Romancière anglaise, Jane Austen est née le 16 décembre 1775 à Steventon Rectory, dans le comté du Hampshire (Royaume-Uni), avant-dernière-née et deuxième fille d'une famille de nuit enfants. Son père, George Austen, était clergyman. Sa mère, née Cassandra Leigh, comptait parmi ses ancêtres sir Thomas Leigh, qui fut lord-maire de Londres au temps de la reine Elizabeth. Son grand-père maternel était clergyman; mais son grand-père paternel n'était que chirurgien.
Les revenus de la famille Austen étaient modestes mais confortables; leur maison de deux étages, le Rectory, agréable comme savait déjà l'être une maison de clergyman dans le Hampshire à la fin du XVIIIe siècle: des arbres, de l'herbe, un chemin pour les voitures, une grange même. On sait que la jeune Jane, comme Catherine Morland, l'héroïne de Nortbanger Abbey, aimait à rouler dans l'herbe de haut en bas de la pelouse en pente avec son frère préféré, Henry (son aîné d'un an) ou sa sœur Cassandra. Il n'est pas impossible qu'elle ait également préféré grimper aux arbres, battre la campagne les jours de pluie, à des activités plus convenables pour une petite fille du Hampshire dans une famille de clergyman, comme «soigner un loir, élever un canari...».
En 1782, Cassandra et Jane (alors âgée de sept ans seulement, mais elle n'avait pas voulu se séparer de sa sœur — elles ne se quittèrent guère de toute leur vie) furent envoyées à l'école, d'abord à Oxford, dans un établissement dirigé par la veuve du principal de Brasenose College, puis à Southampton, enfin à l'Abbey School de Reading, sous la surveillance de la bonne et vieille Mme Latoumelle; les études n'étaient pas trop épuisantes semble-t-il, puisque les demoiselles étaient laissées libres de leur temps après une ou deux heures de travail chaque matin.
De retour au Rectory (après une fuite précipitée de Reading à cause d'une épidémie), les deux sœurs complétèrent leur éducation grâce aux conversations familiales (les frères furent successivement étudiants à Oxford) et surtout à l'aide de la bibliothèque paternelle qui était remarquablement fournie, et à laquelle elles semblent avoir eu accès sans aucune restriction. Jane lut beaucoup: Henry Fielding et Samuel Richardson, Tobias Smollett et Laurence Sterne, les poèmes élégiaques de William Cowper et le livre alors célèbre de William Gilpin sur le «pittoresque». La passion des jardins et paysages est une des sources fondamentales du roman anglais); quelques classiques, un peu d'histoire, des romans surtout. La famille Austen était grande dévoreuse de romans (sentimentaux ou gothiques — ce sont bientôt les années triomphales de Mrs. Ann Radcliffe); les romans paraissaient par centaines, et on pouvait se les procurer aisément pour pas cher grâce aux bibliothèques circulantes de prêt qui venaient d'être inventées. On lisait souvent à haute voix après le dîner. Jane, bien entendu, apprit le français (indispensable à l'époque pour un amateur de romans), un peu d'italien, chantait (sans enthousiasme), cousait, brodait, dessinait (bien moins bien que Cassandra), jouait du piano et bien sûr aussi dansait; toutes occupations indispensables à son sexe et à son rang et destinées à la préparer à son avenir, le mariage. De toutes ces activités, Jane semble avoir préféré la danse (dans sa jeunesse) et la lecture (toujours). Les enfants Austen, avec l'aide de quelques cousins et voisins, avaient également une grande passion pour le théâtre et des représentations fréquentes étaient données dans la grange (en été) ou dans le salon (en hiver).
Tout le monde, ou presque, écrivait dans la famille Austen: le père, ses sermons; Mme Austen des vers élégiaques; les frères des essais pour les journaux étudiants d'Oxford; sans oublier les pièces de théâtre où tous mettaient la main. Jane Austen a commencé très tôt à écrire, encouragée sans doute par les nombreux exemples familiaux dont les productions étaient constamment et vivement discutées pendant les longues soirées d'hiver. Elle s'est très tôt orientée vers le récit, et tout particulièrement vers des parodies des romans sentimentaux alors à la mode et qui constituaient le fonds des bibliothèques de prêt donc des lectures romanesques familiales. Les «œuvres de jeunesse» qui ont été conservées, soigneusement copiées de sa main en trois cahiers intitulés Volume I, II et III, contiennent des réussites assez étonnantes, surtout si on pense qu'elles ont été composées entre la douzième et la dix-septième année de l'auteur: ainsi le roman par lettres Love and friendship (Amour et amitié) dont la liberté de ton aurait peut-être offusqué la reine Victoria.
