Écrivain français, Émile Zola est né à Paris le 2 avril 1840.
Son père, François Zola, ingénieur d'origine italienne, s'installe à Aix-en-Provence en 1843 pour y construire un système de canal et de barrages destiné à alimenter la ville en eau. II mène la vie d'un bourgeois aisé. Mais il meurt le 27 mars 1847, alors que les travaux commencent. Il ne laisse que des dettes à sa jeune femme, de famille modeste, épousée le 16 mars 1839 pour sa beauté: comme tous les ingénieurs civils de l'époque, il a dû s'endetter pour mettre au point ses projets. Ce père mort trop tôt laisse aussi à l'enfant l'image d'un héros du progrès, d'un de ces conquérants auxquels il donnera dans son oeuvre une place capitale. De pensée saint-simonienne, passionné par son époque, François Zola conçut des projets audacieux (percement de port, canaux d'irrigation. fortification de Paris ou de la plaine de la Milidja), dont certains furent réalisés après sa mort. La famille affronte une situation matérielle de plus en plus difficile. Les parents de Mme Zola, de petits artisans beaucerons désargentés mais courageux, viennent vivre avec elle et leur petit-fils.
Grâce à une bourse, Émile Zola entre au collège Bourbon d'Aix-en-Provence. Il s'y lie d'amitié avec le futur peintre Paul Cézanne, et avec Jean-Baptistin Baille, futur polytechnicien et astronome. Il forme avec eux un trio d'inséparables. Les trois adolescents fuient la petite ville endormie — dont La Fortune des Rougon restitue l'atmosphère et les intrigues sournoises — et se réfugient dans la nature et la lecture. L'Œuvre évoque leurs longues promenades dans la campagne aixoise, dont Zola gardera la nostalgie et qu'il peindra souvent, et leur découverte des grands romantiques: Alphonse de Lamartine, Victor Hugo et, surtout, Alfred de Musset. Ils composent pièces de théâtre et vers. Zola rêve d'un avenir poétique.
Mais, s'estimant lésée par les anciens associés de son mari, sa mère décide de venir à Paris pour les poursuivre en justice. Pour l'adolescent, ce déménagement est un véritable arrachement, dont les conséquences seront déterminantes. La vie de la famille est plus difficile à Paris qu'à Aix-en-Provence. «Etre pauvre à Paris, c'est être pauvre deux fois», lit-on dans La Curée. Les Zola changent sept fois de domicile entre 1858 et 1862. Expérience de la pauvreté et des grandes maisons ouvrières qui nourrira des œuvres comme L'Assommoir, et explique son attitude à l'égard de l'argent qui a choqué certains écrivains contemporains. Sans relations, sans fortune, il s'est fait seul, sa plume est, comme il le dit, un outil avec lequel il gagne sa vie, non un passe-temps.
Il entre comme boursier en seconde ès sciences au lycée Saint-Louis de Paris. D'excellent élève qu'il était, il devient médiocre. Il échoue aux deux sessions du baccalauréat en 1859. Il abandonne ses études pour ne plus être à la charge de sa mère. Il cherche, en vain, un emploi qui lui permettrait de concilier ses rêves de gloire poétique et la nécessité de gagner sa vie.
1860 et 1861 sont deux années difficiles. Émile Zola a le sentiment d'avoir trahi les espoirs mis en lui par sa mère. Son œuvre frappe par le nombre de pères faibles, inexistants ou mourant jeunes et par celui de mères autoritaires et ambitieuses pour leur(s) fils — ainsi Félicité dans La Fortune des Rougon ou Mme Chanteau dans La Joie de vivre, roman où il a mis beaucoup de lui. Cette période, toutefois, ne lui laisse pas de mauvais souvenirs. Il lit beaucoup, découvre en particulier L'Amour et La Femme de Michelet, son nouveau maître, les romans de George Sand. Il habite seul pendant quelques mois, fréquente avec de jeunes peintres aixois qu'il a retrouvés les ateliers de peinture, visite le Salon, fait «l'expérience de l'amour réel» (ce sont ses termes) avec une fille galante, Berthe, tout en composant des contes de fées et des centaines de vers imités de Musset, dans lesquels il rêve de créatures éthérées, d'amours idéales. Il conservera toujours ce goût des belles histoires, le désir de se réfugier dans l'utopie consolatrice — comme le montrent Le Rêve ou Les Quatre Évangiles, par exemple. Cinq années plus tard, il écrit Thérèse Raquin: c'est une véritable métamorphose.
