Édouard Dolléans

Biographie
Édouard Dolléans
Édouard Dolléans

Professeur d'économie, fonctionnaire international, membre de cabinets ministériels, historien du mouvement ouvrier, Édouard Dolléans—Édouard Aimé Pellorce—est né le 9 avril 1877 à Saint-Fargeau-Ponthierry (Seine-et-Marne).

Il est le fils de Jean-Baptiste Aimé Pellorce, principal clerc de notaire, et de Marthe Léonie Dolléans. Il naît au chalet de Tilly, résidence secondaire de ses parents à Saint-Fargeau Ponthierry (Seine-et-Marne). Leur foyer principal se trouve au 27 boulevard Poissonnière à Paris. Le couple a aussi une fille, Léonie, Jeanne, Marie (1891-1962), épouse d'Edgard Depitre, agrégé des facultés de droit. Suite à la condamnation de son père à quatre ans de prison ferme pour escroquerie, en 1895, Édouard Pellorce obtient en 1902 l'autorisation de prendre le nom de sa mère et de s'appeler ainsi Édouard Dolléans. Sa sœur fait de même. Le 9 décembre 1907, il épouse Édulphie Adèle Marcelle Loye (1877-1957), "sans profession" selon l'état-civil. Le couple a une fille, Marie Thérèse Aimée Augustine Dolléans (1911-1990), qui épousera en 1935 Georges Monier (1898-1956), directeur régional des Assurances Sociales à Lyon et alors chargé de mission à la Présidence du Conseil. Pierre Laval est l'un des témoins de ce mariage.

Édouard Dolléans suit des études de Droit à la Faculté de Paris. Il obtient sa licence en 1899 et le Prix Ernest Beaumont (premier prix de Droit civil). En 1902 et 1903, il rédige successivement deux thèses de doctorats en Droit, l'un pour la mention "Sciences juridiques" (La police des mœurs) et l'autre pour la mention "Sciences politiques et économiques" (De l'accaparement). Après un premier échec en 1903, il obtient l'agrégation de Droit mention "économie politique" en 1906.

En parallèle de ses études, de 1900 à 1902, Édouard Dolléans commence sa carrière professionnelle comme attaché au secrétariat de la Société des Mines et fonderies de zinc de la Vieille Montagne (Angleur, Belgique). De 1903 à 1906, il est chargé de conférences à la Faculté de Droit de Paris puis est chargé du cours d'économie politique à la Faculté de Droit de l'Université de Lille de 1906 à 1908, en remplacement du député Charles Guernier. Cependant, il ne donne pratiquement pas de cours, étant en congé maladie la majeure partie du temps. En 1908, il est transféré, à sa demande, à la Faculté de Droit de l'Université de Dijon. Nommé professeur-adjoint en 1911 puis professeur en 1913, il enseigne l'économie politique et l'histoire des doctrines économiques. Il donne, en parallèle, quelques conférences au Collège libre des sciences sociales ainsi que dans des universités populaires.

S'il commence une carrière d'économiste, en écrivant notamment sur le "comptabilisme", il se tourne rapidement vers l'histoire du mouvement ouvrier, à laquelle il consacrera toute sa vie. Il aborde cette histoire par l'Angleterre, en consacrant plusieurs études à Robert Owen, dont il se fait le biographe en 1905 après un voyage en Angleterre, et au chartisme. Ces travaux novateurs lui valent les prix "François-Joseph Audiffred" (1909) et "Halphen" (1914). En 1910, il fait un détour par la philosophie pour éditer le Code de la nature ou le véritable esprit de ses lois, rédigé en 1755 par le philosophe Étienne-Gabriel Morelly, précurseur du socialisme. En parallèle de ses activités scientifiques et enseignantes, il côtoie Charles Péguy, par l'intermédiaire de Geneviève Favre, et se lie d'amitié avec Henri Bergson. Il publie plusieurs articles dans La Revue socialiste.