Aux plaisirs du théâtre, de la lecture, de l'écriture, aux promenades et aux conversations s'ajoutèrent bientôt ceux de la danse, lors de ces bals qui étaient une part importante de la vie sociale de Steventon et des villages proches. C'était d'ailleurs l'occasion à peu près unique qu'avaient les jeunes gens de cette classe de la société de se rencontrer, et par conséquent le lieu par excellence des espérances matrimoniales (on verra le rôle essentiel du bal dans l'économie de Northanger Abbey ou d'Orgueil et préjugés, par exemple).
On n'a pas conservé de portrait de Jane Austen à cette époque (pas plus qu'à une autre, puisqu'on n'a qu'un dessin d'elle, dû à Cassandra) et les descriptions sont plutôt rares. Il faut pratiquement se contenter d'une seule phrase (d'un ami de la famille, sir Egerton Brydges): «Elle était assez belle, petite et élégante, avec des joues peut-être un peu trop pleines.» C'est peu.
La source la plus importante de renseignements sur Jane Austen est le recueil des lettres écrites par elle à sa sœur Cassandra, qui fut sans aucun doute la personne la plus proche d'elle pendant toute sa vie. Bien entendu, elles ne nous renseignent que sur les périodes où les deux sœurs se trouvaient séparées, ce qui ne se produisit pas si souvent ni très longtemps. En outre, au grand désespoir des biographes, Cassandra, qui lui survécut, a soigneusement et sans hésitation expurgé les lettres qu'elle n'a pas détruites de tout ce qui pourrait nous éclairer sur la vie privée et sentimentale de sa sœur. La perte pour nous est grande, pour notre curiosité, mais la réticence est trop évidemment en accord avec la philosophie générale de l'existence de la romancière pour que nous puissions sans mauvaise foi en faire reproche à miss Cassandra Austen. Les lettres conservées sont une mine d'observations vives, drôles et méchantes sur le monde et les gens qui l'entourent. Et leur acidité n'y est pas, comme dans la prose narrative, adoucie par la généralisation. Un exemple: «Mrs. Hall, de Sherboume, a mis au monde hier prématurément un enfant mort-né, à la suite, dit-on, d'une grande frayeur. Je suppose qu'elle a dû, sans le faire exprès, regarder brusquement son mari.»
Cependant les enfants Austen grandissent et la famille commence à se disperser. Les garçons s'installent, les plus jeunes entrent dans la Navy (c'est l'époque, grave pour l'Angleterre, des guerres de la Révolution française et des ambitions napoléoniennes: en 1796, le bateau de Charles Austen, la Licorne, capturera deux navires français). Mais Cassandra et Jane auront, elles, ce triste et fréquent destin du XIXe siècle anglais: elles resteront vieilles filles. Cassandra à cause de la mort prématurée à Saint-Domingue de son fiancé, Thomas Fowle; quant à Jane, sa vie sentimentale nous reste à jamais impénétrable.
En 1795, Jane Austen commence un roman par lettres intitulé Élinor et Marianne, première version de ce qui allait plus tard devenir Sense and sensibility, (Raison et sentiments). Aussitôt terminé et lu à haute voix devant le cercle familial, il est suivi d'un second, dont le titre est alors First impressions (Premières impressions), qui deviendra, lui, Pride and prejudice (Orgueil et préjugés). Enfin, en 1798, elle écrit Susan qui sera Northanger Abbey. Ces trois romans, sous leur forme initiale, ont donc été écrits entre sa vingtième et sa vingt-cinquième année. Cette première grande période créatrice, brusquement interrompue en 1800 (elle sera suivie de dix ans de presque silence), donne, malgré les révisions importantes que les trois romans subiront ultérieurement, tout son éclat d'enthousiasme de jeunesse et peut-être de bonheur à la prose telle que nous pouvons la lire aujourd'hui. Ces premiers essais très sérieux de Jane Austen ne semblent pas être sortis du cercle familial, mais on sait qu'en 1797 George Austen tenta sans succès d'intéresser un éditeur au manuscrit de First impressions.
