Peintre et écrivain français, Eugène Henri Paul Gauguin est né le 7 juin 1848 à Paris. Il descend, par sa mère Aline Chazal, fille de Flora Tristan, d'un vice-roi du Pérou.
De 1851 à 1855, il passe son enfance à Lima, au Pérou, où la famille Gauguin est partie s'installer après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte. De retour en France, il vit à Orléans jusqu'à 1865, date à laquelle il abandonne ses études pour s'engager dans la Marine marchande. Il navigue comme pilotin et matelot pendant sept ans, jusqu'en 1871.
Les débuts professionnels de Gauguin sont des plus conformistes. En avril 1872, il est embauché chez l'agent de change Bertin, à Paris. Il y fait la connaissance d'un peintre et collectionneur de tableaux, Emile Schuffenecker. En novembre de la même année, il épouse une jeune Danoise, Mette Sophie Gad, qui lui donnera cinq enfants.
Des boursicotages fructueux lui permettent de commencer une collection de tableaux impressionnistes : Claude Monet, Paul Cézanne, Alfred Sisley, Edouard Manet, Camille Pissaro, Auguste Renoir … Lui-même commence à peindre en amateur dès 1873, puis plus activement à partir de 1876 sous l'influence de son nouvel ami Camille Pissarro. Sa vocation s'affirme. De 1880 à 1886, il expose avec les impressionnistes. En 1883, Il abandonne son emploi d'agent de change pour se consacrer entièrement à la peinture. Il travaille avec Pissaro à Osny (Val d'Oise), sans plus se soucier des contraintes. En 1884, il effectue un séjour de huit mois à Rouen.
Face à une vie matérielle devenue difficile, sa famille part pour le Danemark. Gauguin l'y suit en 1884, mais sa vocation l'emporte. Il se sépare de Mette, qui n'accepte pas sa nouvelle vie, et revient vivre à Paris où il devient un temps colleur d'affiches.
En 1886, il fait un premier séjour en Bretagne, à l'auberge de Marie-Jeanne Gloanec à Pont-Aven, afin d'y retrouver "le sauvage, le primitif". Sur le plan pictural, il commence à s'écarter de ses premiers modèles et à montrer son originalité. Il rencontre Émile Bernard, puis Vincent Van Gogh à Paris.
En 1887, il voyage à Panama avec le peintre Charles Laval et séjourne à la Martinique. De retour à Paris, il rencontre le sculpteur Georges-Daniel de Monfreid, puis effectue un nouveau séjour à Pont-Aven de février à octobre 1888. Il s'éloigne de l'impressionnisme et réalise une série de cinquante-cinq vases de céramique avec des motifs inspirés de l'art pré-colombien. Travaillant avec Émile Bernard et Louis Anquetin, ouvert à de multiples influences (Edgar Degas, Pissarro, Van Gogh, Puvis de Chavannes, …) , il les assimile avec une rapidité surprenante, mais pour les soumettre, à chaque fois, à sa propre vision qui aboutit à ce qu'on appellera le "synthétisme" : il puise son inspiration dans le primitivisme expressif des calvaires bretons du Finistère, ainsi que dans son goût pour l'art japonais. Ce style (La Vision après le sermon, 1888) aura une influence directe sur les développements du symbolisme et de l'expressionnisme. Il se montre dès cette époque très classique dans ses compositions aux grandes masses équilibrées bannissant tout pathos, mais approfondissant au contraire une dimension mystique (Le Christ jaune, 1889). Six de ses tableaux sont vendus chez le galeriste parisien Boussod qui s'intéresse à ses travaux. Le groupe d'artistes dit de "l'École de Pont-Aven" commence à se former (outre Paul Gauguin, on y trouvera entre autres Émile Bernard, Paul-Émile Colin, Félix Jobbé-Duval, Paul Sérusier, Charles Filiger, Maxime Maufra, Henry Moret, Ernest de Chamaillard, Maxime Maufra, …).
