Wilhelm Reich

Biographie
Wilhelm Reich
Wilhelm Reich

Psychiatre, psychanalyste et penseur américain d’origine autrichienne, Wilhelm Reich est né à Dobrzcynica (Galicie autrichienne) le 24 mars 1897.

Wilhelm Reich appartient à une famille de Juifs assimilés, nourris de culture allemande, et auxquels l’Empire austro-hongrois, relativement libéral, offre des conditions favorables de développement.

Dans la vaste exploitation agricole vouée à l’élevage des bovins que dirige son père, le petit "Willy" est élevé en dehors de toute tradition religieuse, d’abord instruit par deux précepteurs, avant d’entrer à quatorze ans au lycée allemand de Czernowitz. La même année , il joue un rôle important dans le suicide de sa mère en révélant à son père la liaison de celle-ci avec l’un de ses précepteurs. Trois ans plus tard, son père meurt d’une pneumonie, et Wilhelm, qui a alors dix-sept ans, lui succède à la tête de la ferme familiale.

Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, il s’engage dans l’armée autrichienne et participe comme officier aux opérations militaires. En 1918, retour de guerre, il entreprend des études de médecine à l’université de Vienne.

Adhérant avec enthousiasme à la psychanalyse, il rencontre Sigmund Freud et est admis dès 1919 à la Société psychanalytique de Vienne, devant laquelle il fait sa première communication, sur les "Conflits de la libido et formations délirantes dans Peer Gynt d’Henrik Ibsen". Ce héros norvégien en quête d’identité, et qui finit par se faire proclamer empereur d’Égypte dans un asile de fous, symbolise en quelque sorte le malaise du post-romantisme allemand auquel Reich s’identifie. Il fait la connaissance d’Annie Pink (qui deviendra sa première femme sous le nom d’Annie Reich-Rubinstein) et d’Otto Fenichel (dont il partagera pendant quelques années les positions politiques).

En 1921, il commença à pratiquer la psychanalyse après avoir été analysé par Isidor Sadger et Paul Federn. Il dirige alors un séminaire de sexologie qui a beaucoup de succès. Dès cette époque, il évolue vers un énergétisme qui s’accorde mal avec la refonte freudienne mise en oeuvre dans la deuxième topique. D’où l’idée reichienne selon laquelle l’hypothèse de la pulsion de mort aurait été consécutive à une dépression de Freud causée par l’évolution orthodoxe du mouvement psychanalytique après la Première Guerre mondiale. C’est à cette époque que Federn tente vainement de démontrer à Freud que Reich est atteint de schizophrénie. Il veut ainsi le marginaliser tout en posant le problème du statut des praticiens fous au sein des sociétés psychanalytiques. Freud ne veut rien savoir et préfère s’en tenir à une évaluation de ses qualités intellectuelles. Wilhelm Reich poursuit ses études de psychiatrie et devient en 1922 premier assistant à la polyclinique psychanalytique fondée par Sigmund Freud.

Dès 1924, il s’intéresse aux œuvres de Karl Marx et de Friedrich Engels pour tenter de mettre en évidence l’origine sociale des maladies mentales et nerveuses. Dans cette perspective, il cherche à concilier les concepts marxistes et ceux de la psychanalyse. En 1927, il publie coup sur coup deux livres majeurs. L'un est un ouvrage de sexologie, La Fonction de l’orgasme, où la libido freudienne est conçue avant tout comme une énergie sexuelle trouvant son expression plénière dans la génitalité. Il dédie le livre à "mon maître le professeur Sigmund Freud". Dans l'autre essai, De l’analyse caractérielle (qui deviendra ensuite L’Analyse caractérielle), il amorce l’essentiel de sa divergence théorique et technique avec le freudisme.

Il accuse les psychanalystes d’abandonner la libido et de vouloir domestiquer le sexe en acceptant le principe d’une adaptation de l’individu aux idéaux du capitalisme bourgeois. Dans un premier temps, bien qu’il ne partage pas les opinions du jeune homme, Freud le trouve plutôt sympathique: "Nous avons ici un docteur Reich, écrit-il à Lou Andreas-Salomé, un brave mais impétueux enfourcheur de chevaux de bataille qui maintenant vénère dans l’orgasme génital le contrepoison de toute névrose." L’empathie sera toutefois de courte durée.

Dans ce débat sur la sexualité, qui durait depuis la fin du XIXe siècle, la position de Reich est symétrique de celle de Carl Gustav Jung. Si ce dernier désexualise le sexe au profit d’une sorte d’élan vital, Reich procède à une désexualisation de la libido au profit d’une génitalité biologique fondée sur l’épanouissement d’un bonheur orgastique d’où la pulsion de mort est exclue.