La Première Guerre mondiale marque un tournant dans la carrière d'Édouard Dolléans. Exempté du service militaire et réformé au moment de l'incorporation, il se met à la disposition de la Croix-rouge et devient brancardier à la gare Porte-Neuve à Dijon en 1914. En août 1915, il est nommé interprète auprès de l'armée britannique à Rouen puis "officier interprète pour la langue anglaise à titre temporaire" en novembre 1917. En avril 1919, il débute une carrière de fonctionnaire international. Mis à la disposition du Commissariat général des affaires de guerre franco-américaines, il participe plus particulièrement à la mission économique, présidée par Eugène Schneider. Grâce à ses services rendus, il est nommé en juin 1920 Secrétaire général de la Chambre de commerce internationale, tâche à laquelle il se consacre pleinement durant dix ans, de 1923 à 1933. À son départ, cette organisation regroupe plus d'un millier de chambres syndicales, d'industriels et de commerces réparties dans 47 pays. Dans une lettre à Joseph Paul-Boncour, René-Paul Duchemin (président de la Confédération générale de la production française) précise qu'Édouard Dolléans "a refusé toute décoration française, tout avantage personnel afin de témoigner de son désintéressement et d'assurer son indépendance" (lettre du 23 mai 1933).

Il quitte l'organisation internationale à sa demande et réintègre son poste de professeur à l'Université de Dijon en novembre 1933. Durant cette période, s'il écrivit peu d'articles, il s'essaya à la littérature en publiant deux recueils de textes, Équations à six inconnues (1929) publié à seulement 120 exemplaires en collaboration avec l'artiste roumaine Irène Codréano, et Le Col d'Organdi (1931). Dans ces deux ouvrages, il propose différents portraits de femmes décrits sous l'angle de la morale.

Dès son retour à Dijon, il cherche à en partir pour se trouver "une situation à Paris". En janvier 1933, il se présente à l'élection pour la chaire de Géographie et d'Économie politique du Collège de France face à André Siegfried et Charles Brouilhet. Il arrive en seconde position. Dans une note émanant du cabinet du ministre de l'Instruction publique, outre le Collège de France, deux établissements sont évoqués: le Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM) et l'École pratique des Hautes Études (EPHE). Mais ces démarches n'aboutissent pas. Son départ de la Chambre de commerce internationale marque aussi la reprise d'une activité militante. Il se rapproche des fondateurs de la "Troisième force" (André Déléage, Georges Duveau, Louis-Émile Galey et Georges Izard) et de La Jeune République, deux partis liés au christianisme social. Il collabore régulièrement avec La Jeune République, donnant conférences et articles. Cependant, il n'y adhère pas.

Sur le plan syndical, il se rapproche du courant "planiste" de la C.G.T. et prend part aux rencontres de Pontigny présidées par Henri de Man en 1934. La même année, il participe à la création de la revue dirigée par Pierre Ganivet, L'Homme réel, Revue du syndicalisme et de l'humanisme, revue qui joue un rôle central pour les planistes français. Il développe durant ces premières années de la décennie 1930 une pensée politique originale prenant sa source chez Proudhon, dans le syndicalisme révolutionnaire — il est proche du noyau de la Révolution Prolétarienne — chez Henri Bergson et dans le pacifisme. Il en résulte une vision morale et individuelle, teintée de mysticisme et d'antimodernisme, dont son petit livre Victoire des obscurs, publié aux lendemains de la victoire du Front Populaire (septembre 1936), est le témoin. Pour Édouard Dolléans, "une révolution véritable ne peut s'achever par la seule transformation des institutions et des lois, mais par une rénovation du cœur de l'homme" (Victoire des obscurs, p. 36).

En juin 1936, Léo Lagrange nomme Édouard Dolléans chef de cabinet de son Sous-secrétariat d'État aux Sport et au Tourisme, après le refus de Pierre Marie. Il s'engage alors pour développer les loisirs populaires, en particulier les musées et les bibliothèques. Membre de l'Association populaire des amis des musées, il mène surtout une importante action en faveur de la lecture publique. En décembre 1936, il devient président de l'Association pour le développement de la lecture publique (ADLP) et fait entrer dans son bureau Georges Duveau, Georges-Henri Rivière (sous-directeur du musée d'Éthnographie) et Georges Bourgin. Grâce à sa position dans le gouvernement et cette association, il obtient notamment la subvention qui permet la création du premier bibliobus français en 1937. Tout en s'opposant aux tenants de la "crise du livre", il se montre enthousiaste vis-à-vis de la radio qui selon lui relie les hommes entre eux et leur permet de prendre conscience de leur destin commun. À contrario, il voit dans le cinéma "le danger le plus insidieux […] la manière la plus douce et la plus engourdissante de ne pas penser" (Histoire du mouvement ouvrier, tome III, p. 255). Ayant à cœur l'éducation ouvrière, il propose, avec Pierre Boivin à la direction du Centre confédéral d'éducation ouvrière (CCEO) de la C.G.T., la création d'une "École Normale d'Éducation Ouvrière" destinée à former les maîtres devant assurer l'enseignement dans les collèges du Travail de province. Mais ce projet n'obtient qu'un soutien réservé de la part de Ludovic Zoretti et est reçu avec circonspection par le couple Lefranc (Émilie et Georges), dirigeant du CCEO. Cette école ne verra jamais le jour.

