Eugène Zamiatine

Biographie

Eugène Zamiatine
Eugène Zamiatine

Écrivain russe, Evgueni Ivanovitch Zamiatine (Eugène Zamiatine) est né le 1er janvier 1884 à Lebedian (Russie).

Originaire de la Russie profonde, Zamiatine est de profession ingénieur naval.

Hérétique né, esprit non conformiste toujours en lutte contre les pharisiens de tout poil, il est arrêté en 1905 en tant que membre du parti bolchevik. Le tableau incisif de la vie cruelle et somnolente de la province russe qu'il trace dans ses Récits de la vie de province (1911), et Au diable vauvert (1913) lui vaut l'attention de la critique.

La révolution d'Octobre 1917 le trouve en Angleterre, d'où il rapporte le roman Les Insulaires (1918), satire mordante des petits bourgeois bien pensants dont il tire un drame: La Société des honorables sonneurs.

Après la Révolution, qu'il vit d'abord comme une fête, mais dont il rejette d'emblée les prétentions du nouveau pouvoir à régenter l'art et la pensée, il devient l'une des grandes figures de la vie culturelle russe. Son nom est lié à l'activité d'un groupe de jeunes écrivains, "Les Frères de Sérapion", qui défendent l'indépendance de l'art par rapport à la politique. Il y joue un rôle de pont entre l'ancienne et la nouvelle culture.

En 1920, il écrit un court récit, La Caverne, et surtout un roman d'anticipation politique anti-utopique, Nous (ou Nous autres selon les traductions en français), qui oppose un monde mécanisé aux aspirations libertaires et irrationnelles de l'homme. Dans Nous autres, un État totalitaire organise scientifiquement le "bonheur arithmétique" de ses citoyens. Ceux-ci, dont les noms sont remplacés par des numéros, vivent dans des maisons de verre où, en dehors des heures de travail, ils se livrent aux joies de la sexualité sur présentation d'un coupon rose. Cependant, la procréation a cessé d'être une affaire privée et est réservée à quelques-uns. Sur ce monde géométrique, rationnel et programmé règne le Maître, personnage terrifiant qui, les jours de fête, actionne la machine destinée à désintégrer les rebelles. Les numéros malades qui se sont vus pousser une âme sont normalisés par une petite opération chirurgicale du cerveau afin de les libérer de toute velléité d'autonomie. Le texte est parcouru par la dialectique du Grand Inquisiteur: l'humanité ne préfère-t-elle pas se dessaisir de la responsabilité et de la liberté en échange d'un certain bonheur et du confort ? Nous autres fustige la mécanisation et l'uniformisation que l'on observe dans les sociétés techniciennes à partir du XXe siècle. Il s'insurge contre les totalitarismes de tous bords et la dépersonnalisation de l'individu. En cela, le roman de Zamiatine préfigure Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley et 1984 de George Orwell. L'ouvrage, écrit en 1920, est mis à l'index dès 1921 par le régime soviétique et son auteur inscrit en 1922 par la Guépéou sur la liste des écrivains expulsables. Le roman paraît cependant dans une traduction anglaise aux Etats-Unis (1924) puis dans une version abrégée en russe à Prague (Tchécoslovaquie), publiée sous le patronage du linguiste Roman Jakobson dans la revue d'émigrés Volia Rosii (1927). Il est traduit et publié en français en 1929. Au moment de sa publication partielle à Prague, on ne veut y voir qu'un libelle antisoviétique. En Europe, la publication à l'étranger d'un ouvrage qui n'a pas eu l'imprimatur de l'Union soviétique est considérée par la critique de gauche comme un manque de loyauté politique au Parti Communiste. Sa parution donne le signal d'une véritable chasse à l'homme dirigée contre Eugène Zamiatine et Boris Pilniak — également coupable d'avoir fait paraître à Berlin son roman L'Acajou. Comme de nombreux autres écrivains, Zamiatine et Pilniak sont mis au ban de la littérature soviétique. La première véritable édition en russe de Nous autres ne paraîtra finalement qu'en 1952 à New-York et ce n'est qu'en 1988, plus de cinquante ans après la mort de l'auteur, que le lecteur soviétique aura une version autorisée en librairie à Moscou.

À la suite de ces péripéties, Zamiatine prend la décision d'émigrer. Dans une célèbre lettre à Joseph Staline, il demande à quitter le pays et, en 1931, il parvient à s'installer à Paris, après avoir publié L'Inondation (1929). Il écrit pour le cinéaste Jean Renoir le scénario des Bas fonds (1936), d'après Maxime Gorki.

C'est à Paris qu'il meurt prématurément le 10 mars 1937, à l'âge de 53 ans, sans avoir pu achever son grand roman Attila issu de la pièce du même nom (1927). Il y confronte l'époque contemporaine à celle des grandes invasions et tente d'y représenter des peuples "neufs" montant à l'assaut d'une culture occidentale déjà fatiguée.

Outre de nombreux récits: La Caverne (1922) , Le Récit du plus important (1924), L'Inondation (1929, et articles critiques, Zamiatine est l'auteur de deux pièces de théâtre. La Puce (1925), d'après le récit de Nikolaï Leskov Le Gaucher, renouvelle le genre par le mélange de procédés issus de la "commedia dell arte" et du théâtre populaire russe. Son autre pièce, Les Bûchers de saint Dominique (1923) , publiée mais non jouée, met en scène hérétiques et inquisiteurs, démontant les mécanismes du totalitarisme et les méthodes de la police politique.

"Il n'est de vraie littérature, écrit Zamiatine, que produite non par des fonctionnaires bien pensants et zélés mais par des fous, des ermites, des hérétiques, des rêveurs, des rebelles et des sceptiques." L'auteur de cette déclaration est un styliste extrêmement brillant. S'inscrivant dans la lignée de Nicolas Gogol et de Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine, son "néo-réalisme" porte à un point de perfection l'omementalisme d'Alexeï Rémizov. Il regarde l'univers au microscope et en donne une représentation "étrangéifiée". Cet art exigeant, concis, extrêmement achevé et qui sait toujours prendre ses distances, joue de la métaphore (souvent venue de l'univers mathématique), du symbole, du raccourci grotesque, de la composition sophistiquée.

Eugène Zamiatine a exercé une influence notable sur les écrivains russes du XXe siècle, tant par son œuvre que par sa position littéraire tout à fait indépendante.

Marianne Gourg,

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Paris, mardi 26 septembre 2023