Stendhal

Biographie
Stendhal
Stendhal

Stendhal — pseudonyme de Marie-Henri Beyle — est né à Grenoble le 23 janvier 1783.

Sa famille appartient à la bourgeoisie aisée: son grand-père, Henri Gagnon, est médecin, et les Beyle ont la charge de procureur au parlement de Grenoble. Le petit Henri n'a pas sept ans lorsque disparaît sa mère, Henriette Gagnon, pour laquelle il éprouve une tendresse passionnée. Il ne pardonnera pas à son père, Chérubin Beyle, et à sa tante Séraphie d'être, à sa place, les témoins et les protecteurs de son enfance. Il ressent à leur égard une antipathie violente, qu'il étend aux idées respectables qu'ils représentent, dans l'ordre politique et religieux, ainsi qu'au décor provincial de son enfance: Grenoble. Mais cette animosité est le fait d'une âme sensible, privée de la présence maternelle, et on le voit bien à l'affection qu'il voue à son grand-père Henri Gagnon et à sa soeur Pauline.

La Vie de Henry Brulard, autobiographie de Stendhal, retrace cette enfance, partagée entre le besoin de tendresse et une haine cyniquement avouée, entre l'opposition systématique à tout ce que lui propose le milieu familial et, déjà, l'ambition tenace d'un avenir différent. Prenant le contre-pied des sentiments royalistes de son père, Henri se sent républicain, patriote, applaudit en secret à l'exécution du roi, et se réjouit même de l'arrestation (de brève durée) de son propre père. Un précepteur détesté, l'abbé Raillane, fait de lui un adversaire résolu de l'Église et de la religion.

En 1796, le jeune Henri Beyle suit les cours de l'École centrale de Grenoble. En même temps, il s'éveille à l'amour qui sera, nous dit-il, la principale affaire de sa vie. L'arrivée au théâtre de la ville de l'actrice Virginie Kubly lui inspire ses premiers émois. À l'issue de sa troisième année d'études, en 1799, il obtient brillamment un premier prix de mathématiques, et il s'aperçoit que les mathématiques — qui répondent d'ailleurs à son goût instinctif d'analyse et de logique — peuvent lui donner le moyen de fuir Grenoble et de monter à Paris, seule ville à la hauteur de ses ambitions.

Le 10 novembre 1799, le futur Stendhal arrive dans la capitale avec l'intention de se présenter au concours de l'École polytechnique. Mais, pris de mélancolie — il trouve désolant un paysage sans montagnes —, il tombe malade et renonce au concours. Pierre Daru, son parent et son protecteur, le fait travailler sous ses ordres au ministère de la Guerre. Le 7 mai 1800, Beyle quitte Paris pour l'Italie, où il sera nommé sous-lieutenant de cavalerie.

Il reconnaît d'emblée dans l'Italie sa patrie d'élection. Le mariage secret de Cimarosa, entendu dès les premiers jours, sera pour lui la révèlation de la musique. Milan, surtout, — dont il se considère désormais comme le citoyen, «milanese» — l'enchante. Mais la carrière militaire qui le promène à travers la péninsule, comme aide de camp du général Michaud, l'ennuie fort. En décembre 1801, il obtient un congé de convalescence, part pour Grenoble, qu'il quitte bientôt pour Paris, à la suite de Victorine Mounier dont il est devenu amoureux. Il donne sa démission de sous-lieutenant, et il mène à Paris cette vie de liberté, de loisirs, d'intrigues amoureuses, de soirées dans les salons et dans les théâtres qui fera toujours son bonheur.

Après Victorine Mounier, Adèle Rebuffet, Mme Rebuffet, l'actrice Mlle Duchesnois fixent son coeur momentanément. Il a des ambitions sociales: il veut faire fortune par le commerce et par la banque. Il a surtout des goûts et des ambitions littéraires. Il lit Destutt de Tracy et les Idéologues, il entreprend de se mieux connaître en tenant son journal, il veut enfin écrire "des comédies comme Molière".

Il rencontre Mélanie Guilbert, une jeune actrice, dont il devient amoureux. Il la suit à Marseille où elle vient d'obtenir un engagement. De juillet à fin décembre 1805, c'est, à Marseille, une lune de miel, cependant que le futur Stendhal travaille chez un épicier exportateur. En 1806, Mélanie quitte Marseille, et c'est la rupture. De retour à Paris, Beyle fait sa cour à ses cousins Daru. Grâce à leur protection, il trouve du service dans l'Intendance, et suit l'armée en Allemagne. Alors commence cette vie errante qui lui permettra de vivre dans le sillage de son héros, Napoléon, et surtout d'acquérir une incomparable expérience humaine. Expérience de soi au contact des autres, épreuve de soi dans l'action.

