Sigmund Freud

Biographie
Sigmund Freud
Sigmund Freud

Écrivain et psychanalyste autrichien, Sigmund Freud est né le 6 mai 1856 à Freiberg, en Moravie (aujourd'hui Przibor, en République tchèque).

On ne peut guère baptiser Freud que par le "métier" qu'il a rendu possible et par l'oeuvre considérable qu'il a produite pour fonder sa découverte d'une "discipline" inédite, baptisée par lui-même "psychanalyse" (néologisme introduit en 1896). C'est donc à la fois un écrivain — par sa contribution à la culture et à la "science" — et le premier psychanalyste ! Son "destin de vie" est donc étroitement lié, comme il le dit dans le post-scriptum de son Autoprésentation (1935), à celui de sa recherche — ce qui est le propre du fondateur.

Venu à Vienne (Autriche) — lieu de naissance de la psychanalyse et de résistance à la psychanalyse — avec son père, Jacob Freud, négociant en laines juif, en 1859, Freud devait y demeurer jusqu'en 1938, date à laquelle il dut s'exiler à Londres sous la pression de la persécution nazie.

C'est à la faculté de médecine de Vienne, où il s'inscrit en 1873 — après avoir entendu lors d'une conférence le poème De la nature attribué à Goethe (en fait, de Tobler) —, que Freud a acquis la formation qui devait laisser son sceau sur la psychanalyse. Il y acquiert en effet, en même temps que ses connaissances médicales, l'esprit de rigueur des "sciences de la nature". Sous l'influence de ses maîtres, notamment Ernst Brücke (1819-1892), physiologiste inspiré par le mode de penser "physicaliste", et de Theodor Meynert (1833-1892), il devient un chercheur en histologie et neurologie — ce dont témoignent ses monographies des années 1877-1886. Ayant acquis le diplôme de médecin en 1881, titulaire de l'habilitation en neuropathologie (1886), Freud aurait donc pu aspirer à une carrière universitaire en neurologie. Il est de fait l'un des précurseurs de la théorie neuronique et publie en 1884-85 une étude sur les effets thérapeutiques de la cocaïne, puis Sur les aphasies (1891). Marié en 1886, devant renoncer à la carrière universitaire (bien que professeur extraordinaire en 1902), c'est l'hystérie qui le réoriente vers la "psychologie".

Nous entrons ainsi dans la période de Naissance de la psychanalyse — titre sous lequel fut publiée la correspondance avec Wilhelm Fliess, oto-rhino-laryngologiste berlinois (entre 1887 et 1901). Sensibilisé à cette question par Josef Breuer (1842-1925), médecin et chercheur viennois, notamment par le cas d'Anna O., alias Bertha Pappenheim (1880-1882), Freud découvre lors de son voyage à Paris les perspectives thérapeutiques ouvertes par Jean-Martin Charcot (1825-1893) dont il suit les présentations de malades à la Salpêtrière en 1885-86 avant de traduire ses oeuvres.

L'expérience de l'hypnose, révélant l'effet de la suggestion (il rend visite à Nancy à Liébault et à Bernheim en 1889), l'achemine vers une théorie traumatique dont le principe est consigné dans les Études sur l'hystérie publiées avec Josef Breuer (1893-95): "Les hystériques souffrent essentiellement de réminiscences". Par cette voie, Freud se met sur la piste de l'étiologie sexuelle des névroses qui — cristallisée autour d'une "scène originaire", trauma sexuel sous forme de séduction ou de spectacle — fondera la "psychanalyse" comme théorie et pratique.

Le terme "psychanalyse" apparaît en 1896 (dans les Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense, et en français dans un écrit sur L'Hérédité et l'étiologie des névroses) pour désigner ce procédé nouveau. Renonçant à l'hypnose après avoir compris que la signification de la "scène originaire" tient aux fantasmes oedipiens qui s'y expriment (1897), Freud peut dès lors se consacrer à l'élaboration d'un savoir des processus inconscients (théorie baptisée "métapsychologie") ouvrant la voie à une "psychologie des profondeurs" et au perfectionnement de la technique d'écoute: c'est désormais la "libre association" qui fournit à l'analyste accès à la complexité des conflits — et il ne se contente plus d'espérer l'abréaction des affects bloqués. La propre auto-analyse de Freud a fourni le contexte de cette rupture ainsi que le lien transférentiel à Wilhelm Fliess.

