Écrivain français, Pierre Loti — pseudonyme de Louis Marie Julien Viaud — est né à Rochefort (Charente-Maritime) le 14 janvier 1850.
Issu de familles modestes, les Texier protestants et les Viaud catholiques (mais son père, en se mariant, avait embrassé la religion réformée), Julien fut le tard-venu de trois enfants : dix-neuf ans après la grande sœur bien-aimée, Marie, qui lui fit partager son goût pour la musique et la peinture, douze ans après Gustave, chirurgien de marine, dont les récits de voyages nourrirent les rêves du jeune garçon et décidèrent, à treize ans, de sa vocation de marin — lui qui avait d'abord voulu devenir pasteur…
L'enfance et l'adolescence saintongeaises, dont il conterait plus tard les enchantements dans Le Roman d'un enfant (1890) et Prime jeunesse ( 1919), prirent fin en 1866 : Gustave était mort l'année précédente, de la dysenterie, son corps jeté dans l'océan Indien. Le père, receveur municipal de Rochefort, est accusé de vol et passe quelques jours en prison : il sera acquitté deux ans après, mais aura perdu son emploi, et la famille connaît désormais la pauvreté et les dettes.
Julien échoue au concours d'entrée à l'École navale, mais monte à Paris, en octobre 1866, le reprépare et est admis l'année suivante à l'École — c'est-à-dire en rade de Brest, à bord du "Borda". Début d'une longue carrière d'officier, qu'il achèvera le 14 janvier 1910 (jour de son soixantième anniversaire), où il prendra sa retraite, en qualité de capitaine de vaisseau, après plus de quarante-deux ans de service, dont 19 ans 11 mois et 8 jours "à la mer".
En janvier 1872, à mi-temps de son premier long voyage autour du monde (plus de vingt mois : Atlantique, Amérique du Sud, Pacifique), l'aspirant Julien Viaud passe quatre jours dans l'île de Pâques et envoie à sa sœur, qui les fera paraître en août dans L'Illustration, la matière d'un reportage en trois articles : dessins et texte issu de son Journal — ce journal qu'il a commencé en 1866 et qu'il tiendra jusqu'en 1918, et dont il extraira toute son œuvre.
Sa véritable entrée en littérature se fait de semblable façon : des amis, à qui il a lu le journal de son séjour à Constantinople en 1876-77, où l'enseigne de vaisseau avait surtout été occupé par son idylle avec une charmante Circassienne aux yeux verts, lui suggèrent d'arranger ces pages en roman : ce sera Aziyadé (1879). Le livre passe inaperçu mais, un an plus tard, triomphe immédiat et retentissant pour Le Mariage de Loti, par l'auteur d'Aziyadé, tiré du journal de son séjour à Tahiti en 1872 — d'où il avait rapporté le nom de "Loti", qui est celui de la rose en tahitien et que lui avaient donné les suivantes de la reine Pômare. Son troisième livre, en 1881, Le Roman d'un spahi, est le premier à être signé "Pierre Loti". D'autres romans suivront, aux cadres breton : Mon frère Yves (1883), Pêcheur d'Islande (1886, son plus grand succès) et Matelot (1892), basque : Ramuntcho (1897), japonais : Madame Chrysanthème (1887) et La Troisième Jeunesse de Madame Prune (1905), ou turc: Fantôme d'Orient (1892, récit des trois jours fébrilement passés, en 1887, à rechercher les traces d'Aziyadé et d'Achmet, dix ans après… : le chef-d'œuvre de Loti, selon Charles Du Bos) et Les Désenchantées ("roman des harems turcs contemporains", 1906). Dix romans, dix fragments plus ou moins réécrits de son Journal, qui furent autant de succès auprès du public dont la fidélité ne se démentit jamais jusqu'à la mort de Loti, auteur comblé dès sa trentième année, devenu à 41 ans le benjamin de l'Académie française (il y fut élu, en 1891, par 18 voix contre 0 pour son principal concurrent : Émile Zola — et dans son discours de réception il attaqua vivement le naturalisme).
Les récits du perpétuel voyageur enchantèrent aussi plusieurs générations de lecteurs : les dix volumes des Voyages de Loti, depuis Au Maroc (1889) jusqu'à Suprêmes visions d'Orient (1921) en passant par ses livres sur la Terre sainte, la Chine, l'Inde, la Perse, l'Égypte et Angkor, auxquels il faut ajouter les huit recueils où se mêlent les souvenirs, les essais, de brefs récits de voyage et des sortes de nouvelles plus ou moins romanesques — Fleurs d'ennui (1882), Propos d'exil (1887), Japoneries d'automne (1889), Le Livre de la pitié et de la mort (1890), L'Exilée (1893), Figures et choses qui passaient ( 1898), Reflets sur la sombre route (1899) et Le Château de la Belle-au-bois-dormant (1910) —, constituent l'autre volet de l'œuvre de Loti, de moindre audience populaire, de son vivant, que ses romans, mais où, aujourd'hui, beaucoup s'accordent à voir le meilleur de l'écrivain.
Pierre Loti n'avait guère la tête politique ; cela ne l'empêcha pas de prendre hardiment parti dans les grands conflits européens des années 1910 et de multiplier en faveur des Turcs (contre les Grecs, contre les Arméniens, contre les Bulgares…) puis, pendant la Grande Guerre, contre les Allemands, les articles qui, recueillis, remplissent cinq volumes de "littérature engagée": Turquie agonisante (1913), La Hyène enragée (1916), Quelques aspects du vertige mondial (1917), L'Horreur allemande(1918) et La Mort de notre chère France en Orient (1920).
Si l'on peut négliger les cinq tentatives dramatiques de Loti — trois pièces écrites en collaboration, comme La Fille du ciel, écrite avec Judith Gauthier en 1903-05 ; une adaptation de Ramuntcho (1908) et un drame inspiré du légendaire familial, Judith Renaudin (1898) —, on se souviendra des publications posthumes de son journal par son fils Samuel : Un jeune officier pauvre (1923) et Journal intime 1878-1885 (2 vol., 1925-29), ainsi que des deux seuls recueils de correspondance parus à ce jour : Lettres à Juliette Adam (1924) et Correspondance inédite 1865-1904 (1929).
Le retour de Loti dans le goût du public — après plusieurs décennies d'un quasi-oubli d'où n'émergeaient que deux ou trois romans — et la réévaluation de son œuvre conduisent à privilégier dans celle-ci, aux dépens du créateur de fictions qui dans l'ensemble ont mal vieilli, la dimension esthétique et spirituelle. Romancier, voyageur, pèlerin, Loti est à la fois obsédé par la mort omniprésente, par le temps qui détruit tout, et, charnellement enchanté par la vie, la richesse et la beauté du monde réel — êtres, nature et monuments humains. Il n'a cessé de rechercher une foi (dans l'islam, à Jérusalem, à Bénarès…) dont il avait, pour vivre, l'absolu besoin, sans que jamais elle vînt réellement l'habiter : d'où, chez lui, tout ensemble un nihilisme profond et le constant effort de faire, de vivre comme s'il croyait à une transcendance et à l'immortalité. C'est de la tension entre ces deux postulations simultanées, à la fois naturelles et jouées, imposture et authenticité, que semble naître le "romantisme" très particulier de Loti, qui pouvait ne pas détonner dans la mélancolie complaisante de l'esprit fin-de-siècle, mais qu'on redécouvre aujourd'hui proche de nous.
Pierre Loti est mort à Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) le 10 juin 1923, à l'âge de 73 ans.
Claude Martin,
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