En juillet 1937, il change de ministère et prend la tête du cabinet de Philippe Serre, nouveau sous-secrétaire d'État au Travail et membre de La Jeune République. Il le suit ensuite au sous-secrétariat d'État chargé des services de l'immigration et des étrangers (février-mars 1938) puis de nouveau au sous-secrétariat d'État au Travail (mars-avril 1938). Ce passage par les cabinets ministériel n'est cependant qu'une parenthèse dans sa carrière universitaire. Dès novembre 1936, une note du ministère de l'Éducation nationale évoque deux possibilités pour le "cas Dolléans": la création d'une chaire d'histoire du travail à la Faculté de Droit de l'Université de Paris ou la direction de la future École d'administration. Une seconde note évoque une chaire "sur l'histoire du mouvement ouvrier" venant compléter la chaire d'histoire du travail du Collège de France, alors occupée par le médiéviste Émile Coornaert. Finalement, en 1938, Jean Zay crée une chaire d'Histoire du Travail à la Faculté de Droit de l'Université de Paris et y nomme Édouard Dolléans. Cette création et cette nomination ne sont pas sans provoquer quelques remous au sein de la Faculté, notamment avec Edgar Allix, doyen de celle-ci. De plus, dès 1937, il entre à l'École pratique des Hautes Études comme suppléant d'Adolphe Landry en compagnie de Georges Bourgin et Gaétan Pirou. Il y intervient jusqu'en 1939 sur: "L'Évolution sociale en France du 2 décembre 1851 à 1871" (1937); "L'Évolution du mouvement ouvrier et de la paysannerie en France de 1871 à 1902" (1937-1938); "La Commune de Paris (du 4 septembre 1870 au 20 mars 1871)" (1938-1939).

Durant la seconde moitié des années 1930, Édouard Dolléans s'impose véritablement comme historien du mouvement ouvrier avec la publication des deux premiers tomes de son Histoire du mouvement ouvrier en 1936 (tome 1: 1830-1871) et 1939 (tome 2: 1871-1936), son "grand œuvre" qui marque un tournant historiographique. S'il participe à l'inauguration de la filiale française de l'Institut international d'histoire sociale en 1937 et aux travaux de la Commission internationale d'histoire des mouvements sociaux (Comité international des sciences historiques), son action se concentre essentiellement sur le plan national et reste indissociable de celle de Georges Bourgin. En 1937, ils tentent de créer avec Julien Cain un service d'archives au sein de la C.G.T., dans le cadre du CCEO, mais ce projet est mis en échec. L'année suivante, il crée, toujours avec Georges Bourgin, une collection d'histoire sociale aux éditions Domat-Montchrestien dans laquelle ils publient les premières thèses d'histoire des ouvriers et du mouvement ouvrier à partir de 1941. En lien avec ses activités historiques, il intervient régulièrement au sein du CCEO pour donner des conférences sur l'histoire du mouvement ouvrier et en particulier sur ses "grandes figures": Victor Griffuelhes, Alphonse Merrheim, Fernand Pelloutier, Eugène Varlin. Plusieurs de ces conférences sont ensuite publiées sous la forme de petites brochures à destination des militants.