En 1800, Mr. Austen (qui a alors presque soixante-dix ans) décide brusquement de se retirer et d'abandonner Steventon pour la vie urbaine et élégante de Bath. Cette trahison soudaine du pastoral Hampshire n'eut guère la faveur de Jane et la légende veut qu'en apprenant la nouvelle, le 30 novembre 1800, au retour d'une promenade matinale, elle se soit évanouie, et, comme l'héroïne de Persuasion, Anne Elliott, elle «persista avec détermination, quoique silencieusement, dans son aversion pour Bath». Aujourd'hui, pour l'amateur fanatique des romans de Jane Austen, pour celui qui appartient à la famille des «janeites» inconditionnels, un pèlerinage à Bath, qui joue un rôle si important dans tant de pages de ses récits, est une visite aussi heureuse qu'obligée; mais il ne doit pas perdre de vue que son héroïne n'aima jamais vraiment y vivre. En 1803, probablement sur l'intervention d'Henry, le manuscrit de Susan (le futur Northanger Abbey) fut vendu pour la somme de dix livres sterling à un éditeur du nom de Crosby qui d'ailleurs s'empressa de l'oublier. C'est peut-être sous l'impulsion de cette espérance momentanée que Jane entreprit un nouveau roman, The Watsons, son seul effort sans doute des années de Bath, mais abandonné hélas en 1805, après quelques chapitres. Ce que nous ne pouvons que regretter.
Le 21 janvier 1805, la mort de Mr. Austen vint plonger brusquement les femmes de la famille dans une situation matérielle qui, sans être jamais véritablement difficile, se révéla néanmoins à peine suffisante pour leur permettre de maintenir leur mode de vie «décent» habituel. Mme Austen, Jane et Cassandra se trouvèrent en outre en partie sous la dépendance financière des frères Austen, c'est-à-dire à la fois de leur générosité variable et de leur fortune fluctuante; situation qui, pour n'être pas rare à l'époque, n'en est pas moins inconfortable. Toute idée de mariage abandonnée par les deux sœurs, en même temps que les distractions frivoles mais délicieuses de leur jeunesse, elles se résignèrent à la vie plutôt terne des demoiselles célibataires, avec les obligations de visites, de charité, et de piété, les distractions de la lecture et des commentaires sur le monde; s'occupant tour à tour des innombrables enfants Austen, neveux et nièces, les éduquant, les distrayant, les conseillant ou les réprimandant selon les âges, les humeurs ou les circonstances. C'est de cette époque que date l'image, pieusement conservée dans la mémoire familiale de dear aunt Jane, la «chère tante Jeanne» de la légende austennienne, qui exaspérait si fort Henry James.
Cependant en 1808 les trois femmes quittent Bath (sans regret au moins en ce qui concerne Jane) et, après des séjours à Clifton puis à Southampton, s'installent, pour ce qui devait être les dernières années de la vie de Jane Austen, dans un petit cottage du village de Chawton, proche d'Alton, sur la route de Salisbury à Winchester. C'est là que l'essentiel de l'œuvre telle que nous la connaissons a été écrit.
En 1809, Jane Austen tente vainement de ressusciter l'intérêt de l'éditeur Crosby pour le manuscrit autrefois acheté par lui de Susan. Crosby se borne à en proposer le rachat; ce qui est fait (la transaction se déroule par un intermédiaire discret, car Jane tient à conserver l'anonymat). Cependant en 1811, Sense and sensibility, forme définitive de l'Elinor and Marianne de 1795, est accepté par un éditeur londonien, Thomas Egerton. Elle corrige les épreuves en avril à Londres, au 64 de Sloane Street, lors d'une visite dans la famille de son frère préféré Henry. Le livre paraît en novembre et est vendu 15 shillings. Ce fut un succès d'estime. La première édition, un peu moins de mille exemplaires, fut épuisée en vingt mois et Jane reçut 140 livres, somme inespérée et bienvenue pour quelqu'un qui devait se contenter d'un budget très modeste et n'avait pratiquement aucun argent à elle pour son habillement et ses dépenses personnelles. Sense and sensibility parut anonymement et, dans la famille même, seule Cassandra paraît avoir été au courant. Jane entreprit alors la révision de First impressions transformé en Pride and prejudice, et, simultanément (?) la composition d'un nouveau roman, le premier de sa maturité, Mansfield Park. Pride and prejudice, vendu 110 livres à Egerton en novembre 1812, parut, le 29 juin 1813, à 18 shillings; le premier tirage était de 1500 exemplaires environ. Sur la couverture on lisait: Pride and prejudice. A novel. In three volumes. By tbe author of «Sense and sensibility». Le succès cette fois fut nettement plus grand. La première édition fut épuisée en juillet, une deuxième sortit en novembre en même temps qu'une deuxième édition de Sense and sensibility et Jane pouvait écrire fièrement à Henry «qu'elle venait de mettre 250 livres à la banque à (son) nom et que cela (lui) en faisait désirer davantage». Miss Annabella Milbanke, la future Mme Lord Byron, écrivait pendant l'été à sa mère, en lui recommandant la lecture de Pride and prejudice que «ce n'était pas un livre à vous arracher des larmes; mais l'intérêt en est cependant très vif, particulièrement à cause de Mr. Darcy». Un an plus tard c'est Mansfield Park et de nouveau 1500 exemplaires vendus en six mois.