On peut dès lors distinguer les périodes qui scandent en quelque sorte ce trajet vers la conquête de "l'objet" psychanalytique. La première période (1900-1914) est consacrée à l'exploration, via les "formations inconscientes", des modalités conflictuelles des pulsions et du refoulement. Le rêve fournit, comme objet d'interprétation, la "voie royale" et le Schibboleth d'accès à l'inconscient: d'où l'importance de L'Interprétation des rêves (1900), suivie de l'étude des actes manqués et autres formes de Psychopathologie de la vie quotidienne (1901-1904) et l'étude du Mot d'esprit dans sa relation avec l'inconscient (1905).

Ainsi s'organise une véritable syntaxe du travail inconscient qui permet de tirer profit de la pathologie des névroses pour la "psychologie normale". D'autre part, Freud trouve dans le fonctionnement de la libido et l'hypothèse d'une "sexualité infantile" le modèle qui va lui permettre de fonder l'analyse des modalités de fixation-régression qui éclaire la formation de symptôme. L'ensemble forme la théorie psychosexuelle. C'est pendant cette période que le "conquistador" Sigmund Freud achève sa "traversée du désert". Le cercle psychanalytique de ses disciples viennois fournit le point de départ du mouvement psychanalytique: les conférences prononcées à la Clark University de Manchester en 1909, la création l'année suivante de l'Association Psychanalytique Internationale attestent le début de réception du "freudisme", assortie de "résistances" que Freud estime inhérentes à son destin culturel.

La crise qui atteint le mouvement psychanalytique, avec la "dissidence" d'Alfred Adler en 1911 et surtout de Carl Gustav Jung en 1912-1913 (que Freud analyse dans Pour une histoire du mouvement psychanalytique en 1914), coïncide avec un renouvellement déterminant de l'édifice psychanalytique, en sorte qu'on peut parler d'un "deuxième souffle" du freudisme.

La période qui commence avec la Première Guerre mondiale inaugure un remaniement de la Métapsychologie — cette étude théorique des processus inconscients dans leur "dynamique", leur "économique" et leur "topique". Freud introduit en effet le narcissisme (Pour introduire le narcissisme) —, mettant désormais l'accent sur l'investissement de la libido sur le moi. Cela amènera à terme un bouleversement de la conception générale du conflit psychique, avec l'introduction de la "pulsion de mort" (dans Au-delà du principe de plaisir, 1920). Simultanément l'apparition de "nouveaux chemins de la théorie psychanalytique" — Otto Rank, Sandor Ferenczi — amène un ajustement des principes de la période antérieure.

Cela prépare le grand virage des années 1920: l'apparition d'une nouvelle topique distinguant, à la place de l'inconscient / pré-conscient / conscient, les instances du Moi, du Ça et du Surmoi (Le Moi et le Ça, 1923), et d'une théorie de l'angoisse (Inhibition, symptôme et angoisse, 1926) donne à la métapsychologie une physionomie nouvelle. On peut juger de cette évolution en comparant les Leçons d'introduction de la psychanalyse de 1916-1917 aux Nouvelles leçons de 1932-1933. On peut même parler d'un ultime réajustement dans les années 1930: engagé depuis 1923 dans une lutte contre la mort et la souffrance — atteint d'un cancer de la mâchoire —, Freud n'a eu de cesse de mettre à jour le savoir psychanalytique. C'est ce qu'attestent d'une part sa théorie du "clivage du moi" (Le Clivage du moi dans le processus de défense, 1937) et sa réflexion sur la cure (Analyse finie et analyse infinie, Constructions dans l'analyse, 1937), d'autre part L'Homme Moïse et le monothéisme, espèce de testament personnel (1937-39).

Lorsque Sigmund Freud meurt à Londres le 23 septembre 1939, à l'âge de 83 ans, il laisse une oeuvre impressionnante — quelque deux cents titres, dix-sept volumes des Gesammelte Werke (1940-1952) —, qui malgré sa reconnaissance progressive (il reçut le prix Goethe en 1930, mais non le prix Nobel) fut édifiée dans un climat de "dissidence". Se présentant comme un "Juif athée", Freud a attribué à sa condition judaïque un sentiment de "minoritaire" qui l'a mis en position chronique d'opposant aux idées reçues de la "majorité compacte". Il faut précisément souligner la nécessité de dater chacun des écrits pour le situer dans le mouvement d'un incessant working in progress.