Durant la Seconde Guerre mondiale, il poursuit sa carrière universitaire en tant que professeur d'Histoire du Travail à l'Université de Paris. De ses cours, il tire une Histoire du travail publiée en 1943 et rééditée en 1945. Une édition augmentée d'un second volume, et rédigée en collaboration avec Gérard Dehove, est publiée entre 1953 et 1955. La rédaction de ce livre lui permet "d'échapper au choc brutal de la défaite [et de maintenir] une volonté d'espoir" (Histoire du travail, 1943). Il complète son Histoire du mouvement ouvrier et l'élargit tant au niveau des bornes chronologiques (XIXe—XXe siècle) que du sujet traité, en retraçant l'histoire de tous les milieux, y compris patronaux. Dans sa première édition, il consacre de nombreuses pages à l'analyse de la Charte du Travail, pages qu'il supprime dans l'édition suivante. S'il reconnait que la Charte du Travail porte atteinte aux syndicats, il la qualifie malgré tout de "victoire éphémère" (édition de 1945). De plus, il se rend plusieurs fois au Portugal, pour donner des conférences à l'Université de Lisbonne, à l'invitation de José Caeiro da Matta, ancien ministre de Salazar et recteur de l'Académie de Lisbonne. Il en profite pour rendre visite à sa fille dont le mari y est nommé "ministre plénipotentiaire" de Vichy après avoir été le secrétaire général du Commissariat générale aux questions juives. Enfin, il publie au printemps 1944 chez Denoël, Drames intérieurs, une tentative d'explication d'œuvres littéraires par la psychologie des auteurs. Il se concentre alors sur Mary Wollstonecraft, William Godwin, Proudhon, Charles Gide, Bernard Shaw, Charles Péguy et Mme Favre, François Mauriac, André Vigneau. Ce livre est interdit par les autorités allemandes dès sa parution, selon Armand Hoog à cause des pages consacrées à François Mauriac. En raison de son attitude durant l'Occupation et suite à une enquête, il est admis à la retraite le 1er octobre 1944. Cette sanction ne l'empêche pas, cependant, d'apparaître au sein du Comité national des écrivains en 1945.

Après la guerre, Édouard Dolléans se concentre essentiellement sur ses activités scientifiques personnelles et collectives. Il relance la Revue d'histoire économique et sociale en compagnie notamment d'Ernest Labrousse et de Georges Bourgin et participe à la création de la revue Les études bergsoniennes en 1948. Membre de la Société d'histoire de la IIIe République, il en devient le vice-président . Il apparaît aussi dans le comité directeur de la Société de 1848. Mais le fait le plus marquant de cette période est certainement la création, en compagnie de Georges Bourgin et de Jean Maitron, de l'Institut français d'histoire sociale (IFHS) en 1948, dont il devient le vice-président. Il s'y consacrera jusqu'à la fin de sa vie. En parallèle de ces entreprises collectives, il maintient une importante activité éditoriale en tant que directeur de collections. Il co-dirige la "Bibliothèque d'histoire économique et sociale" aux éditions M. Rivière en compagnie de Georges Bourgin et Ernest Labrousse et crée la collection "Masses et militants" aux Éditions ouvrières. Dans cette collection, il publie plusieurs biographies de militants (dont la biographie de Paul Delesalle par Jean Maitron et sa biographie de George Sand), ainsi que des études plus générales sur le mouvement ouvrier et les ouvriers. Enfin, il publie durant cette période ses deux derniers livres: une biographie de Proudhon rédigée entre 1941 et 1947 à la demande de son ami Jean Paulhan et publiée chez Gallimard et surtout, le troisième et dernier tome de son Histoire du mouvement ouvrier, qui met un point final à son œuvre en 1953. Sur le plan politique et syndical, bien qu'en retrait, il s'engage en faveur de la construction européenne et se rapproche de la C.G.T.-FO.

Édouard Dolléans décède le 2 septembre 1954 à Villeblevin (Yonne), à l'âge de 77 ans. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise en compagnie de plusieurs membres de sa famille. Sa femme puis sa fille font don de sa bibliothèque à l'IFHS.

Édouard Dolléans laisse derrière lui une œuvre importante et marquante tant pour les militants que les historiens s'intéressant à l'histoire des ouvriers et du mouvement ouvrier. Profondément influencé par Henri Bergson, il a vu dans les militants des "hommes exceptionnels" incarnant une morale nouvelle et capables, par leurs actions, d'entraîner les "obscurs" et la société vers plus de justice. Il en résultait une vision morale et mystique du militantisme et de la classe ouvrière. De par son œuvre et son action au sein de différentes institutions, en particulier l'IFHS, Édouard Dolléans peut être considéré comme l'un des "pères fondateurs" de l'histoire ouvrière.

Benjamin Laillier - Le Maitron,

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Paris, vendredi 19 avril 2024