La petite ville allemande de Stendal lui fournit celui de ses nombreux pseudonymes auquel il finira par attacher sa gloire. Comme adjoint aux commissaires des guerres, il voit la bataille d'Iéna et l'entrée triomphale de l'empereur à Berlin. À Brunswick, de 1806 à 1808, il étudie la langue et la philosophie allemandes. Il en conçoit «assez de mépris pour Kant, Fichte, etc, hommes supérieurs qui n'ont fait que de savants châteaux de cartes», et son goût pour la clarté des Idéologues en est renforcé. En même temps, il fait une cour infructueuse, mais pleine d'agrément, à Wilhelmine de Griesheim.

En novembre 1808, il est rappelé à Paris. L'année 1809 le voit, sous les ordres du comte Daru, à Strasbourg, à Vienne, à Linz. En 1810, Stendhal est à Paris, vivant l'une des années les plus brillantes de son existence. Il est nommé auditeur au Conseil d'Etat, inspecteur du mobilier et des bâtiments de la Couronne. Il a une réputation de dandy et de brillant causeur, il fréquente les salons et les théâtres à la mode. Son attachement pour la comtesse Daru a pris peu à peu la forme de la tendresse amoureuse, mais leurs rapports resteront toujours ceux de l'amitié. En revanche, il obtient les faveurs d'Angeline Bereyter, qui restera sa maîtresse jusqu'à la chute de l'Empire, et d'Angela Pietragrua, dont il rêvait depuis longtemps, et qu'il retrouve à Milan.

Après un bref séjour en Italie (Bologne, Florence, Rome, Naples), Stendhal se retrouve à Paris en 1812 et suit les armées napoléoniennes en Russie. Il rejoint le quartier général de l'empereur, séjourne à Moscou du 14 septembre au 16 octobre, traverse, pour regagner Paris, Dantzig, Berlin et Brunswick. Bien qu'il se flatte d'avoir «donné à l'armée, au retour, entre Orcha et Borizow, le seul morceau de pain qu'elle ait reçu», il ne reçoit d'autre récompense que sa nomination comme intendant de la province de Sagan en Silésie. Il est envoyé en mission dans le Dauphiné pendant la campagne de France. Il ne revient à Paris que pour assister à la bataille de Montmartre et à la chute de Napoléon Bonaparte.

Dans un article nécrologique rédigé en 1837, Stendhal écrit de lui-même: «Le jour où les Bourbons rentrèrent à Paris, B. eut l'esprit de comprendre qu'il n'y avait plus en France que de l'humiliation pour qui avait été à Moscou. Il alla s'établir à Milan.» En effet, le 20 juillet 1814, il quitte Paris pour Milan où il va vivre pendant sept ans sans autre interruption que trois brefs voyages: en 1817, à Paris «qui lui fit horreur» et à Londres, en 1819 à Grenoble où son père vient de mourir. C'est sans doute la période la plus heureuse de la vie de Stendhal. Certes, sa vie sentimentale connaît des crises et des déboires. À la fin de 1815, il rompt avec Angela Pietragrua et son orageux amour. En 1818 et en 1819, sa vie est dominée par l'amour douloureux qu'il éprouve pour Métilde Dembowski. Il quitte Milan à sa poursuite, il la cherche à Volterra, à Florence, et ne parvient pas à vaincre sa résistance. Mais l'exaltation de la «chasse au bonheur» l'emporte sur la mélancolie de l'amour déçu, et cette vie italienne l'enchante, qui lui permet d'unir son romantisme et son culte de l'énergie, son enthousiasme pour Cimarosa et sa sympathie pour les carbonari.

C'est alors que commence sa carrière littéraire, bien qu'il n'eût cessé d'écrire depuis sa dix-huitième année. En 1814, il publie, sous le pseudonyme de L.A.C. Bombet, les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, en 1817 l'Histoire de la peinture en Italie, par M. B. A. A., et la même année, Rome, Naples et Florence par M. de Stendhal, son premier essai personnel, les deux autres ouvrages n'étant guère que des compilations. Enfin, sa passion malheureuse pour Métilde lui inspire son premier ouvrage important. Après avoir songé à lui dépeindre sa passion par l'intermédiaire d'un roman, il décide d'en faire la théorie. Ce sera De l'amour, auquel il travaille à Milan pendant toute l'année 1820, cependant que Métilde se fait de plus en plus sévère.

