Écrivain, orateur et homme politique romain, Cicéron (Marcus Tullius Cicero), est né en 106 av. J.-C. à Arpinum (aujourd'hui Arpino, Italie).
De famille cultivée et aisée, son grand-père semble avoir été le chef du parti conservateur de sa ville natale. Son père, chevalier romain et ami des lettres, consacra tout son soin à l'éducation de ses fils. Marcus Tullius et son cadet de deux ans, Quintus. Ils furent élevés ensemble, formés par des leçons des mêmes maîtres à Rome et à Athènes, et peut-être en Asie et à Rhodes. Ce frère, dont l'existence est intimement liée à celle de Cicéron, et qui fut lui aussi un écrivain, bien que médiocre, le suivit, à part une courte période de brouille, dans la bonne fortune comme dans la mauvaise, puisqu'il devait périr, comme lui, victime des proscriptions d'Antoine.
Sa formation philosophique fut éclectique, conformément à l'usage dominant dans la culture de l'époque, et l'éclectisme reste le terme approprié (bien que parfois contesté par les spécialistes) pour définir et caractériser sa pensée philosophique et son œuvre d'écrivain. Dès sa première jeunesse, Cicéron fréquenta des orateurs fameux, tels qu'Antonius et Licinius Crassus, et de grands juristes comme Mucius Scacvola Apollonius Molon de Rhodes et Philon de Larissa lui enseignèrent la rhétorique et la philosophie. Doué de toutes les qualités aptes à former un bon orateur, il eut très jeune, à vingt-six ans, l'occasion de déployer ses talents d'avocat dans un vigoureux et retentissant plaidoyer où il prenait courageusement parti en faveur de Roscius d'Amérie que les partisans de Sylla avaient fait, par leurs intrigues, accuser de parricide — v. Pour S. Roscius d'Amérie.
Après cette victoire qui le mettait au rang des grands avocats de Rome, il voyagea de 79 à 77 en Grèce et en Asie Mineure, fréquentant et écoutant les juristes et les avocats célèbres, et adoptant, avec cette merveilleuse faculté d'assimilation qui le caractérise, tout ce qui lui paraissait digne d'être imité. Suivant les cours des philosophes, il étudia la philosophie à Athènes avec les maîtres de la nouvelle Académie, Philon de Larisse et Antiochus d'Ascalon, et les épicuriens, Phèdre et Zénon de Sidon, à Alexandrie avec le stoïcien Diodore, et à Rhodes avec Posidonius d'Apamée et le rhéteur Molon de Carie. C'est à l'enseignement d'Antiochus qu'il doit sa vision éclectique et son syncrétisme philosophique consistant à harmoniser les doctrines des plus grands philosophes de l'Antiquité et des principales écoles (l'Académie, le Lycée et le Portique) en une synthèse ayant principalement pour objet les questions de morale. C'est essentiellement à l'école épicurienne que Cicéron (à qui l'on doit cependant la publication posthume du De rerum natura de Lucrèce) opposa des critiques systématiques.
De retour à Rome, il commença à gravir le «cursus honorum». Après la questure (75), un important événement judiciaire lui assure la gloire: le procès de Caius Verrès, le gouverneur concussionnaire de la Sicile (70). Cicéron, qui était l'avocat des Siciliens, obtint la condamnation de Verrès défendu par Hortensius, l'orateur le plus habile et le plus réputé de l'époque. Les plaidoyers contre Verrès sont au nombre de sept — v. Les Verrines — dont deux furent réellement prononcés: les cinq autres, qui sont le rapport de l'enquête menée sur l'activité criminelle de l'accusé, furent publiés après le procès.
Entre l'édilité (69) et la préture (66), Cicéron prononça les plaidoyers en faveur de M. Fonteius (Pro Fonteio) et de Caecina (Pro Caecina). L'année de la préture, il soutint la proposition du tribun C. Manilius qui demandait qu'on confiât à Pompée le commandement de la guerre contre Mithridate — v. Sur les pouvoirs de Pompée [Pour la loi Manilia, 66] — et dans une de ses plus belles plaidoiries prit la défense d'Aulus Cluentius Avitus, accusé de meurtre par empoisonnement (Pro Cluentio, 66).
Élu consul en 64 avec l'appui des aristocrates contre Catilina, il prononça ses trois discours De la loi agraire (63), qui empêchèrent l'adoption de la loi agraire proposée par le tribun Servilius Rullus, et prit la défense de Rabirius, accusé de haute trahison pour avoir assassiné en l'an 100 le tribun Saturninius — v. Pour C. Rabirius (63).
