Ovide

Biographie

Ovide
Ovide

Poète latin, Ovide (Publius Ovidius Naso) est né le 20 mars de l’an 43 avant J.-C. à Sulmona (Abruzzes, Italie).

Il nous a laissé les principaux éléments de sa biographie dans les poèmes qu’il écrivit en exil. Ce retour du poète malheureux vers son insouciante jeunesse est assez émouvant. Des bords froids et tristes de la mer Noire, Ovide évoque les lumineuses visions de Rome, de la Grèce et de la Sicile, sa brillante carrière de poète à la mode. Après son enfance à Sulmona, petite ville des Abruzzes, «qu’arrosent des eaux fraîches», il fut envoyé par son père à Rome pour y suivre les enseignements du grammairien, puis du rhéteur. Sénèque le Rhéteur nous a laissé quelques renseignements précieux sur les années d’apprentissage d’Ovide. Il fut l’élève d’Arellius Fuscus, très helléniste, et de Porcius Latro, dont plusieurs sentences se retrouvent dans les poésies d’Ovide. Sénèque nous a même conservé le texte d’un exercice scolaire, une «controverse», dans laquelle le jeune Ovide défendait déjà les droits du cœur dans une bizarre affaire de suicide par amour. Le futur maître dans L’Art d’aimer était d’ailleurs naturellement poète: «Dès mon enfance, je me plus aux mystères sacrés, et la Muse, secrètement, m’attirait à son service […] Tout ce que j’essayais d’exprimer prenait naturellement la forme du vers.»

À ce poète naissant, une merveilleuse occasion de nourrir son génie fut offerte. À dix-huit ans, Ovide s’embarqua pour un voyage d’étude en Grèce, qui allait parfaire sa culture hellénique et lui révéler la lumière, la mer, le paysage, l’art de la Grèce. La poésie d’Ovide sera, d’ailleurs, ordinairement moins inspirée par la nature que par les arts plastiques. Dans ce voyage, C. Pompeius Macer, poète comme lui, l’accompagnait. À leur retour, ils restèrent longtemps en Sicile: «Nous vîmes le ciel resplendir de la flamme de l’Etna, que vomit la bouche du géant enseveli dans la montagne, et le lac d’Henna et les marais fétides de Palicus, et l’Anapus mêlant ses eaux à celle de Cyané et la Nymphe, tout près de là, qui, fuyant le fleuve d’Elide, court encore aujourd’hui sous les eaux de la mer.»

Rentré à Rome. Ovide commença à parcourir les premières étapes du «cursus honorum» qui normalement devait le conduire au Sénat. La vie politique à Rome venait d’ailleurs de subir une transformation décisive pendant l’enfance et l’adolescence d’Ovide. Les guerres civiles avaient mis fin à la République romaine. Octave triomphant avait ramené l’ordre, la paix, mais fondé l’Empire. Toutes les forces matérielles et spirituelles étaient mobilisées au service du renouveau de l’idée romaine. Mais la carrière d’Ovide s’interrompit rapidement. Elle lui fit pourtant prendre contact avec les problèmes juridiques en qualité de triumvir (fonction policière), de décemvir et de centumvir (fonction judiciaire). «J’ai sans malversations tenu en main la fortune des accusés et jugé les procès du ressort des décemvirs, dira-t-il plus tard à Auguste. Sur les affaires privées aussi, j’ai statué en juge irréprochable, et même la partie condamnée reconnut mon impartialité.»

Oui, mais Ovide ne pense sérieusement qu’à une seule chose: la poésie. Il fréquente le cercle de Messala, préfet de la ville de Rome. Il y rencontre Horace, Properce, Tibulle, Virgile, ce dernier à peine entrevu. Dans ce cercle, on cultive particulièrement l’élégie. Messala encourage Ovide dans cette voie et le «lance». Ovide lit ses premiers vers en public à dix-huit ans. Il va connaître rapidement le succès avec ses Amours, qu’il publiera en 15 av. J.-C., et dont il donnera une seconde édition réduite en 4 av. J.-C. Ce livre est l’histoire d’une liaison, avec toutes ses péripéties. La maîtresse d’Ovide est Corinne: nom d’emprunt, nom collectif sans doute. Nulle passion n’arrache de cris au poète: seulement de la grâce, de la verve, de l’esprit.

Enhardi par le succès, Ovide se lance dans un genre fort différent et très sérieux: la tragédie. Sa Médée sera goûtée par des connaisseurs comme Quintilien et Tacite. Mais, après cette tentative honorable, Ovide reviendra à l’élégie. En même temps que les Amours, il avait commencé à composer les Héroïdes, dans un genre qu’il prétendait avoir inventé. Ce sont les lettres d’amoureuses illustres: Pénélope, Briséis, Phèdre, Didon, Hermione, Déjanire. Ariane, Médée, Sappho, Hélène, etc. ou de leurs soupirants, Paris, Léandre, Acontius. La rhétorique et l’esprit précieux d’Ovide s’y donnent libre cours.