L'ouvrage paraît en 1822, et se présente comme «une description détaillée et minutieuse de tous les sentiments qui composent la passion nommée amour». On y trouve la célèbre théorie de la «cristallisation», processus par lequel l'esprit, modelant la réalité sur les désirs, couvre de perfections l'objet aimé ( «ainsi, lorsqu'on jette un rameau d'arbre dans les mines de sel de Salzbourg et qu'on l'en retire quelques semaines plus tard, les plus petites branches sont couvertes d'une infinité de brillants cristaux»). Puis Stendhal distingue différentes espèces d'amour selon les tempéraments, les régimes politiques, l'état des moeurs...

L'année précédente, il a quitté Milan à la fois parce que le gouvernement autrichien le soupçonne de carbonarisme et parce qu'il a perdu l'espoir de vaincre la résistance Métilde. Après un séjour à Londres, il reprend à Paris sa vie de dandy, fréquentant le grenier de Delécluze et collaborant, pour vivre, aux revues anglaises. En 1823, il publie la première partie de Racine et Shakespeare, véritable manifeste du «romanticisme» dont il propose une définition célèbre ( «Le Romanticisme est l'art de présenter aux peuples les oeuvres littéraires qui, dans l'état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible»), mais qui passe presque inaperçu.

Après avoir publié encore une Vie de Rossini, Stendhal regagne l'Italie, séjourne quelque temps à Rome, où il retrouve des amis (J.J. Ampère, Delécluze), puis revient à Paris où il devient l'amant de la comtesse Curial. Il publie dans le Journal de Paris des articles sur le Salon de peinture et sur les représentations de l'Opéra italien. En mars 1825, il publie la seconde partie de Racine et Shakespeare. En mai, il apprend la mort de Métilde Dembowski. En 1826, il rompt avec la comtesse Curial, séjourne en Angleterre et, peut-être pour se consoler de cette rupture, écrit son premier roman, Armance, qui paraît en 1827 — récit d'un amour arrêté par l'impuissance sexuelle, analyse dont l'ambiguïté atténue la hardiesse, et qui demeure, après tout, ouverte à d'autres interprétations. L'ouvrage passe complètement inaperçu.

Après la publication d'Armance, Stendhal reprend la route d'Italie, il rencontre Alphonse de Lamartine à Florence, séjourne à Bologne, Ferrare, Venise. Quand il arrive à Milan, la police le refoule vers la France. À Paris, où il est en janvier 1828, il s'inquiète de sa situation matérielle. Sa collaboration aux journaux anglais ne lui permet plus de vivre et il sollicite vainement un poste de bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque royale. En septembre 1829, paraissent les Promenades dans Rome. La même année, meurt le comte Daru. Il voyage dans le midi de la France (Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Marseille). Dans la nuit du 25 au 26 octobre, il a «l'idée de Julien» et il se met à écrire Le Rouge et le Noir. Des nouvelles — Vanina Vanini, Le Coffre et le Revenant, Le Philtre — paraissent dans La Revue de Paris.

Il devient l'amant de Giulia Rinieri, dont il demande la main. Le 25 septembre 1830, par ordonnance royale, Stendhal est nommé consul à Trieste, puis le 31 mars suivant à Civitavecchia. Le Rouge et le Noir, son premier chef-d'oeuvre, paraît le 13 novembre 1830. C'est la chronique et la critique de la société française sous la Restauration, le roman de l'ambition, de l'énergie personnelle, et, déjà, de la lutte des classes. Le livre s'appelait d'abord Julien, et il est en effet dominé par l'inoubliable figure du jeune précepteur plébéien qui, après avoir séduit deux femmes de l'aristocratie, meurt sur l'échafaud pour avoir tenté de tuer sa première maîtresse. Le titre choisi est généralement considéré comme symbolisant les deux couleurs de l'ambition vers 1830: l'habit militaire et la soutane. Remarqué par quelques esprits lucides, ce roman si neuf, aigu, impitoyable, noir et fougueux à la fois, se heurte à l'incompréhension générale.

À Civitavecchia, Stendhal s'ennuie. Au cours des années 1831 et 1832, il est le plus souvent à Rome — où il copie les vieux manuscrits qui lui fourniront les Chroniques italiennes — à Naples, à Florence, à Sienne où il retrouve Giulia Rinieri. Il commence à écrire les Souvenirs d'égotisme. Il prend autant de congés qu'il le peut, le bonheur de sa vie étant, dit-il, d'écrire des romans dans un grenier, non de porter l'habit brodé des consuls. Mais il lui faut bien regagner son poste. En 1834, 1835, 1836, à Civitavecchia (et à Rome), son métier ne l'occupant guère, il écrit. Il interrompt Lucien Leuwen, roman plus ironique, moins âpre que Le Rouge et le Noir, d'une richesse et d'une nouveauté psychologiques admirables, pour commencer La Vie de Henry Brulard, incomparable autobiographie.