Le ler mars 1862, il entre comme employé à la librairie Hachette et devient très vite chef de la publicité. Il reste quatre ans dans cette maison d'édition spécialisée dans les livres scolaires, les journaux destinés aux enseignants et la vulgarisation scientifique. Il comprend l'importance de l'enseignement, qui deviendra un des leitmotivs de son œuvre. Il pénètre les rouages du monde de l'édition et de la presse, se fait de nombreuses relations et des amitiés durables, se lie avec les auteurs de la maison: Charles-Augustin Sainte-Beuve, Hippolyte Taine, Émile Littré, Louis Edmond Duranty, voit fonctionner de l'intérieur une grande entreprise à la croissance extraordinaire, expérience dont il se souviendra pour Au bonheur des dames.
Ces années passées dans ce foyer positiviste, d'opposition libérale et anticléricale, ont été des années de grand enrichissement et d'intense activité. Il délaisse les vers pour la prose, écrit des contes qu'il recueille en volume en 1864, Contes à Ninon, un roman, inspiré de son aventure avec Berthe, La Confession de Claude (1865), des articles de journaux, il s'essaie au théâtre, qui restera toute sa vie une grande tentation. Il reçoit chez lui le jeudi. En décembre 1865, il se lie avec Alexandrine Meley avec laquelle il se met en ménage. Grâce à Cézanne venu à Paris, il se lie avec Camille Pissarro, Antoine Guillemet, Francisco Oller, un peu plus tard, en 1866, avec Édouard Manet, Claude Monet, Auguste Renoir, Alfred Sisley. Il fréquente le café Guerbois, où se réunissent peintres et critiques défendant une nouvelle manière de voir en peinture. Finalement, il quitte la librairie Hachette le 31 janvier 1866: il a décidé de vivre de sa plume.
Émile Zola se lance dans le journalisme, écrit régulièrement dans Le Petit Journal, Le Salut public de Lyon, L'Evénement, où il tient une rubrique littéraire, «Livres d'aujourd'hui et de demain». Il recueille un certain nombre de ses articles de critique littéraire sous le titre Mes haines (juin 1866). Il fait aussi, pour L'Événement, le compte rendu du Salon, articles qui font scandale parce qu'il y défend Manet et ses amis peintres. Il les reprend en volume sous le titre Mon Salon (juillet 1866). Période faste! Mais un second roman, Le Vœu d'une morte, n'a aucun succès. L'Événement cesse de paraître, il doit espacer ses contributions au Salut public. Les positions qu'il a prises en faveur d'une certaine littérature et d'une certaine peinture le font craindre des directeurs de journaux.
1867 est, sur le plan matériel, une très mauvaise année. Pas sur le plan littéraire: il écrit le matin, «pour faire bouillir la marmite», un roman-feuilleton, Les Mystères de Marseille, histoire d'amour entre un plébéien républicain et la riche fille d'un aristocrate tout-puissant, sur fond de malversations financières et de Révolution de 1848, œuvre intéressante qui rassemble les thèmes à venir. L'après-midi, il écrit Thérèse Raquin, sa première grande réussite. En 1868, il compose un cinquième roman, Madeleine Férat. Une dernière expérience achève cette longue période d'apprentissage, qui, en quelque dix ans, a fait du poète idéaliste le futur maître du naturalisme et l'auteur des Rougon-Macquart: celle du journalisme politique et de l'action.
La presse étant libéralisée, de nouveaux journaux d'opposition à l'Empire sont créés: Zola entre dans les équipes de La Tribune, du Rappel, de La Cloche. Il y prend des positions très critiques contre le régime. On en retrouve l'écho dans les premiers Rougon-Macquart, contemporains et marqués par cette polémique journalistique: La Fortune des Rougon, La Curée, Le Ventre de Paris.
Fils de veuve et myope, il n'est pas mobilisable. Le 7 septembre 1870, il quitte Paris avec sa mère et Alexandrine, qu'il a épousée le 31 mai précédent. Il va à Marseille, où il fonde un journal, La Marseillaise, qu'il revend peu après pour se rendre à Bordeaux où siège le gouvernement provisoire. Il souhaite obtenir un poste de sous-préfel à Aix-en-Provence ou dans la région. En attendant, il est secrétaire d'un des membres du gouvernement, âgé et sans influence, Glais-Bizouin. Quand l'Assemblée nouvellement élue se réunit à Bordeaux, il fait le compte rendu de ses séances pour La Cloche.
