Écrivain polonais, Bruno Schulz est né et mort à Drohobycz (Galicie orientale, aujourd'hui en Ukraine) le 12 juillet 1892.
Fils d'un drapier juif, dont la boutique et ses environs forment le théâtre mythique de ses nouvelles, il fait des éludes d'architecture et de peinture à Lwow puis à Vienne. Il revient dans sa ville natale en 1924, pour occuper un poste de professeur de dessin et travaux manuels au lycée. Il ne quittera plus la ville où il passe une existence, que décrivent ses lettres, anxieuse et souffrante.
Dessinateur et graveur, il dessine de drôles de dessins torturés à caractère plus ou moins sado-masochiste: maîtresses-femmes à fouet, vieux juifs bouffons, autoportraits en avorton, spectres sombres, tortueux, grinçants, coupants, "débris d'un miroir cassé" dont Witkiewicz dira plus tard qu'ils sont "des poèmes de la cruauté des pieds et des jambes". Une vingtaine de ces dessins figurent dans le Livre idolâtre, son premier recueil connu, qui ne contient d'autre texte que les légendes des dessins.
Bruno Schulz connaît l'insuccès d'une exposition à Varsovie en 1933, et dès lors se voue à écrire, d'abord à travers une longue correspondance — perdue pour l'essentiel durant la Seconde Guerre mondiale, patiemment retrouvée et publiée en 1975 par Jerzy Ficowski — et quelques articles de critique.
Tout en enseignant le dessin, il fait paraître deux cycles de nouvelles: Les Boutiques de cannelle (1934), et Le Sanatorium au croque-mort (1937). Dans Les Boutiques de cannelle, Schulz livre treize récits d'inspiration autobiographique qui constituent l'histoire d'une famille dans sa signification spirituelle, le secret d'un sang et d'un lignage sous une forme qui touche au mythe. Le père, la mère, les commis de la maison, les servantes, la gouvernante sont les personnages de l'enfance de l'auteur, et le narrateur pourrait bien être identifié à l'enfant qu'il fut, capable toutefois de faire basculer sans transition un récit d'apparence réaliste dans la fantaisie et le fantastique. Il répond en cela aux rêves du père, obsédé jusqu'à la folie par l'ennui moderne, de refaire une création inachevée en des actes esthétiques fugitifs et voués à l'échec, comme d'élever des oiseaux fabuleux ("Les Oiseaux"), ou de repeupler la ville avec des mannequins ("Traité des mannequins"). Au monde ancien, substantiel et secret, que représente, dans la géographie de la ville, la rue des "Boutiques de cannelle", s'oppose le commerce frelaté de la moderne "Rue des Crocodiles", mais l'une et l'autre sont le lieu d'une rêverie, d'un fantasme d'ordre érotique qui jamais ne peut se réaliser. Dans "La Nuit de la grande saison", il réalise son vœu de faire se rejoindre la réalité morne et son possible merveilleux dans l'écriture. Effaçant les clivages du désir, il peut devenir, selon le titre d'une gravure où il s'est représenté en position d'extase masochiste aux pieds d'une belle femme hautaine lisant, "L'Idolâtre du livre": le livre d'un réel hérétique et poétique où le désir et la loi semblent pouvoir se réconcilier.
Il traduit aussi en polonais Le Procès de Franz Kafka, écrivain auquel on le rapproche souvent, en raison notamment d'une thématique imprégnée de culpabilité, d'angoisse, de rapport au Père et de métamorphoses, mais Schulz a sa propre vision et sa propre personnalité littéraire, plus baroque et plus onirique que celle de Kafka. Tout y tourne aux images grotesques, y compris la loi biblique, et tout oscille constamment entre songe, rêve et cauchemar. Le regard qu'il porte sur la folie du monde qui l'entoure est celui d'un peintre.
Son œuvre mêle à des hantises autobiographiques, très présentes dans la correspondance, des thèmes essentiels comme la mythification de la réalité, la lutte démiurgique et quelque peu perverse contre le désenchantement du monde, mais aussi l'énigme de l'objet saisi dans une extase masochiste aux prises avec la Loi. Bruno Schulz les traduit en une écriture marquée par le lyrisme et l'ironie, le fantastique et le réalisme, avec une force poétique dont l'impression sur le lecteur est d'autant plus durable qu'il y consume sa personne même.
Il est remarqué par des auteurs phares de la littérature polonaise moderne comme Stanislaw Ignacy Witkiewicz, Witold Gombrowicz, Tadeuz Kantor et Zofia Nalkowska. Plusieurs revues, dont notamment Les Nouvelles Littéraires, publient des essais critiques où il développe une vue originale de la littérature en Pologne et en Europe au tournant de l'entre-deux-guerres: la création littéraire y prend une allure messianique, orientée par une confrontation de la personne et de l'Histoire, là où s'exprime conjointement, de façon mystérieuse, leur loi profonde.
Bruno Schulz écrit un roman au titre significatif, Le Messie (dont on n'a rien retrouvé), quand la conquête allemande nazie l'enferme dans le ghetto juif de Drohobycz. Il y est assassiné en pleine rue d'une balle dans la nuque, le 19 novembre 1942, par un officier SS jaloux d'un autre qui a fait de Bruno Schulz son esclave.
François Lallier,
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