Il est essentiel de relever que Freud a élaboré ses théories sous la pression constante de son "matériel clinique", soit la parole des "névrosés". Il a ainsi créé ce véritable genre littéraire qu'est l'histoire de cas, dans le sillage de Charcot mais désormais en référence au sujet même: Cinq psychanalyses rédigées entre 1905 et 1918. D'autre part, malgré sa référence aux sciences exactes, Freud n'a cessé de manifester un intérêt pour les problèmes de la culture, comme l'atteste Totem et Tabou (1913), où il montre l'importance du "meurtre du père" pour le lien social, Psychologie collective et analyse du Moi (1921) où il en tire les conséquences pour les "foules artificielles" (telles l'Église et l'armée) et Malaise dans la civilisation (1930) où le "freudisme" prend sa dimension de diagnostic sur le "malaise" oeuvrant chroniquement dans le processus "civilisateur". C'est ainsi qu'il faut comprendre également les "percées" du savoir psychanalytique sur la création esthétique et littéraire (notamment Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci, 1914, et l'essai sur L'Inquiétante Étrangeté, 1919).

Freud a ainsi attaché son nom non seulement à un processus d'investigation des processus psychiques inconscients — rompant ainsi, il faut le noter, avec les métaphysiques de l'Inconscient — et à une méthode de traitement des troubles dits névrotiques — fondée sur la psychosexualité, ce qui ne doit en aucun cas être confondu avec la sexualité au sens biologique ni même au sens sexologique — mais aussi à une série de conceptions psychologiques qui revendiquent à terme le statut de "science" (Psychanalyse et théorie de la libido, 1923). La psychanalyse ne saurait passer pour un "système" — Freud a récusé sa réduction à un "pansexualisme": c'est une méthode de recherche à la fois positive et soucieuse de faire droit aux "énigmes de la vie et du savoir" — ce qui lui donne une dimension faustienne, en une affinité avec Goethe, auteur du Faust, qui ne s'est jamais démentie chez le fondateur de la psychanalyse.

Freud a toujours insisté sur l'inaptitude de sa "psychologie des profondeurs" à livrer une "conception du monde" spécifique, c'est-à-dire une construction intellectuelle répondant au voeu d'unité et où toute chose aurait sa place. En contraste de ce voeu de synthèse, la psychanalyse ne peut qu'explorer de façon unilatérale, conformément à l'idéal scientifique, les motions pulsionnelles refoulées et ce "morceau d'étranger en nous" qu'est l'inconscient. C'est paradoxalement grâce à la modestie de ce propos que la psychanalyse a pu assigner au sujet sa dépendance effective envers sa part d'"insu". La théorie du refoulement, pierre de touche de la psychanalyse, prend par là même sa fonction de rappel, à destination de l'humanité, du prix à payer quant à l'ignorance de cette part pulsionnelle et à la surestimation des pouvoirs de la conscience et de la société. S'il y a une mission de Freud, c'est celle de rappeler envers et contre tout à la norme sociale cette part honnie et de construire une théorie et une pratique pour lui faire droit — d'où le courage, seule vertu qu'il revendique fermement.

La vie de Freud apparaît donc animée par un "destin à remplir", celui de réintroduire au coeur du savoir cet objet voué à l'opprobre. C'est par là que le freudisme prend la dimension de "révolution" anthropologique (au sens astromomique). C'est ce qu'exprime la parabole des "trois blessures d'amour-propre" imposées à l'humanité (Une difficulté de la psychanalyse, 1917). Après Nicolas Copernic, qui a mis fin à l'illusion cosmologique en rappelant à l'homme que sa position terrestre n'était pas le centre du monde, et Charles Darwin, qui a mis fin à l'illusion biologique en lui retirant sa position privilégiée dans la chaîne des êtres vivants, Sigmund Freud doit convaincre le Moi qu'il "n'est pas maître dans sa propre maison", dans sa propre psyché — désillusion la plus cruelle puisque entamant le narcissisme en son coeur. C'est parce qu'il était un "penseur par soi-même" que l'aventure intellectuelle attachée au nom de Freud a marqué l'époque contemporaine d'un sceau indélébile.

Paul-Laurent Assoun,

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Paris, vendredi 19 avril 2024