Zola revient à Paris le 14 mars 1871. Il assure ce travail de journaliste parlementaire jusqu'au 3 mai 1872, plus de huit cents articles! Il acquiert ainsi une solide connaissance du monde politique, qui lui servira pour ses romans, en particulier pour La Conquête de Plassans et Son Excellence Eugène Rougon. Pour avoir vu de près, dans les équipes de journalistes ou dans les couloirs de l'Assemblée, la «cuisine» et les luttes entre «boutiques», il ne sera jamais tendre à l'égard des hommes politiques, et particulièrement à l'égard des républicains qui le déçoivent.
Le 22 juillet suivant, il signe un contrat d'édition avec Georges Charpentier qui deviendra son grand ami. L'éditeur lui assure la sécurité matérielle: 500 francs par mois. 1872 marque ainsi le véritable point de départ de sa carrière de romancier. Il abandonne tout désir d'entrer dans l'administration pour se consacrer entièrement à la littérature avec laquelle sa vie se confond désormais: il publie sauf exception un roman par an! De véritables travaux forcés littéraires. Il ne renonce pas pour autant, en effet, au journalisme, source de revenus non négligeable et, surtout, tribune d'où il peut affirmer, dans des centaines d'articles, ses idées sur les arts (sur la peinture en particulier), le théâtre, la littérature. Il écrit aussi pour le théâtre: il tire un drame de Thérèse Raquin (1873), compose Les Héritiers Rabourdin (1874) et Le Bouton de rose (1876), deux échecs. Mais il s'est fait une place dans le monde des lettres. Il a de nouveaux amis: Gustave Flaubert, qu'il admire profondément, Edmond de Goncourt, Alphonse Daudet, Ivan Tourgueniev. Ses nombreux articles de critique littéraire dans lesquels il parle avec autorité, au nom de ses amis, et le succès étonnant de L'Assommoir (1877), le septième volume des Rougon-Macquart, attirent à lui de jeunes romanciers qui fréquentent ses «jeudis». Du chef d'école, il a les qualités d'initiative et de rassembleur. Avec la notoriété, en effet, est venue l'aisance. Zola peut réaliser un de ses grands rêves: il achète, pour 9000 francs, une maison sur les bords de la Seine, à Médan, une «cabane à lapins» à laquelle il fera ajouter deux ailes. Au fil des années, il acquiert les terrains avoisinants. Le petit village devient célèbre, il entre même en littérature: avec cinq de ses jeunes «fidèles», Paul Alexis, Henry Céard, Joris-Karl Huysmans, Léon Hennique et Guy de Maupassant, Zola publie Les Soirées de Médan (1880).
Quelques grandes crises bouleversent cette vie tout entière consacrée au travail. N'a-t-il pas fait peindre sur le manteau de la cheminée de l'immense cabinet de travail qu'il s'est fait aménager à Médan: Nulla dies sine linea («pas de jour sans une seule ligne») ? La première, en 1880: les morts de Duranty et de Flaubert, puis celle de sa mère, qui, sauf quelques mois, a toujours vécu avec lui, surviennent lorsqu'il traverse un moment de grande fatigue physique et morale dont La Joie de vivre (1884) témoigne. Mais il s'anéantit dans le travail. Il publie cinq volumes d'articles déjà parus: Le Roman expérimental (octobre 1880), Les Romanciers naturalistes, Le Naturalisme au théâtre, Nos auteurs dramatiques et Documents littéraires (1881 ). Il multiplie les chefs-d'œuvre. Après L'Assommoir et Une page d'amour (1878), Nana (1880), Pot-Bouille (1882), Au bonheur des dames (1883), Germinal (1885), L'Œuvre (1886)... Ses œuvres sont traduites à l'étranger en même temps qu'elles paraissent en France. Le naturalisme triomphe en Europe en 1884-1885. Émile Zola est vivement controversé mais il est accepté et célèbré. Il gagne désormais de 80000 à 100000 francs par an. Il court brocanteurs et antiquaires pour meubler ses domiciles d'objets, de meubles, de tableaux hétéroclites, où dominent, selon le goût du temps, le Moyen Âge et le religieux, de quoi satisfaire aussi son vieux fond romantique! Il peut écrire à Jacques Van Santen Kolff le 30 décembre 1883: «Il suffit de mettre sur une enveloppe: «Émile Zola, France, pour que cela arrive».
