Écrivain français, Eugène Dabit est né le 21 septembre 1898 à Mers-les-Bains (Somme).
Il n'en est pas moins un authentique gamin de Paris: enfance à Montmartre, père cocher-livreur, mère femme de ménage puis concierge d'immeuble. Il fréquente la maternelle de la Goutte-d'Or et la communale de la rue Championnet. Après le certificat d'études, il entre en apprentissage dans le Marais (serrurerie, puis ferronnerie d'art). Il montre un goût très vif pour le dessin, fréquente un atelier et peint ses premières aquarelles (1912-1914).
Au début de la guerre, Eugène Dabit trouve à s'embaucher au Nord-Sud comme garçon d'ascenseur. Chômeur en 1916, il devance l'appel pour s'engager dans l'artillerie, connaît l'horreur des carnages de la Première Guerre mondiale en Champagne, puis participe à l'occupation de la Rhénanie. Dans les tranchées, il lit Charles-Louis Philippe, qui lui donne le goût d'écrire.
Démobilisé en 1919, il rentre à Paris. En 1923, ses parents prennent la gérance d'un petit établissement honnête et décent: L'Hôtel du Nord, au 102 quai de Jemmapes.
Eugène Dabit envisage de devenir artiste-peintre: il fréquente les académies de dessin, vend quelques toiles, obtient des commandes de décoration. Mais Maurice de Vlaminck, à qui il montre régulièrement ses toiles, le dissuade de poursuivre.
Eugène Dabit se tourne alors vers l'écriture pour communiquer ses émotions, "se mêler activement aux hommes" et entreprend de raconter ses souvenirs de guerre, dont il soumet une première version à André Gide. Il reçoit les encouragements de Roger Martin du Gard et de Léopold Chauveau.
En 1928, il épouse une jeune artiste, Béatrice Appia. À partir de cette date, il commence à tenir son Journal. En 1929, paraît L'Hôtel du Nord, son premier roman, récompensé par le prix Populiste en 1931. La peinture des locataires de ce petit hôtel tenu par le couple Lecouvreur donne lieu à une suite de portraits saisis sur le vif. Dans cet hôtel voué à la pioche des démolisseurs, c'est tout le petit peuple de Paris qui souffre, condamné à une existence morne et précaire. Marcel Camé donnera de ce roman une célèbre adaptation cinématographique en 1938.
Petit Louis (1930) est le roman d'apprentissage d'un jeune homme qui, après les années paisibles du Paris populaire de l'avant-guerre, découvre pendant la guerre, entre tranchées et bordel, toute la laideur du monde.
À partir de 1930, commence pour Eugène Dabit une période de grande activité intellectuelle et littéraire. Il côtoie Jean Guéhenno, André Malraux, Henri Barbusse, Romain Rolland. Signataire du Manifeste de l'École prolétarienne en juin 1932, il adhère à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires dès sa création (décembre 1932). Mais il ne s'inscrit à aucun parti politique. De 1931 à 1936, il collabore régulièrement à quelques revues et quotidiens: la Nf, Marianne, Esprit, Nouvel Âge, Europe, Commune, L'Humanité...
En 1932, il publie Villa Oasis ou les faux bourgeois, où il évoque le monde de la petite bourgeoisie et des nouveaux riches. Irma et Julien, issus du milieu ouvrier, après avoir tenu le Montbert-Hôtel, dans un "quartier de plaisirs", aspirent à vivre bourgeoisement dans une maison de banlieue.
Faubourgs de Paris (1933) contient une suite de tableaux parisiens consacrés aux lieux qu'il a parcourus et aimés dans sa jeunesse: Les Buttes-Chaumont, Les Grandes-Carrières, La Villette, Belleville, mais aussi la grande banlieue sud. Dabit y déplore l'évolution de l'urbanisme qui rend la vie des gens plus triste et plus laide: "Je n'ai plus d'attaches avec mon ancien quartier, je me trouve perdu comme un provincial. Ma ville a changé, elle est plus menaçante, inhumaine, artificielle, presque monstrueuse."
Dans Un mort tout neuf (1934), il décrit avec simplicité et vérité les réactions de la famille et de l'entourage du défunt, Alfred Singer; il dénonce, en fait, chez ces gens médiocres la perte des vraies valeurs et la déshumanisation. Cette même année paraissent Au Pont-tournant, adaptation scénique de L'Hôtel du Nord, et L'île, recueil de trois nouvelles. Dabit y évoque le cadre tranquille et pittoresque de l'île de Minorque où, depuis 1932, il a pris l'habitude de se rendre chaque année, de mai à septembre. C'est dans ce refuge qu'il ébauche la plupart de ses œuvres, loin de l'agitation parisienne: "Ces bruits, je les connais, cette odeur puante de goudron et d'essence, l'ai-je respirée ! et ces hommes pressés, soucieux, tous mortels et indifférents à leur misère, les ai-je assez vus !" Il se rend aussi à Madrid où, au Musée du Prado, il admire Velazquez, Greco et Goya auxquels il consacre un essai: Les Maîtres de la peinture espagnole (parution posthume en 1937). Les Poèmes d'un été (1935) célèbrent Minorque et ses habitants. Dans La Zone verte (1935), le Parisien Leguen fuyant la capitale, "une ville faite pour vous désespérer", parcourt la banlieue nord; il succombe à ses charmes et finit par se fixer dans cette "cambrousse". Trains de vie (1935), recueil de douze nouvelles, essentiellement consacré à Paris (mis à part quelques scènes espagnoles ou provinciales), est une suite de tableaux douloureux de la vie populaire: prostitution, désespoir, déchéances et suicides.
En juin 1936, Eugène Dabit part pour l'URSS en compagnie d'un groupe d'écrivains. La veille de son départ, il note: "Je ne suis pas "au bout du rouleau", je n'ai écrit que "mes œuvres de jeunesse", bien entendu si je vis..." Il se désintéresse rapidement de cette visite guidée officielle. Le 12 août, à Sobatchi, il est pris de coliques et de fièvre. Le 17, à Sébastopol (Crimée, URSS), il doit s'aliter. On le soigne pour une scarlatine alors qu'il a probablement le typhus. Transféré à Moscou, il meurt à l'hôpital le 21 août 1936, à l'âge de 38 ans. Le 7 novembre 1936, ses cendres sont inhumées au Père-Lachaise. Louis Aragon et Paul Vaillant-Couturier lui rendent hommage et André Gide lui dédie son livre Retour de l'U.R.S.S. (1936).
Eugène Dabit est plus qu'un écrivain populiste, appellation qu'il récusait lui-même et que les critiques lui appliquent trop facilement. Son œuvre, autobiographique à ses débuts, prétend atteindre "le drame et le général de [s]on temps". Elle témoigne de la crise morale, intellectuelle et sociale des années trente. "Je ne puis être sensible à autre chose qu'au tragique de notre destin", notait-il dans son Journal. Sa pensée se partage entre un profond pessimisme et une véritable célébration de la vie: "Je ne sais s'il m'est possible d'espérer vivre encore vingt ans. Je le souhaiterais. Pour assister au triomphe des éternels vaincus. Et aussi parce que j'aime la lumière, les arbres, la mer, tant de spectacles merveilleux dont on ne se rassasie jamais. Assez de choses indépendantes de l'homme, nous apprennent à croire et à aimer." (Journal intime).
Jacques Geoffroy,
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Paris, mercredi 11 septembre 2024