William Shakespeare

Biographie
William Shakespeare
William Shakespeare

Poète dramatique anglais, William Shakespeare est né à Stratford-on-Avon (Royaume-Uni) en avril 1564. Il est baptisé le 26, et l'on a coutume de célébrer l'anniversaire de sa naissance le 23 avril, fête de saint Georges.

Sa mère descend d'une vieille famille de propriétaires terriens, son père, dont les parents sont cultivateurs, appartient à la corporation des pelletiers et gantiers, et il fait tout d'abord d'excellentes affaires, de sorte qu'on l'élit maire de Stratford. Puis, accablé de procès et victime de son optimisme naturel, il court à la ruine.

William Shakespeare, qui est le troisième de huit enfants, fait ses études à la Grammar School de Stratford, d'excellente renommée, et selon certains, suit même pendant un trimestre ou deux les cours de l'université d'Oxford. Mais, à l'âge de dix-huit ans, il épouse Anne Hathaway, fille de cultivateurs, de huit ans son aînée, et, au cours des trois années qui suivent, a avec elle trois enfants, si bien qu'il doit renoncer à poursuivre ses études.

Avant 1592, on ne possède guère d'indications sur sa vie; on ignore comment et où il vit. Une tradition qui remonte au XVIIe siècle rapporte qu'il est maître d'école à la campagne, et on considère aujourd'hui que cette tradition est encore digne de crédit. Quant à l'autre tradition selon laquelle Shakespeare a dû quitter Stratford pour échapper à sir Thomas Lucy dans la chasse duquel il aurait volé un daim, elle est abandonnée de nos jours: sir Thomas Lucy ne possédait pas de parc renfermant des daims au moment de la jeunesse de Shakespeare.

Il est possible que Shakespeare ait écrit ses premières pièces pour des compagnies de province: en 1592, il se trouve à Londres, et jouit d'une certaine renommée en tant qu'acteur et dramaturge, comme le prouvent l'allusion dédaigneuse faite par Robert Greene dans Deux liards d'esprit et l'appréciation favorable de Henry Chettle, datant de la même année, où il est dit que Shakespeare est protégé par diverses "personnes de qualité". Au vrai, il s'est lié dès 1594, l'on ignore de quelle façon, avec le jeune comte de Southampton, Henry Wriothesley, auquel il dédie deux poèmes, Vénus et Adonis (1593) et Le Viol de Lucrèce (1594), ainsi que la plus grande partie des Sonnets (écrits peut-être entre 1593 et 1597).

La première date marquante de sa carrière dramatique est l'année 1591, s'il faut lui attribuer, comme on pense devoir le faire, la seconde et la troisième partie d'Henri VI. En effet, dans le remaniement qui a été fait de ce drame, on trouve des traits d'un caractère à la fois sentimental et comique qui semblent bien dans sa manière.

Outre le drame historique alors en vogue, Shakespeare aborde la comédie, qui en est encore à ses débuts, avec La Comédie des erreurs et le drame sombre avec Titus Andronicus et Richard III, première de ses pièces imprimée (sous l'anonymat, en 1594). Titus Andronicus et Richard III témoignent de l'influence de Marlowe, cependant que Marlowe s'inspire lui-même de l'Henri VI de Shakespeare pour son Edouard II.

Le génie de Shakespeare transparaît à peine dans ce premier groupe de pièces de théâtre. On suppose parfois que le jeune dramaturge séjourne un certain temps dans le nord de l'Italie entre 1592 et 1594, peut-être en compagnie de Southampton. Ces années coïncident d'ailleurs avec la désorganisation du théâtre londonien, à la suite de l'épidémie de peste. Mais au vrai, cette supposition ne repose que sur le fait que Shakespeare écrit ensuite une série de drames qui se déroulent en Italie et où abondent des détails géographiques assez précis. En fait, il est possible que Shakespeare ait appris ces détails d'un italien résidant à Londres, Giovanni Florio (auteur de manuels de conversation italienne, d'un dictionnaire italien-anglais, et traducteur de Montaigne), qu'il rencontre chez Southampton.

Le comte se montre extrêmement munificent à l'égard de Shakespeare et il est possible que ce soit grâce à sa générosité qu'il devienne actionnaire de la compagnie du lord chambellan. La carrière de Shakespeare s'identifie en effet à l'histoire de ces Chamberlain's men qui, sous Jacques 1er, prennent le nom de King's Men (serviteurs du roi). La compagnie, en honneur à la Cour, connaît une prospérité continue. Shakespeare ne cesse d'écrire des drames, sans faire tort à sa production poétique, puisqu'il compose en tout au moins mille six cents sonnets.