Mais ses discours consulaires les plus célèbres sont les quatre Calilinaires, où il livre un des combats les plus dramatiques et les plus périlleux de sa carrière. Après la proclamation de la loi martiale, la fuite de Catilina et l'arrestation de ses principaux complices, Cicéron, consul nanti des pleins pouvoirs, prononça, au cours de la lugubre séance du Sénat qui décréta la peine de mort contre les conjurés, sa quatrième Catilinaire, où il assumait la responsabilité de cette sentence et de son exécution immédiate. La fraude et la violence qui avaient marqué les comices électoraux de 63 soulevèrent la réprobation de certains adversaires de Catilina, mais amis de la légalité, tels que Servius Sulpicius et l'austère Caton. Ces derniers voulaient qu'on procédât à de nouvelles élections et accusèrent Murena de corruption. Cicéron prit la défense de celui-ci dans le Pour L. Murena (63).
Après son année de consulat, il plaida la cause de P. Cornélius Sylla (Pro Sulla), inculpé pour complicité dans la conjuration de Catilina, et du poète Archias d'Antioche (Pro Archia), accusé d'avoir usurpé la citoyenneté romaine.
En 58, Publius Clodius, élu tribun grâce à la faveur de César, faisait approuver une loi qui réaffirmait le droit d'appel au peuple en cas de condamnation à la peine capitale, et frappait d'exil quiconque avait fait mettre à mort un citoyen sans jugement du peuple. Cicéron, visé, quitta Rome et se rendit à Thessalonique, puis en Épire. Mais dix-huit mois plus tard il pouvait rentrer à Rome alors dominée par les «triumvirs» Pompée, César, Crassus. Il ne retrouva pas son rôle politique, mais resta actif comme avocat.
Les discours les plus importants de cette époque sont dirigés contre ses adversaires: Remerciements au Sénat [Oratio cum Senatui gratias egit], Remerciements au peuple [Oratio cum populo gratias egit]. Pour sa maison [Oratio de domo sua ad Pontifices], Sur la réponse des haruspices [De haruspicum responso], Pour P. Sestius [Pro P. Sestio], Enquête sur le témoin P. Vatinius [In P. Vatinium testent], la défense de M. Caelius (Pro Caelio), témoignage impérissable de la haine qu'il avait vouée à la famille de Clodius.
En 56, Cicéron, qui, tout en combattant les partisans de Clodius, recherchait l'amitié des triumvirs, proposa au Sénat de proroger le gouvernement de César en Gaule contre l'avis de nombreux sénateurs qui voulaient le supprimer (Oratio Je provinciis consularibus); son avis prévalut.
Le 20 janvier de l'an 52, Milon, partisan ardent des aristocrates, tua au cours d'une rixe sur la voie publique son adversaire Clodius. Le parti du peuple suscita une telle agitation que le Sénat dut intervenir pour maintenir l'ordre en nommant exceptionnellement Pompée seul consul. Milon fut poursuivi en justice et Cicéron devait tout naturellement être son défenseur. Mais la présence de la troupe le troubla: condamné, Milon dut s'exiler. Le plaidoyer Pour Milon, un modèle du genre, a été rédigé après coup.
Nommé en 51 proconsul en Cilicie, il rentra de sa mission à la fin de 50, alors que la guerre civile s'allumait entre César et Pompée. Il voyait en elle, quelle qu'en fût l'issue, la fin de la République. Toutefois, il prit parti pour Pompée, et c'est dans le camp de celui-ci, en Épire, qu'il apprit la nouvelle de la bataille de Pharsale qui faisait de César le maître de Rome. Il ne suivit pas les partisans de Pompée dans leur fuite, mais se retira à Brindes, où il attendit que César voulût bien l'assurer de son pardon et de sa bienveillance. De retour à Rome, il se retira presque totalement des affaires publiques, partageant sa vie entre la lecture et les études.
C'est de cette époque que datent de nombreux traités de philosophie et d'éloquence. Il prit la parole publiquement en quelques rares occasions, entre autres pour demander le rappel de l'exil de Claudius Marcellus (Pro CI. Marcello), et en faveur de Ligarius (Pro Ligario), adversaires acharnés de César: il obtint satisfaction dans les deux cas. Un peu plus tard, dans le Pro rege Deiotaro, il plaida avec succès devant le tribunal de César la cause du vieux tétrarque de Galatie, accusé d'avoir attenté à la vie du dictateur. La mort de Tullia, sa fille bien-aimée (février 45), vint assombrir son existence: il chercha plus que jamais refuge dans la philosophie. Le 15 mars 44, César tombait sous le poignard des conjurés. Il parut à Cicéron qu'avec cette mort le régime républicain allait pouvoir être restauré. Mais ses espérances furent vite déçues.