En octobre 1889, Gauguin rejoint Van Gogh à Arles afin de fonder avec lui "l'Atelier du Midi". Les deux artistes cohabitent durant deux mois, s'influençant mutuellement, jusqu'à la dramatique rupture due à un moment de défaillance mentale de Van Gogh qui se coupe l'oreille après une violente dispute avec lui.
Il retourne à Paris où a lieu une importante exposition impressionniste et synthétiste au Café Volpini, puis part en Bretagne, à Pont-Aven et Le Pouldu où il décore la salle à manger de l'auberge de Marie Henry. Paris lui répugne : il veut "s'ensauvager, rompre avec la civilisation occidentale". Vivement inspiré par l'Olympia d'Édouard Manet, il en réalise une copie (celle-ci sera plus tard acquise par Edgar Degas).
En février 1891, une vente de ses tableaux a lieu à l'Hôtel Drouot. Le catalogue est préfacé par Octave Mirbeau. Début avril, il s'embarque pour la Polynésie et arrive à Papeete le 8 juin. Il s'installe à Mataïea, avec sa jeune compagne et modèle de treize ans nommée "Tehura" (Teha'amana). Il se mêle aux indigènes et évite le plus possible les Européens. Ce paradis terrestre, qu'il doit abandonner en 1893 pour cause de maladie et pour recevoir à Orléans l'héritage d'un vieil oncle, infléchit son inspiration et sa technique : dorénavant primera un jeu de couleurs violentes qui stupéfiera ses contemporains.
En France, il loue un atelier et s'installe avec sa modèle, Annah la javanaise. Il commence à rédiger Noa Noa, le journal de son premier séjour en Polynésie. Une exposition de 49 peintures et deux sculptures a lieu chez Durand-Ruel. Ses œuvres sont admirées, entre autres par Édouard Vuillard, Pierre Bonnard et Maurice Denis, mais les ventes sont désastreuses.
En 1894, il part à Copenhague pour une dernière entrevue avec sa femme puis revient séjourner à Pouldu avec Annah. Lors d'une bagarre avec des pêcheurs, il a la cheville brisée. Annah s'enfuit en dévalisant l'atelier. Être torturé et dépressif, peu à l'aise dans la société française, comme dans les milieux artistiques reconnus, Gauguin repart pour la Polynésie le 3 juillet 1895. Adieu définitif à la vieille Europe.
Installé cette fois à Punaauïa, il approfondit son inspiration "sauvage". Cependant, son existence se fait plus difficile : en effet, défenseur des droits des Maoris, il s'oppose avec virulence aux autorités coloniales et aux églises chrétiennes. Brimé par l'administration, seul, sans ressources, malade du coeur, syphilitique, éprouvant des douleurs physiques atroces suite à sa blessure mal guérie, il éprouve la tentation du suicide.
En avril 1897, sa fille Aline, la préférée de ses cinq enfants, meurt d'une pneumonie foudroyante à l'âge de 19 ans. (Un Cahier pour Aline, manuscrit rédigé en 1892 et composé d'aquarelles, de méditations, de souvenirs et de notes éparses, sera acquis par la Bibliothèque Jacques Doucet en 1927).
La Revue Blanche publie de larges extraits de Noa Noa. Cette première version est révisée par le poète Charles Morice, également journaliste dans des revues symbolistes et critique au Mercure de France, qui ajoute plusieurs de ses poèmes, comme le souhaite alors Gauguin. En 1901, le texte complet est publié en volume et à compte d'auteur par Morice aux Éditions de La Plume. Dans ce "récit tahitien" commencé en 1893, Gauguin narre son séjour à Tahiti et son retour à l'innocence naturelle, révèlant un authentique talent d'écrivain. Par la suite il enrichira son manuscrit avec des aquarelles, des gravures, des photographies et diverses notes sur la civilisation maorie. Son ami Georges-Daniel de Monfreid utilisera ce manuscrit enrichi, retrouvé par Victor Segalen après la mort du peintre, pour publier une nouvelle édition de Noa Noa chez Georges Crès, à Paris, en 1924.