Immédiatement avant ou après l’ère chrétienne paraît L’Art d’aimer. Ici Ovide s’aventure sur un terrain scabreux. Octave devenu Auguste veut restaurer la morale romaine, réagir contre l’adultère. Ovide, pour sa part, offre un traité de la séduction. Il se défendra en disant qu’il n’écrit pas pour les honnêtes femmes. L’ouvrage est charmant par sa finesse psychologique, par la savoureuse évocation de la vie romaine, par son ton de gracieux badinage. Un tel livre assura à Ovide un succès définitif. Le public féminin pouvait aussi lire De la manière de soigner le visage féminin, recettes de beauté versifiées. Et le poète donnait également, dans Les Remèdes d’amour, le secret de la guérison aux «cœurs malheureux».

La Muse et la Fortune avaient donc souri à Ovide. Dans sa maison située non loin du Capitole, une société brillante et heureuse de vivre se réunit. Le «chantre léger des tendres amours» semblait même avoir trouvé enfin l’amour conjugal avec une troisième épouse, qui ne lui apporta pas seulement l’affection, mais ses puissantes relations dans l’entourage impérial. Tout jeune, on lui avait imposé un mariage qui fut un échec total. D’un second mariage, il avait eu une fille. Mais, bien qu’il affirme que sa seconde femme ait été sans reproche, il avait dû s’en séparer. Protégée d’Atia, tante maternelle d’Auguste, sa troisième femme était liée à la maison de Fabius Maximus, un des favoris d’Auguste. Elle le rapprochait de l’empereur.

Les genres littéraires et les thèmes d’Ovide changent alors complètement. Les Métamorphoses, poème de quatorze mille vers en quinze livres, groupent habilement les récits de la mythologie grecque en une chatoyante tapisserie. Les Fastes s’inscrivent nettement dans le programme impérial de restauration de la religion romaine. C’est le calendrier établi par le collège des pontifes, et qui marque les jours fastes et néfastes, les fêtes, les dates importantes de l’histoire de Rome. Mettre ce calendrier en poésie, c’est donc traiter un sujet éminemment romain. Mais, tandis qu’Ovide entreprend cette tâche, le destin frappe. Un édit impérial condamne le poète à la relégation à vie (8 novembre après J.-C.). Il doit s’embarquer en décembre et rejoindre Tomis (l’actuelle Constanza, port de la Dobroudja, en Roumanie).

Que s’est-il passé? Dans les poèmes de l’exil, Ovide fait allusion à deux motifs: l’un avoué, l’autre secret: «Je n’ai rien fait que la loi me défendît de faire, et cependant, je dois l’avouer, ma faute est plus grave encore. Ne demande pas ce qu’elle est. J’ai écrit un Art absurde (allusion à L’Art d’aimer), c’est lui qui empêche qu’on puisse considérer mes mains comme innocentes. Si j’ai commis quelque autre faute, veuille ne pas le demander. Je veux que dans mon Art on voit toute ma faute.»

Il est évident que L’Art d’aimer a été invoqué par Auguste comme un prétexte, afin de dissimuler le vrai motif de l’exil d’Ovide. Il y avait déjà huit ans que le livre avait paru et, somme toute, il n’était pas plus immoral que d’autres. Sur le vrai motif, on est réduit aux conjectures. Ovide s’est tu. Il eût été extrêmement dangereux pour lui de le divulguer. On voit simplement qu’il insiste sur le caractère involontaire de sa faute: «Pourquoi ai-je vu quelque chose? Pourquoi ai-je rendu mes yeux coupables? Pourquoi n’est-ce qu’après mon imprudence que j’ai compris ma faute? (…) Oui, à l’égard des dieux, le hasard lui-même doit être expié. La divinité ne fait point grâce à l’erreur involontaire.»

À vrai dire, ces affirmations peuvent être un système de défense. On peut vraisemblablement supposer que cette consigne de silence imposée à Ovide cachait quelque scandale de l’entourage impérial dont il aurait été le témoin, voire le complice. On a supposé (Boissier) qu’Ovide aurait favorisé les relations coupables entre Julie, petite-fille d’Auguste, et Silanus, exilés tous deux la même année. On a pensé aussi (Ellis) qu’Ovide avait assisté à une cérémonie secrète du culte d’Isis et que cette indiscrétion avait déplu à Livie, la femme de l’empereur, fervente des mystères de la déesse égyptienne. Pour d’autres (Ripert), Ovide aurait été trop lié avec Fabius Maximus, dont son mariage l’avait rapproché, et ce Fabius Maximus aurait cherché à influencer Auguste pour qu’il désignât comme successeur Agrippa Postume plutôt que Tibère, fils de Livie. Quoi qu’il en soit, l’arrachement à Rome, à ses amis, à sa famille déchira cruellement le poète. Sa femme voulait le suivre. Elle le pouvait mais, restant à Rome, elle s’emploierait à le faire réhabiliter et à préserver ses biens de la confiscation.