Il flétrit avec vigueur Marc Antoine, collègue de César au consulat, en quatorze discours qu'il nomma Philippiques en souvenir de Démosthène. Il tenta de lui opposer le tout jeune Octave, fils adoptif et héritier de César. Mais Octave et Antoine se réconcilièrent et avec Lépide formèrent le second triumvirat nanti de pouvoirs absolus. Des listes de proscription furent immédiatement dressées: Cicéron ne pouvait manquer de figurer sur celle d'Antoine. Il chercha d'abord à s'enfuir par voie de mer, puis renonça. Rejoint par les soldats près de sa villa de Formie, il fut tué le 7 décembre de l'an 43, à l'âge de soixante-quatre ans. Avec lui s'éteignait non seulement le plus grand des orateurs romains, mais aussi l'auteur de quelques ouvrages sur l'art de la parole, inspirés des traités de rhétorique des Grecs, fondamentaux pour la connaissance de l'éloquence ancienne, et encore actuels aujourd'hui.
Cicéron avait à peine vingt ans lorsqu'il composa ses cinq livres De l'invention, qu'il considère comme une des cinq parties de la rhétorique. C'est un traité didactique, inspiré des Grecs, comme la Rhétorique à Hérennius de Lucius Cornificius qui nous est parvenue confondue avec les œuvres de Cicéron. Ces deux écrits, composés à peu près à la même époque, représentent les plus anciens traités de rhétorique de la littérature romaine, voire de l'Antiquité, puisque les sources grecques antérieures sont perdues. Il faut attendre encore trente ans pour que Cicéron, joignant l'expérience à la doctrine, nous donne son chef-d'œuvre de rhétorique dans les trois livres De l'orateur, conçus sous forme de dialogues, dont les interlocuteurs principaux sont Crassus et Antoine. Cicéron y développe sa théorie sur l'art de la parole, fondé sur la science et l'éloquence, et qui exige donc de l'orateur de l'intelligence, un savoir étendu, la pratique des différents genres d'éloquence et ces qualités naturelles qui ont trait à l'action, c'est-à-dire la manière de présenter et de prononcer son discours, faute de quoi il reste sans pouvoir sur l'âme de l'auditoire.
Brutus, que Cicéron écrivit en 46, retrace l'histoire de l'éloquence romaine que l'auteur divise en deux grandes périodes: l'une qui va des origines à Antoine et à Crassus, l'autre jusqu'à Hortensius et Cicéron, où, à travers une évolution constante, elle atteint son degré de perfection. Il se séparait ainsi des atticistes romains qui, à Cicéron ou aux orateurs «asiatiques», préféraient le style plus dépouillé des orateurs attiques, comme Lysias ou Démosthène. Il poursuit sa polémique contre ce courant dans L'Orateur, plus particulièrement dirigé contre l'atticiste Marcus Brutus, dont la seconde partie constitue le plus vaste et le premier exposé du «numéros oratorius», c'est-à-dire de ce rythme oratoire, obéissant à certaines règles rigoureusement établies, qui assure l'harmonie de la période et partant sa force persuasive. D'après lui, il n'existe pas un style oratoire supérieur aux autres: le même orateur se doit d'utiliser les ressources que lui offrent le «subtile», le «medium» et l'«amplum», suivant la nature du discours et parfois même à l'intérieur d'un même discours. Après la mort de sa fille Tullia, il avait écrit, sur le modèle des Grecs, un traité intitulé La Consolation pour raffermir son âme devant la douleur. À la même époque, il compose, en l'honneur de son défunt ami Hortensius, Hortensias, où il prend la défense de la philosophie. Ces deux œuvres sont perdues, ainsi que son traité De la gloire.
Au printemps 55, il entreprend les six livres en forme de dialogue De Republica (De la République), où, reprenant une question déjà traitée par les Grecs, il parvient à la conclusion que le meilleur des États est celui qui réunit les trois formes de gouvernement, le monarchique, l'aristocratique et le démocratique, idéal dont la république romaine offre l'exemple. Ses conceptions politiques n'étaient pas celles de Platon ni d'Aristote; il les avait puisées dans les Histoires de Polybe ou plutôt chez Panétius de Rhodes, philosophe grec de l'école stoïcienne qui appartenait comme Polybe au cercle de Scipion Émilien. Suit un traité Des lois dont il nous reste trois livres inachevés, où Cicéron, remontant aux sources mêmes du droit, affirme, contre la thèse de l'instabilité des lois humaines, la permanence du juste et de l'injuste et, également, la préexistence d'un droit rationnel naturel.