Le ton des sonnets, bien qu'ils fassent leur part aux conventions alors à la mode, atteint à un pathétique que l'on ne trouve généralement pas dans ce genre de poésie, et permet de découvrir un aspect de Shakespeare que l'on ne soupçonne pas chez cet auteur de drames à succès tel que le montrent les documents biographiques qui nous sont parvenus. En 1596, les archives contiennent des indications d'après lesquelles Shakespeare est revenu à sa famille et à son pays natal: on trouve consignées la mort de son fils Hamnet, et une pétition adressée par lui au collège des hérauts pour que celui-ci lui accorde les armoiries à sa famille. En 1597, Shakespeare achète une propriété à Stratford, bien qu'il continue de résider à Londres au cours des années suivantes.

La période qui va de la moitié de 1599 à 1601, c'est-à-dire depuis le départ du comte d'Essex pour l'Irlande jusqu'à l'échec de sa conspiration, coïncide avec une période d'incertitude dans la production de Shakespeare. Conscient de sa force, il semble hésiter à se lancer dans de grandes entreprises, et se contente de donner trois comédies: Beaucoup de bruit pour rien, Comme il vous plaira et La Nuit des rois. Vers la fin du règne d'Elisabeth, il donne toute sa mesure dans le drame historique, atteignant aux plus parfaites réussites avec Richard II, Henri IV, Henri V, et dans la comédie avec Les Joyeuses Commères de Windsor. Mais il n'est pas encore parvenu à écrire des tragédies d'aussi belle venue, bien qu'il se soit essayé à la tragédie sanglante avec Titus Andronicus, car il se contente encore, même s'il les transforme selon son génie propre, de se servir des anciennes méthodes.

C'est ce qu'il fait encore dans Roméo et Juliette et dans Jules César. Mais une nouvelle tragédie, Hamlet, dont la version devait être conçue comme une imitation des premières tragédies de Sénèque, brise ce cadre. Ce que l'auteur veut faire entendre — ces protestations passionnées d'Hamlet devant les sophismes inévitables que produit la pensée — lui impose une forme neuve et plus libre.

La terrible répression qui suit la révolte avortée d'Essex et qui a lieu l'année (1601) où il écrit Hamlet, bouleverse pendant quelque temps la vie du protecteur du poète. D'ailleurs, Shakespeare prête la main au complot, en ce sens qu'il accepte de réciter Richard II la veille du jour où éclate la révolte. Le parti qui s'oppose à la reine met en circulation un parallèle entre Élisabeth et Richard; la scène de la déposition du roi doit déclencher, de l'avis des conjurés, celle de la reine. Toutefois, la compagnie de Shakespeare n'est pas inquiétée lors de la découverte du complot. Mais les paroles d'adieu qu'Horatio adresse à Hamlet mourant: "Bone nuit, doux prince, et que des vols d'anges te conduisent en chantant à ton repos", paraissent, aux yeux du grand critique Malone, faire allusion à celles que prononce Essex lorsqu'il monte sur l'échafaud le 25 février 1601: "Quand ma vie se séparera de mon corps, envoie tes anges bienheureux pour recevoir mon âme et la transporter jusqu'aux joies du Ciel".

De toute évidence, les pièces que Shakespeare compose au début du règne de Jacques 1er, c'est-à-dire vers 1603, montrent qu'il est en proie à un grand trouble. L'ironie et le dégoût transparaissent à travers Troïlus et Cressida, Tout est bien qui finit bien, Mesure pour mesure. Mais il n'existe plus aucune de ces ambiguïtés dans les trois grandes tragédies, Othello, Le Roi Lear et Macbeth, qui mettent en lumière le mystère d'un mal objectif et qui présentent un tableau de l'existence accomodée de telle sorte qu'on dirait "une fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, qui ne signifie rien".

Dans ces trois tragédies, les passions sont étudiées à travers des caractères primitifs, ceux de Lear et de Macbeth, barbares qui vivent à une époque très lointaine, celui d'Othello, un Africain. L'influence qu'a Macbeth sur Antoine et Cléopâtre est indéniable. C'est une tragédie presque romantique, où l'on voit deux amants, de caractère et de mentalité absolument opposés, s'entre-déchirer jusqu'à ce que l'un des deux réussisse à donner à l'autre une sorte de grandeur, mais au prix de sa perte. Coriolan contient une autre étude de caractère primitif, tout d'une pièce et presque puéril dans la générosité de sa nature, avec laquelle contraste le caractère machiavélique de sa mère.