Ovide nous a laissé la description de la nuit de décembre où il quitta Rome, laissant ses amis en pleurs, sa femme inanimée de douleur, pour rejoindre Brindisi où l’attendait le bateau qui allait l’emporter irrévocablement. Après une longue et pénible traversée, Ovide trouva à Tomis un pays glacial et sinistre: «Au-delà d’ici, il n’y a rien, sauf seulement le froid et l’ennemi, et l’onde marine condensée par le gel qui la saisit.» C’est dans ce lointain poste frontière qu’Ovide va passer les dix dernières années de sa vie, espérant toujours une grâce de plus en plus improbable, suppliant inlassablement Auguste et Livie de lui pardonner, pressant sa femme, ses amis, d’intervenir pour lui, s’acharnant à continuer son œuvre poétique loin de tout secours intellectuel.

Il continua de travailler aux Fastes, composa des élégies et des épîtres en vers, respectivement Les Tristes et Les Politiques, dans lesquels il décrit ses états d’âme, la tristesse du pays où il vit, dans lesquels il évoque aussi les beaux souvenirs de sa vie heureuse. Ces deux ouvrages constituent un véritable journal, d’abord de voyage, ensuite d’exil, c’est ce qui fait leur prix. L’amour pour sa femme, la tendresse pour ses amis, la haine de ses adversaires, la craintive supplication aux puissants, sont les thèmes les plus fréquents. Mais on entrevoit aussi ce que pouvait être la vie dans celte petite ville, aux limites de l’Empire, la rencontre entre la civilisation gréco-romaine et la barbarie.

En l’an 14, Auguste mourut. Le fils de Livie lui succéda, Tibère, qui ne voulut rien changer aux dispositions prises par Auguste. L’angoisse de mourir en exil commença de saisir Ovide: «Je suis venu sur la terre des Gètes, il faut donc que j’y meure.» Il se sentait de plus en plus abandonné, de plus en plus isolé.

On ne sait rien de sa mort à Tomis, survenue probablement à la fin de l’an 17 après J.-C., à l’âge de 60 ans. Il s’était composé lui-même cette épitaphe: «Moi qui suis couché là, chantre léger des tendres amours, Nason, le poète, mon inspiration m’a perdu. Passant, qui que tu sois, si tu as aimé, pour conjurer le malheur prononce ces paroles: que les restes de Nason reposent dans la paix.»

Cette vie est celle d’un poète uniquement poète, pour qui l’art pour l’art est la seule valeur. On a beaucoup reproché à Ovide son maniérisme et son art recherché, décadent. Il n’émeut pas beaucoup, même dans les poèmes de l’exil, mais il charme par sa fraîcheur, son esprit, son don d’observation. Son succès ne s’est jamais démenti. Dès le vivant du poète, il fut considérable. Pendant son exil, on mimait ses poèmes à Rome. On a retrouvé des vers d’Ovide écrits sur les murs de Pompéi. D’une manière assez générale, les écrivains latins de qualité, comme Quintilien, comme Sénèque le Philosophe, comme Sénèque le Rhéteur, l’estimeront, lui reprochant toutefois de faire de l’esprit («lascivire») d’une manière immodérée et dans des descriptions qui ne supportent guère l’ironie. Cette considération réservée va faire place à un enthousiasme croissant au cours des siècles.

Les Métamorphoses fourniront des symboles à l’allégorie chrétienne. Le Moyen Age écoutera avec délices l’habile conteur, et sur son déclin viendra se mettre à l’école de L’Art d’aimer. Cher aux troubadours et aux trouvères, il est l’inspirateur du Roman de la Rose. Mais déjà au XIIe siècle il avait posé à saint Bernard et à Guillaume de Saint-Thierry le problème de l’amour, et ce dernier voulait écrire un Anti-Naso. En 1519, Luther proposera de supprimer un cours sur la logique aristotélicienne et de le remplacer par un cours sur Les Métamorphoses. Il revit en partie dans Ronsard, fournit au XVIIe siècle une mine inépuisable pour ses opéras, inspire les artistes du XIIIe siècle. Le début du XIXe siècle lui apporte un élève inattendu en la personne de Sören Kierkegaard, car Le Journal du séducteur puise une partie de son ironie étrange dans L’Art d’aimer.

Ovide, le chantre léger des tendres amours, est un des maîtres de la pensée et surtout de la sensibilité occidentales, à laquelle il a fourni pour une grande part ses expressions, ses thèmes et ses problèmes.

Pierre Hadot,

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Paris, lundi 2 octobre 2023