De 1837 à 1838, il retrouve Paris où il reprend sa vie mondaine, et les chères soirées au théâtre. Mais il s'occupe surtout de son oeuvre. Il entreprend Le Rose et le Vert, publie dans La Revue des Deux Mondes quelques-unes de ses Chroniques italiennes: Vittoria Accoramboni, Les Cenci, La Duchesse de Palliano. Il parcourt la province française en vue d'écrire une relation de voyage: Les Mémoires d'un touriste, qui paraît en juin 1838. C'est alors qu'il songe à tirer de la jeunesse d'Alexandre Farnèse une chronique italienne. Mais il a, très peu de temps après, l'idée de la transposer en une chronique contemporaine et de lui donner les dimensions d'un roman. Ce sera La Chartreuse de Parme, son second chef-d'oeuvre, qu'il rédige en deux mois, en une sorte d'improvisation passionnée. La Chartreuse paraît le 6 avril 1839, peu après L'Abesse de Castro qu'il donne à La Revue des Deux Mondes.

On peut préférer le dramatique serré du Rouge au romanesque abandonné de La Chartreuse. Mais il est évident que La Chartreuse nous livre Stendhal tout entier: tout ce qu'un homme a pensé et aimé se rassemble ici en une vision définitive où se dessinent toutes les pentes de la rêverie, tous les sillages du coeur. La Chartreuse, plus encore qu'un roman, est une confession poétique. Livre inspiré (d'où la rapidité de sa composition) moins parce que l'auteur est ici au sommet de ses dons d'écrivain que parce qu'il a enfin ouvert la porte par où peuvent s'engouffrer tous ses souvenirs et ses rêves: Napoléon, l'énergie, l'aventure, l'amour, l'Italie,... La Chartreuse de Parme n'obtient que peu de succès, mais inspire à Balzac un étonnant éloge ( «M. Beyle a fait un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre»). L'étude parue dans La Revue parisienne contenant quelques reproches concernant le style, Stendhal s'emploie sans succès à le corriger.

En août, il a regagné Civitavecchia, où il travaille à Lamiel. S'ennuyant de plus en plus, privé d'affections, le travail littéraire piétinant, il se distrait en fouillant la campagne. Une jeune Romaine, qu'il nomme Earline, sera son dernier amour. Sa santé faiblit: le 15 mars 1841, il a une attaque d'apoplexie ( «Je me suis colleté avec le néant»). Le 8 novembre 1841, il arrive à Paris, très fatigué. Au début de 1842, sentant ses forces revenir, il se remet au travail. Mais le 22 mars, il est frappé d'apoplexie dans la rue et meurt le lendemain sans avoir repris connaissance. Le 24 mars, après un service en l'église de l'Assomption, il est inhumé au cimetière Montmartre.

Nombreux sont les ouvrages de Stendhal qui furent publiés après sa mort, notamment Lucien Leuwen, Lamiel, La Vie de Henry Brulard, Souvenirs d'égotisme (inachevés), le Journal (qui couvre la période allant de 1801 à 1823), la Correspondance. L'érudition contemporaine a pieusement recueilli ses moindres écrits. C'est que Stendhal est l'exemple le plus éclatant des réhabilitations posthumes. Depuis la fin du XIXe siècle s'est instaurée à son profit une véritable religion qui n'eut jamais plus de fidèles que de nos jours. Le mot «beylisme» définit, au delà d'une admiration littéraire, une attitude d'esprit et un mode de vie. «Égotisme», volonté de bonheur et culte de l'énergie, sincérité envers soi-même, alliance de lucidité sèche et de tendresse passionnée.

Méconnu de ses contemporains, Stendhal a donné à la postérité un rendez-vous auquel elle n'a pas manqué: «Je mets un billet à la loterie dont le gros lot se réduit à ceci: être lu en 1935.» Son oeuvre possède le privilège d'une inaltérable jeunesse. Mais le plus précieux en Stendhal, qui a donné à la littérature française deux de ses plus grands romans, est peut-être ce style qui est avant tout un ton, l'accent d'une conversation où se livre une personnalité passionnée et lucide, énergique et rêveuse, avec un abandon qui commande l'amitié.

Gaëtan Picon,

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Paris, vendredi 29 mars 2024