Médecin et philosophe français, Julien Jean Offray de La Mettrie est né à Saint-Malo le 19 décembre 1709.
Destiné par sa famille à l'état ecclésiastique, il fait ses humanités chez les Jésuites de Caen et les continue à Paris dans le dessein de prendre le petit collet. Mais il rallie brusquement le camp janséniste et opte pour la médecine qu'il étudie dans la capitale sous l'égide de Hussauld. Il reçoit le bonnet de docteur en médecine à la faculté de Reims en 1733, et poursuit son instruction à Leyde jusqu'en 1735, à l'école du célèbre Boerhaave dont il traduira ensuite sept livres en français.
Revenu à Saint-Malo, il part pour la Chine comme chirurgien de vaisseau à bord d'un navire de la Compagnie des Indes, puis exerce son art dans sa ville natale. Il commence à publier sur des sujets médicaux divers: Traité du vertige (1737), Nouveau traité des maladies vénériennes (1739), Observations de médecine pratique (1743). En 1742, Morand le fait nommer médecin du duc de Gramont, colonel des Gardes françaises avec lesquelles il assiste aux batailles de Dettingen et de Fontenoy. Il intègre ensuite les hôpitaux militaires mais ses théories hétérodoxes font un scandale, aggravé par la publication de son Histoire naturelle de l'âme ("traduite de l'anglais de M. Sharp par feu M.H. de l'Académie des sciences") et de son Médecin de Machiavel (plus précisément "Politique du médecin de Machiavel ou le Chemin de la fortune ouvert aux médecins, ouvrage réduit en forme de conseils par le docteur Fum-Ho-Ham, et traduit sur l'original chinois par un nouveau maître es arts de Saint-Côme"), qui expose les grands traits de sa doctrine matérialiste et est condamné au feu par arrêt du Parlement le 9 juillet 1746.
Démis de ses fonctions de médecin militaire et contraint de s'expatrier, il retourne à Leyde (Hollande) où il compose un pamphlet, La Faculté vengée ("Les Charlatans démasqués ou Pluton vengeur de la Société de médecine"), qui satirise la Faculté de Paris. Il faît paraître un nouveau livre, L'Homme machine (1748), qui le jette dans de nouveaux démêlés. Catholiques et protestants s'offusquent tant du livre qu'il lui faut encore déguerpir. Il se réfugie chez Frédéric II de Prusse qui lui fait offrir asile par Maupertuis. La Mettrie devient lecteur de Sa Majesté prussienne et membre de l'Académie de Berlin. Il prend part, avec d'Argens et Voltaire, aux petits soupers de Sans-Souci. Cependant, Albrecht von Haller, protestant austère à qui il a, en pince-sans-rire, dédié L'Homme machine, refuse ce patronage compromettant et s'en plaint à Maupertuis. La Mettrie se venge de l'illustre Bernois par un nouveau factum, Le Petit Homme à longue queue.
En Prusse, le philosophe écrit plusieurs ouvrages: L'Homme-Plante (Potsdam, 1748), Réflexions philosophiques sur l'origine des animaux (1750), Le Système d'Epicure (1750), Les Animaux plus que machines (1750), L'Art de jouir (1750), Vénus métaphysique ou Essai sur l'âme humaine (Potsdam, 1751). Ses Oeuvres philosophiques complètes seront réunies et publiées après sa mort, survenue à Berlin le 11 novembre 1751, à l'âge de 42 ans, à la suite d'une indigestion après un bon dîner chez l'ambassadeur anglais Tyrconnel.
"La Mettrie, dissolu, imprudent, bouffon, flatteur, était fait pour la vie des cours et la faveur des grands. Il est mort comme il devait mourir, victime de son intempérance et de sa folie; il s'est tué par ignorance de l'art qu'il professait", dira Diderot. "Un homme trop gai", dira aussi de lui Voltaire... "mille traits de feu et pas une demi-page de raison".
Il y a pourtant un La Mettrie sérieux, auteur de livres médicaux et surtout traducteur et vulgarisateur de la doctrine médicale et chimique de Boerhaave, ainsi qu'un La Mettrie pamphlétaire à la verve prolixe, dont la satire n'a ménagé ni ses censeurs (un Tralles de Breslau, un Astruc), ni les Esculapes à la mode, ni la Faculté de Paris, dévoilant les dessous du monde hippocratique de l'époque. Il y a enfin et surtout un La Mettrie philosophe matérialiste hédoniste, lecteur d'Epicure, apôtre de la morale du plaisir, apologiste de la volupté prêchant le bonheur par la satisfaction des appétits (L'Anti-Lucrèce ou Discours sur le bonheur, La Volupté, L'Art de jouir).
Son système est celui du matérialisme agnosticiste: "Il est égal pour notre repos que la matière soit éternelle ou qu'elle ait été créée; qu'il y ait un Dieu ou qu'il n'y en ait point." Pour lui, la Nature est non seulement amorale, mais aveugle; elle ignore la finalité. Il reproche à Leibniz d'avoir "spiritualisé la matière" mais s'oppose également à la distinction cartésienne des deux substances, âme et corps, esprit et étendue. Selon lui, tous les philosophes du passé se sont trompés en raisonnant sur l'homme a priori, alors que la méthode empirique seule — celle d'Helvétius — est légitime, car tout ce qui est dans notre esprit vient de la sensation. Réduisant tout à la sensation, il croit à l'existence d'une force vitale unique, dirigée vers le plaisir. Au contraire de Leibniz, il préconise donc de matérialiser l'esprit. Pour illustrer sa thèse, il reprend l'idée de Descartes, qui a "le premier parfaitement démontré que les animaux étaient de pures machines", et l'étend à l'homme, qui n'est qu'un animal supérieur. Ce que nous appelons âme n'est pas un principe séparé mais le rouage d'une machine: "La pensée est si peu incompatible avec la matière, écrit-il, qu'elle en semble être une propriété comme l'électricité, la motricité, l'impénétrabilité et l'étendue: en un mot, l'homme est une machine et il n'y a dans tout l'univers qu'une substance diversement modifiée." L'âme "dépend essentiellement des organes du corps avec lesquels elle se forme, grandit et décroît; ergo participem lethi convenit esse".
La Mettrie, par ses conceptions psycho-physiologiques, est déjà un précurseur de Cabanis. Et lorsque reniant toute métaphysique devant l'inconnaissable des causes premières, il ne veut considérer que les causes immédiates et les seuls effets que la Nature sensible manifeste au philosophe, il s'annonce comme un précurseur du positivisme. Les philosophes marxistes du XIXe siècle, dont notamment Friedrich-Albert Lange, firent connaître son oeuvre. Plus récemment, ses théories inspirèrent encore un essai au philosophe Michel Onfray: L'Art de jouir, Pour un matérialisme hédoniste (1991).
Jean Bruno,
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