toutes les ressources du romanesque : intrigue complexe, renversements, coups de théâtre, comportements extrêmes, violences et désirs brutaux. Il confère à ce romanesque une tonalité spécifique qui trouve son prolongement dans le roman noir et le romantisme : décors gothiques, hantise de la claustration, jouissances du deuil, errances, insatisfactions infinies, mélancolies.
Ainsi peint à larges touches, l’univers de Prévost frappe surtout par son implacable cohérence et son intensité métaphysique. Le romancier tranche en effet sur ses contemporains en se plaçant dans une perspective religieuse, et en montrant des personnages aux prises avec la morale et l’interdit de la loi. Mais s’il inscrit à l’horizon de ses œuvres les principes de la responsabilité et de la culpabilité, c’est pour les remettre en question, sinon les dissoudre : la norme répond à un désir de l’homme et à un besoin social mais se dérobe face aux pouvoirs anarchiques de la passion et aux incitations de la nature. Prévost aime en particulier représenter ses héros découvrant les conséquences paradoxales de leurs projets ou de leurs actions, entraînés dans une terrible logique qu’ils ne maîtrisent pas, auteurs involontaires de leurs crimes et de leurs malheurs. Pour créer cette impression d’obscurité et de tragédie, il exploite dans tous ses romans le même procédé narratif des mémoires fictifs : tout est vu dans l’optique subjective d’un personnage qui veut rétrospectivement comprendre ce qui lui est arrivé, et percer à jour ce que les autres ont bien voulu lui laisser voir ou lui ont dit.
Le récit de Prévost est constitué en grande partie par les discours de ses protagonistes, qui ont cherché à lui imposer leurs propres visions, ou à l’entraîner dans leurs constructions imaginaires : la « réalité » n’existe que dans le mouvement passionné pour l’interpréter, la susciter ou y substituer ses rêves, et cet aspect contradictoire et fuyant des êtres et des choses vient compromettre les différentes catégories morales et religieuses qui sont alléguées pour les appréhender ou contribuer à les modifier. Son univers, porté par l’inquiétude, perpétuellement sous tension, est ainsi l’expression d’un moment historique où le sujet, perdant ses repères métaphysiques et politiques, voit s’ouvrir à lui la liberté non seulement de faire l’histoire mais aussi de se définir lui-même. Lire l’abbé Prévost, c’est revenir au moment ou l’homme moderne se découvre.
Antoine-François Prévost est mort à Courteuil, près de Chantilly, le 25 novembre 1763, à l’âge de 66 ans.
J.-P. S.,
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Paris, mardi 15 octobre 2024