En 1898, il tente de se suicider à l'arsenic. À l'issue de cette crise, il termine sa célèbre toile D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?, sorte de testament artistique et spirituel.
L'exubérante fécondité de sa création picturale ne l'empêche pas d'écrire beaucoup. En 1899-1900, il collabore au journal Les Guêpes et publie lui-même à Papeete, en tant qu'unique rédacteur, neuf numéros manuscrits d'un journal satirique intitulé Le Sourire. Il écrit aussi un essai philosophique, L'Esprit moderne et le catholicisme, qu'il remaniera jusqu'en 1902. Véritable commentaire de D'où venons-nous ? cet essai de tonalité anarchisante rejette l'idée de péché, la morale chrétienne, et plaide pour la "sauvagerie".
Durant cette période tahitienne, les rythmes apaisés, la gamme colorée intense mais légèrement assourdie, l'expression à la fois tendre et énigmatique des figures renforcent le caractère mystérieux et intemporel de sa peinture (Et l'or de leurs corps, 1901 ; D'où venons nous, où sommes nous, où allons nous, 1897). Il pratique avec une non moins grande originalité et un même recours au primitivisme la céramique (Pot anthropomorphe, 1889), réintroduit la sculpture sur bois (Soyez mystérieuses, 1890 ; La Maison du jouir, 1901) et pratique la gravure sur bois.
En 1901, il tente à nouveau de se suicider, puis part s'installer à Hiva-Oa, aux îles Marquises. Ses opinions subversives et son existence familière parmi les Maoris qu'il défend contre l'administration coloniale, indisposent si fort les autorités qu'il est en butte à d'incessantes persécutions. Sa case, baptisée "La Maison du jouir", s'emplit de vahinés. C'en est trop pour l'Evêché et la puissance coloniale ! La gendarmerie poursuit ce "mauvais Français", ce "monsieur récalcitrant" qui, selon elle, "prend la défense de tous les vices indigènes" et participe à des "scènes sauvages". En février 1903, un traquenard juridique lui vaut d'être condamné à trois mois de prison et cinq cents francs d'amende qu'il est hors d'état de payer.
La maladie, la pauvreté et les persécutions administratives l'achèvent. Il meurt d'épuisement à Atuona (îles Marquises) le 8 mai 1903, à l'âge de 54 ans. Son ami maori Tioka l'inhume selon les rites indigènes. L'évêque Joseph Martin s'empresse de faire brûler une vingtaine de ses toiles jugées "immorales". Victor Segalen, venu soigner les victimes d'un cataclysme qui a détruit l'île, arrive le dix août dans la case du peintre. Il achète, lors de la vente en liquidation de ses biens à Papeete, plusieurs toiles et divers objets lui ayant appartenu.
Indomptable rebelle, Paul Gauguin aura réussi à devenir le "sauvage civilisé" qu'il rêvait d'être. L'écho de son épopée polynésienne, à la recherche d'une sorte d'Eden mythique, a parfois déformé l'image de son primitivisme, qui est en réalité un exotisme cultivé. Son art, décisif pour les nabis et la naissance du fauvisme, anticipe d'une génération l'attention pour le primitivisme des expressionnistes allemands et des cubistes. L'immensité de son œuvre picturale, la marque indélébile qu'elle a laissée dans l'histoire de l'art moderne ne doivent pas occulter ses écrits, qui constituent une œuvre à part entière.
Alain Quesnel,
Copyright © La République des Lettres, Paris, vendredi 13 décembre 2024
républiquedeslettres.fr/gauguin.php
Catalogue • Nouveautés • Auteurs • Titres • Thèmes
Histoire de la République des lettres • Chez votre libraire
Recherche • Contact & Mentions légales
Droits réservés © La République des Lettres
Paris, vendredi 13 décembre 2024