Mais il est jalousé. Cinq jeunes romanciers, probablement poussés par Goncourt et Daudet, publient un violent pamphlet contre La Terre ( 1887). Plus graves, quelques confessions échappées de sa plume dans le dossier du Rêve(1888) révèlent combien il est fatigué de la fresque des Rougon-Macquart, commencée en 1869, et du travail. Le groupe des Soirées de Médan s'est dispersé. Huysmans, par exemple, critique le naturalisme. Enfermé à Médan pendant de longs mois, attelé à une tâche énorme, Zola se sent seul, même si de nouveaux amis l'ont rejoint, parmi lesquels le musicien Alfred Bruncau qui met en musique deux de ses œuvres: Le Rêve (1891), et une nouvelle, L'Attaque du moulin (1893).
En 1888. autre grand bouleversement. Il découvre l'amour et, peu après, la paternité: Jeanne Rozerot, une jeune et belle lingèrè, engagée par sa femme, lui donne deux enfants, Denise (20 septembre 1889) et Jacques (25 septembre 1891). Après une période très difficile, Mme Zola finit par accepter la situation. Elle s'occupera des deux enfants et leur donnera le nom de Zola après la mort du romancier. Celui-ci, qui a installé Jeanne rue Saint-Lazare et qui lui loue, l'été, une maison à proximité de Médan, vit cette double vie dans le déchirement, mais il est métamorphosé, il rajeunit: «Je me retrouve comme à vingt ans, lorsque je voulais manger les montagnes», confie-t-il à Charpentier.
Les conséquences de cette double découverte sont déjà visibles dans Le Docteur Pascal (1893), le dernier des Rougon-Macquart, qui se termine sur l'image d'un jeune enfant sur les genoux de sa mère. Elle explique les dernière œuvres. Les Rougon-Macquart achevés, Zola, qui a retrouvé sa vigueur, se lance dans deux autres grands ensembles: Les Trois Villes (Lourdes, 1894, Rome, 1896, Paris, 1898), et Les Quatre Évangiles (Fécondité 1899, Travail 1901, Vérité 1903, le quatrième, Justice étant resté inachevé). Il écrit des livrets d'œuvres lyriques, il découvre la photographie et prend des milliers de clichés tout à fait exceptionnels. Mais la fin de sa vie est bouleversée par sa courageuse prise de position en faveur du capitaine Alfred Dreyfus.
Il séjourne à Rome quand l'affaire Dreyfus éclate. Il est indigné par le récit de la dégradation du capitaine le 5 janvier 1895, dans la grande cour de l'École militaire, que Léon Daudet fait devant lui. Mais, pris par le travail, il se borne à cette réaction de générosité, assez rare à l'époque. Quelques mois plus tard, il dénonce dans des articles publiés dans Le Figaro les 25 décembre 1895, 9 et 16 mai 1896 les dangers que font courir à la France les campagnes de presse odieuses menées contre la République et les Juifs. Bernard Lazare vient le trouver sans le convaincre encore de s'engager réellement pour la défense de Dreyfus. Il va le faire lorsqu'il apparaîtra clairement que le vrai coupable est le commandant Esterhazy. Lorsque celui-ci, protégé par l'armée, est acquitté à l'unanimité le 11 janvier 1898, Zola, indigné, publie dans L'Aurore du 13 janvier 1898 le fameux J'accuse, lettre adressée au président de la République, dans laquelle il attaque nommément les membres de l'état-major, cherchant à se faire inculper pour que la vérité éclate dans un procès.
Zola sera bien inculpé, au terme de deux procès, condamné à un an d'emprisonnement et à 3000 francs d'amende (la plus lourde peine). Il quitte la France le 18 juillet 1898 pour l'Angleterre, d'où il ne reviendra que le 5 juin 1899. Il a été abreuvé d'injures, calomnié, radié de l'ordre de la Légion d'honneur. Il n'a, malgré ce que l'on a ignominieusement insinué, rien touché d'un «syndicat» juif, mais, lui qui ne vit que de sa plume, il a perdu le calme propice au travail, et une grande partie de ses lecteurs.
Émile Zola meurt à Paris, asphyxié, le 29 septembre 1902, à l'âge de 62 ans, sans avoir vu triompher la vérité pour la défense de laquelle il s'est engagé, notamment la loi d'amnistie du 14 décembre 1900 visant tous les faits relatifs à l'Affaire, les coupables comme les défenseurs de Dreyfus! Mais ce très grand écrivain, dont l'Académie française avait rejeté toutes les candidatures, avait su mettre en jeu son immense notoriété, accomplir un acte dont la valeur morale et sociale a été déterminante, et devenir un modèle pour les intellectuels épris de justice et de vérité.
Colette Becker,
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