Dans Timon d'Athènes, Shakespeare reprend le thème de l'ingratitude humaine qu'il a déjà traité dans le Roi Lear. Mais cette pièce n'est qu'ébauchée, peut-être parce que Shakespeare est atteint d'une maladie soudaine, sur laquelle on ne possède aucune précision, mais qui transforme profondément le poète. Il traverse alors une crise religieuse et l'inspiration de ses derniers drames, en particulier de La Tempête, peut être considérée comme chrétienne. Richard Davis, un prêtre, déclare vers la fin du XVIIe siècle que Shakespeare est mort "papiste", c'est-à-dire catholique romain. Il semble en tout cas que son père était catholique, car il figure dans une liste de "recusants", c'est-à-dire de personnes ordinairement catholiques qui tentaient de s'opposer à l'influence croissante de l'église anglicane.

En 1599, la compagnie de Shakespeare ouvre un théâtre appelé "The Globe" (à cause du globe terrestre qu'Hercule porte sur son dos, et de cette phrase: "Totus mundus agit histrionem"). Au cours de l'automne 1609, il commence à occuper le théâtre ouvert de Blackfriars, qui devient le siège de son activité. Il a une part d'actionnaire dans la gestion de l'un de ces théâtres, ou même des deux. Il fait partie, selon le terme alors en usage, des "housekeepers" de la compagnie. On ne trouve pas son nom parmi ceux des acteurs après 1603, et il est possible que le fait d'écrire des drames et d'en faire régler la mise en scène, soit considérée comme une participation suffisante aux activités de la compagnie.

C'est en 1610 que l'on peut placer de façon approximative son installation définitive à Stratford, où il passe en paix les dernières années de sa vie. En 1613, il écrit, en collaboration avec le jeune dramaturge John Fletcher, son dernier drame, Les Deux Nobles Cousins. La tradition et le testament qu'il rédige nous montrent Shakespeare en bons termes avec les paysans et les familles aristocratiques de l'endroit. S'il a du déplaisir, c'est peut-être à cause de ses filles, Susan et Judith.

D'aucuns prétendent que Shakespeare est mort à la suite de trop grandes libations faites en compagnie de Ben Jonson et de Drayton, mais, par ailleurs, sa tempérance est si nettement attestée qu'il faut tenir pour au moins très douteuse cette hypothèse. Il est probable que Shakespeare ne meurt pas subitement puisqu'il commence à rédiger son testament en janvier, l'achève et le signe le 25 mars, soit un mois avant la date officielle de sa mort, le 23 avril 1616.

La publication des oeuvres de Shakespeare a été faite sans aucune surveillance. Un groupe d'éditeurs peu scrupuleux publia plusieurs drames au format in-quarto; quelques-uns sont conformes au textes originaux, l'auteur étant plus ou moins consentant, alors que d'autres sont incomplets et remplis d'erreurs, le texte en ayant été établi à partir de notes prises pendant les représentations, des reconstitutions faites de mémoire, et des copies non revues par l'auteur. En 1619, Thomas Plavier publie dix drames ans autorisation. Peu après, deux acteurs, des collègues de Shakespeare, S. John Heminge et Henry Condell, entreprennent une édition complète qui, en dépit des difficultés, est rendue publique en 1623 par les soins de l'éditeur William Jaggard et qui est connue comme le premier in-folio. Elle renferme l'unique version que l'on ait de dix-huit drames. Quant aux autres, si l'on excepte Périclès, elle donne des textes qui, pour n'être pas toujours meilleurs que ceux des in-quarto, ont malgré tout une importance considérable.

Les témoignages laissés par les contemporains ne donnent pas l'impression que Shakespeare polissait longuement son oeuvre. Mais il était naturel que beaucoup de ses textes eussent à subir des coupes qui correspondaient aux nécessités de la mise en scène. Outre les critiques malveillants, qui ont prétendu que les drames de Shakespeare ont été écrits par celui-ci en collaboration avec d'autres dramaturges, bon nombre de spécialistes se sont entêtés dans l'idée que Shakespeare n'était qu'un acteur ignorant, un prête-nom, et que son oeuvre a été écrite par un homme extrêmement cultivé, tel que le philosophe Francis Bacon ou le comte d'Oxford.

Mais si les dates de la vie de Shakespeare ne satisfont pas notre désir de connaissances précises, il faut cependant reconnaître qu'elles sont abondantes au regard de celles que nous possédons sur d'autres écrivains de l'époque élisabéthaine, à l'exception peut-être de Ben Jonson. On peut tout au plus s'étonner que dans son testament, il ne soit fait aucune mention de ses oeuvres.

Mario Praz,

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Paris, lundi 14 octobre 2024