Après avoir été membre du parti social-démocrate autrichien, Wilhelm Reich adhère en 1928 au Parti communiste et commence à militer avec ardeur tout en construisant une mythologie ouvriériste selon laquelle la génitalité du prolétariat serait exempte du "microbe" bourgeois. Il n’hésite pas à affirmer que les névroses sont plus rares dans la classe ouvrière que dans les couches supérieures de la société. Cela le conduit à accentuer encore son refus de la notion de pulsion de mort, déjà exprimé dans La Fonction de l’orgasme.

Préoccupé d’action sociale et de prévention, il fonde la Société socialiste d’information et de recherches sexuelles puis crée des cliniques d’hygiène sexuelle destinées à l’information des salariés. Fasciné par la Révolution, il se rend en Russie en septembre 1929 et s’informe des conflits qui opposent les freudo-marxistes aux antifreudiens. À cette époque, il est le seul intellectuel d’Europe à connaître la réalité des débats russes sur la psychanalyse. À Moscou, il s’enthousiasme pour l’expérience d’éducation libertaire de Véra Schmidt, fondée sur la liberté sexuelle des enfants, et a de longs entretiens avec elle. La même année, il publie dans la revue moscovite Sous la bannière du marxisme son célèbre manifeste fondateur du freudo-marxisme: Matérialisme dialectique et psychanalyse. Dans ce texte, il opère des rapprochements entre la doctrine freudienne et le marxisme pour montrer, contre les psychologues bolchéviques qui récusent le caractère "idéaliste" de la psychanalyse, que celle-ci est une "science naturelle" prenant pour objet la vie psychique de l’homme.

À Berlin, où il s’installe en 1930, Wilhelm Reich fait une autre analyse, avec Sandor Rado. Il s’intègre à la Société psychanalytique locale et déploie une intense activité. Il milite aux côtés des communistes, fonde l’Association pour une politique sexuelle prolétarienne, ou SEXPOL, à travers laquelle il développe une politique d’hygiène mentale en direction de la jeunesse, et crée les éditions Sexpol Verlag, où il publie de nombreuses brochures. Pour lui, la lutte sexuelle peut être assimilée à la lutte des classes. Il expose sa réflexion anthropologique dans La Révolution sexuelle (1930, recueil de plusieurs écrits qui sera réédité et enrichi en 1936, 1945 et 1962) et L’Irruption de la morale sexuelle (1932), mais son travail commence bientôt à irriter à la fois le milieu psychanalytique, très conservateur en politique, et les communistes staliniens, opposés à ses thèses libertaires.

Entre 1930 et 1933, il rédige sa plus belle œuvre, qui deviendra un classique: La Psychologie de masse du fascisme. Loin de regarder le fascisme comme le produit d’une politique ou d’une situation économique, d’une nation ou d’un groupe, il y voit l’expression d’une structure inconsciente et étend la définition à la collectivité pour souligner qu’en définitive le fascisme s’explique par une insatisfaction sexuelle des masses. Il reprend en fait une thèse qui avait été traitée par Gustave Le Bon, puis par Sigmund Freud dans Psychologie des masses et analyse du moi, mais en lui donnant un contenu radicalement nouveau au moment même où le nazisme déferle sur l’Allemagne. L’ouvrage aura un retentissement mondial, et la doctrine reichienne sera reprise par tous les théoriciens du freudo-marxisme, puis, autour des années 1970, par les mouvements libertaires.

Ses deux grands ouvrages de 1933, L’Analyse caractérielle, dans lequel il adopte des positions identiques à celles de Sandor Ferenczi au sujet de la technique active, et La Psychologie de masse du fascisme, entraînent son exclusion et du Parti communiste et de l’Association psychanalytique. Avec ses disciples, Freud a en effet opté pour une stratégie qui consiste, par crainte d’éventuelles représailles du gouvernement nazi, à exclure de ses rangs les militants d’extrême gauche: Marie Langer fera elle aussi les frais de cette politique.

C’est en effet en raison de son adhésion au communisme, et non pour un désaccord technique et doctrinal, que Reich est alors persécuté par le mouvement freudien, par Freud lui-même mais aussi par Ernest Jones. Du fait de son anticommunisme et de son conservatisme, Jones est en effet peu sensible au danger que représente le nazisme pour le freudisme. Aussi accepte-t-il en 1933-1935, avec l’appui tacite de Freud, de soutenir une politique de "sauvetage" de la psychanalyse en Allemagne. Or Reich pense au contraire qu’il faut lutter contre le nazisme et préconise, contre cette politique de prétendu sauvetage, la dissolution pure et simple de la Deutsche Psychoanalytische Gesellschaft dès 1933. Au congrès de Lucerne de 1934, il est ainsi exclu des rangs de l’IPA alors même qu’il devient impossible de lui reprocher son bolchevisme puisqu’il n’est plus membre du Parti communiste. Cette exclusion jouera un rôle majeur dans l’évolution ultérieure de Reich. En un premier temps, il rejoindra la gauche freudienne non communiste et entamera ensuite un dialogue fécond avec Otto Fenichel, en dépit de nombreux désaccords.