Pour son cinquième roman (et le deuxième entièrement écrit à Chawton), Emma (premier tirage de 2000 exemplaires), respectueusement dédié au prince régent, Jane, sans doute désireuse d'améliorer encore les revenus inespérés que lui procurait maintenant la littérature (et peut-être aussi dans l'espoir de venir en aide de manière plus efficace à son frère Henry dont les affaires n'étaient guère brillantes), changea d'éditeur et s'adressa à un Mr. Murray («c'est un bandit mais si poli», écrit-elle); mais comme c'est Henry qui se chargea des négociations, il ne semble pas qu'elle y ait gagné beaucoup. Pour Emma, qui reçut encore une fois du public un excellent accueil, Jane Austen eut sa première critique un peu sérieuse (elle devait attendre bien longtemps une étude critique digne d'elle) due rien moins qu'à la plume auguste de Sir Walter Scott (qui restera jusqu'à sa mort son admirateur fervent). Elle en fut extrêmement flattée, regrettant seulement que dans son rapide examen de ses premiers romans il n'ait pas mentionné Mansfield Park. Cependant l'anonymat de Jane n'avait pas résisté au succès de Pride and prejudice ni à l'innocente vanité fraternelle d'Henry; mais Jane, qui détestait les rapports mondains, eut vite fait de décourager les curiosités des snobs et ne modifia en rien son mode de vie antérieur. Le prince régent fut très content de la dédicace de cet auteur brusquement si favorablement commenté dans les salons et, par l'intermédiaire de son chapelain privé, le révérend Clarke fit sonder l'auteur d'Emma sur la possibilité de la voir entreprendre la composition d'un roman historique, exaltant l'auguste maison de Coburg, dont le dernier héritier, le prince Léopold, était fiancé à la princesse Charlotte, fille du régent. La réplique de Jane est célèbre: «Je n'envisage pas plus d'écrire un roman historique qu'un poème épique. Je ne saurais sérieusement entreprendre une telle tâche, sauf peut-être au péril de ma vie; et si par hasard je pouvais m'y résoudre sans me moquer de moi-même et du monde, je mériterais d'être pendue avant la fin du premier chapitre.»
Le dernier roman de Jane, Persuasion, fut commencé le 8 août 1815, parallèlement à la révision de Susan, qui devint Northanger Abbey. Elle ne devait pas les voir publiés de son vivant; avant même l'achèvement de Persuasion, elle était déjà sérieusement malade, probablement, si l'on se fie au diagnostic de Zachary Cope dans le British medical journal du 18 juillet 1964, de la maladie d'Addison, alors non identifiée. Au début de 1817, pour être plus près de son médecin, le docteur Lyford, elle vint s'installer à Winchester, dans une maison de College Street, proche de la cathédrale, et c'est là qu'elle mourut, laissant inachevé un dernier roman, Sanditon, regret éternel des «janeites», début peut-être irrémédiablement arrêté d'une «nouvelle manière»; on était le 18 juillet 1817, et Jane Austen avait quarante et un ans. Elle est enterrée dans la cathédrale de Winchester et l'inscription funéraire gravée par la famille sur une dalle souligne les qualités estimables de son caractère mais ne fait pas la moindre allusion à sa prose.
Jacques Roubaud,
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Paris, mardi 15 octobre 2024