De ses œuvres purement philosophiques, il nous reste deux dialogues, les Académiques, le Catidus et le Lucullus, du nom des deux personnages qui s'entretiennent avec lui sur le problème de la connaissance, les cinq livres Des termes extrêmes des biens et des maux, composés en 45 et dédiés à Brutus, les trois livres De la nature des dieux, commencés la même année et terminés l'année suivante, et les deux livres De la divination. Au cours de cette période de si intenses études philosophiques. il composa encore les cinq livres des Tusculanes, une de ses œuvres les plus lues et les plus appréciées, où l'on voit des interlocuteurs qu'il ne nomme pas se livrer avec lui dans sa villa de Tusculanum à des discussions sur le problème du bonheur humain.
Les œuvres philosophiques de Cicéron, bien que ne paraissant pas toujours originales, ont eu une grande importance, en premier lieu, pour leur contribution à la diffusion de la philosophie grecque au sein de la culture romaine, ensuite pour avoir transmis un grand nombre d'informations sur les doctrines stoïcienne, épicurienne et de la nouvelle Académie, informations qui sont autant de sources utiles pour les chercheurs contemporains. Cicéron contribua en outre à fixer en latin les termes et les concepts de la pensée grecque, à l'origine d'une tradition terminologique qui s'est maintenue jusqu'à nos jours.
Bien que Cicéron n'ait fait ouvertement état que d'une seule intention, celle d'être le compilateur des œuvres des philosophes, prêtant son habileté littéraire à la diffusion de la philosophie grecque, la synthèse cicéronienne ne manque pas d'une certaine originalité, notamment par sa traduction des doctrines philosophiques en un savoir pratique et socialement utile. Sceptique et partisan des arguments probables dans le domaine de la connaissance, il se référa au consensus des plus grands philosophes pour soutenir l'universalité des principes éthiques et l'existence des dieux et de l'âme, même si celles-ci n'étaient pas démontrables rationnellement. C'est pour ces raisons qu'il s'opposa à l'épicurisme, dont le matérialisme supposé lui paraissait nier la liberté humaine et dont il considérait l'éthique comme trop éloignée de la morale traditionnelle des Romains. Dans le De legibus, il admet l'existence de la loi naturelle, avec l'ambition évidente de trouver en elle le fondement théorique du droit romain, élaboré jusqu'alors sur des bases principalement pragmatiques; dans le De officiis, qui, bien qu'inspiré par Panétius, est son œuvre la plus personnelle, il montra comment l'utile n'est jamais en opposition avec l'honnête, c'est-à-dire avec la vertu et le devoir: Cicéron entendait ainsi concilier l'élaboration des concepts propre à la pensée grecque avec la sagesse pratique des Romains.
Des œuvres mineures, telles que Les Paradoxes, les deux opuscules Caton l'Ancien ou De la vieillesse et Lelius ou De l'amitié, dédiés à Atticus, son ami de toujours, ont connu cependant un succès jamais démenti. Son civisme et son orgueil de Romain, qui apparaissent jusque dans les œuvres philosophiques, s'affirment plus vigoureusement dans les trois livres Des devoirs, composés dans la deuxième moitié de 44, et présentés sous forme de leçons à son fils Marcus, victime de la corruption des mœurs.
Ses lettres, mine de renseignements sur l'histoire de l'époque, sont aussi un chef-d'œuvre de style. C'est à Rome que la lettre privée est devenue un genre littéraire. Toute la correspondance de Cicéron — v. Lettres —, qui va de 68 à 43 av. J.-C., comprend 864 lettres, dont 774 de lui, réparties en quatre groupes: 1) à Atticus, en seize livres; 2) aux familiers, en seize livres; 3) à son frère Quintus, en trois livres; 4) à Marcus Brutus. Nous devons la conservation et la classification de cette correspondance au docte Tiron, son fidèle affranchi, qui semble avoir commencé ce travail dès 46.
Cicéron est également l'auteur de quelques poèmes, aujourd'hui perdus à part quelques fragments. Cicéron est sans conteste une des grandes figures de la Rome antique, et l'influence de son esprit et de son œuvre, qui a contribué à propager à travers les siècles la culture de l'Antiquité, est restée toujours vivante.
Concetto Marchesi,
Copyright © La République des Lettres, Paris, vendredi 13 décembre 2024
républiquedeslettres.fr/ciceron.php
Catalogue • Nouveautés • Auteurs • Titres • Thèmes
Histoire de la République des lettres • Chez votre libraire
Recherche • Contact & Mentions légales
Droits réservés © La République des Lettres
Paris, vendredi 13 décembre 2024