À partir de 1933, et surtout après sa double exclusion de l’IPA et du Parti communiste, il se sent terriblement persécuté. Il se sépare d’Annie Reich, la mère de ses deux filles, qui reste membre de l’IPA et amie d’Otto Fenichel. Par la suite, il vivra plusieurs années avec Elsa Lindeberg, une danseuse rencontrée à Berlin et qui le rejoindra à Copenhague, où elle deviendra l’adepte d’une psychothérapie fondée sur les mouvements corporels.

Traité de schizophrène par la communauté freudienne, il doit affronter une campagne de diffamation contre ses recherches. Il s’exile au Danemark, puis s’installe en 1936 à Oslo (Norvège) où il fonde l’Institut de recherches biologiques d’économie sexuelle dans lequel se regroupent des médecins, des psychologues, des éducateurs et des sociologues. Parallèlement, il invente et pratique la végétothérapie, future orgonothérapie, et fait des expérimentations sur ces particules d’énergie vitale qu’il nomme Les Bions (titre de son livre qui sera publié en 1938). Il lie la cure par la parole à l’intervention sur le corps. Il laisse libre cours à sa fascination pour les théories physico-biologiques, tentant de concilier les thèmes cosmogoniques chers au Romantisme avec la technologie quantitative propre à la Sexologie.

En 1939, Wilhelm Reich quitte définitivement l’Europe avec sa nouvelle compagne, Ilse Ollendorf, qui deviendra sa deuxième femme et lui donnera un fils. Réfugié aux États-Unis, il s’installe dans un vaste chalet du Maine, près de la frontière canadienne, et tente d’y réaliser son rêve: construire une théorie orgastique de l’univers et la mettre en pratique à l’aide des moyens technologiques de son époque. Avec son institution de recherche baptisée Orgonon, qui comprend des laboratoires, une maison d’édition, des séminaires, il élargit considérablement son champ d’action et forme de nombreux élèves à la pratique de la "végétothérapie caractéro-analytique". Il croit découvrir l’"Orgone atmosphérique" et tente de la capter afin de guérir ses patients de leur impuissance orgastique. Il expérimente ses "accumulateurs d’orgone", véritables machines destinées à stocker la fameuse énergie.

En 1940, il rencontre Albert Einstein qui le reçoit pour un entretien de cinq heures et s’émerveille de ses découvertes. Un mois plus tard, le physicien rendra toutefois un verdict négatif sur ces expériences.

À partir de 1942, Reich est attaqué de toutes parts, traité de charlatan, de schizophrène, et d’escroc pour avoir commercialisé ses accumulateurs d’orgone. Ses recherches peu orthodoxes sur le cancer (La Biopathie du Cancer, 1948), sur "l’orgone atmosphérique", et sa pratique clinique suscitent une véritable persécution. Il s’enfonce progressivement dans la folie, se croyant victime du grand MODJU. Ce mot forgé par lui dérive de MO (cenigo), personnage anonyme qui a livré Giordano Bruno à l’Inquisition, et de DJOU (gachvili), alias Staline.

En 1954, devant son refus de répondre à une citation en justice (parce qu’il estime qu’aucune cour ne peut juger de ses découvertes scientifiques) un juge prescrit la destruction des appareils et la destruction par le feu de la majeure partie de ses oeuvres, considérées comme "propagande" ou "textes publicitaires". Il est finalement inculpé, condamné à deux ans de détention et incarcéré le 12 mars 1957 après un lamentable procès. C’est au pénitencier de Lewisburg, en Pensylvanie, que Wilhelm Reich meurt d’une attaque cardiaque dans la nuit du 3 novembre 1957, à l'âge de soixante ans.

L’itinéraire tourmenté du plus grand dissident de la deuxième génération freudienne, proche de Wilhelm Fliess pour ses théories biologiques et d’Otto Gross pour son destin d’éternel persécuté, a ensuite été raconté de façon caricaturale par l’historiographie officielle, et notamment par son principal représentant, Ernest Jones, responsable avec Max Eitingon, Anna Freud et Sigmund Freud de son exclusion de l’International Psychoanalytical Association (IPA). Wilhelm Reich fut en réalité le fondateur du freudo-marxisme, le théoricien d’une analyse du fascisme qui marqua tout le XXe siècle, et l’artisan d’une refonte de la technique psychanalytique qui s’appuyait sur une conception de la sexualité plus proche de la sexologie que de la psychanalyse. Ses thèses eurent et ont encore une postérité importante, tant du côté du biologisme, quand elles firent retour avec la gestaltthérapie, que lorsque elles furent remises à l’honneur par les mouvements de contestation libertaire dans la plupart des grands pays où s’est implantée la psychanalyse.

Mélanie Wolfe,

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Paris, mardi 15 octobre 2024