Poète, philosophe, linguiste, juriste et homme politique musulman d'expression ourdou et persane, Mohamed Iqbal — ou Muhammad Iqbal — est né le 22 février 1873 à Sialkot (Penjab, Pakistan), dans une famille de Brahmanes du Cachemire convertis depuis trois siècles à l'Islam.
Sa langue maternelle est l'ourdou et il est initié par de grands maîtres à la poésie ourdou dès son enfance. Il apprend également très tôt le persan, l'anglais et l'allemand en plus de sa formation traditionnelle islamique. En 1895 il entame des études universitaires à Lahore (Pakistan) où il suit notamment les cours de l'orientaliste anglais Thomas Walker Arnold. Entre 1905 et 1908, il étudie à Cambridge, puis soutient à Munich une thèse de doctorat en philosophie intitulée Évolution de la métaphysique en Perse. Il enseigne le persan pendant quelques mois à l'université de Londres. Ce séjour de trois ans en Europe lui permet de rencontrer entre autres Henri Bergson et Louis Massignon et d'acquérir une connaissance approfondie de la culture, des mœurs et des coutumes occidentales.
De retour à Lahore, Mohamed Iqbal se voit offrir une chaire de philosophie et de littérature anglaise à l'université mais il préfère se consacrer au droit et à la politique. En 1927, il est élu à l'Assemblée législative du Penjab. En 1932, il est porté à la présidence de la Ligue islamique.
Il élabore alors un plan de résolution du problème du sous-continent indien préconisant la création d'un Etat musulman au Nord-Ouest de l'Inde. Ce projet servira de base de travail pour la fondation de l'actuel Pakistan, dont il est reconnu aujourd'hui comme le père fondateur, le maître spirituel et le grand poète national. En 1932, il participe aussi activement à la rédaction d'une Constitution pour l'Inde. La même année, il préside la Conférence islamique et reçoit le titre de docteur ès lettres de l'université du Penjab.
Mohamed Iqbal donne ensuite en Europe une série de conférences sur l'Inde et l'Islam dans lesquelles il aborde les problèmes de la pensée islamique et la nécessité de repenser la doctrine. Ces conférences feront l'objet d'une publication sous le titre de Six lectures on the Reconstruction of religious thought in Islam (La Reconstruction de la pensée religieuse en Islam).
Mohamed Iqbal revient ensuite passer ses dernières années à Lahore où il décède le 21 avril 1938, à l'âge de 65 ans.
Son héritage et son oeuvre sont revendiqués par le Pakistan mais aussi par l'Inde, par l'Iran, par la Turquie et par plusieurs grands courants islamiques aussi bien modernistes que traditionalistes.
Dans ses multiples travaux, il interpelle les religieux et les modernistes, les savants et les chercheurs musulmans, leur demandant, sans remettre en cause le "Tawhid" (l'unicité de Dieu), d'interpréter la tradition, la "Sunna", de faire une lecture nouvelle du Coran, et, à partir de cette vision nouvelle, de penser l'avenir de manière dynamique.
Très tôt, il perçoit le début de la double crise, spirituelle et économique, qui bouleversera les hommes du XXe siècle. La coupure du monde en deux blocs et les conflits en résultant ne se situaient pas selon lui entre l'Est et l'Ouest, mais entre le Nord et le Sud. Devant un monde où prédomine l'éphémère, il nous faut, dit-il, faire le vide en soi et s'interroger pour retrouver le fil conducteur de la connaissance. On retrouve là l'empreinte de sa rencontre avec les mystiques iraniens.
Lecteur de Marx, Goethe, Hegel, Nietzsche, il est également influencé par la pensée allemande, surtout par la pensée dialectique, à laquelle il oppose la réponse de la pensée dialectique islamique : "Nous sommes les parties aussi multiples qu'infinies. Dieu est ce tout absolu."
À partir de cette donnée, il rêve et travaille pour que se réalise une "pan-islamité" dans la droite ligne de la grande "Umma" (Oumma), la grande nation des musulmans. Il esquisse les grandes lignes d'une société islamique idéale, d'une République islamique qui serait une tentative de réponse aux problèmes des sociétés mortifiées et corrompues, aliénées par le pouvoir de l'argent et la règle du profit.
Au-delà de sa pensée philosophico-politique qui est devenue le bréviaire de tous ceux qui s'intéressent à l'évolution de l'Islam, Muhammad Iqbal, surnommé "Shair-i-Mashriq" (le poète de l'Orient), est aujourd'hui aussi considéré comme l'un des plus grands écrivains du monde musulman, à l'instar d'Al Ghazâli, d'Ibn Arabi ou de Rûmî. Son oeuvre, qui est à la fois philosophique et poétique ("Quand elle est dépourvue de flamme, la vérité est philosophie ; elle devient poésie quand elle emprunte sa flamme au coeur", dit-il), est inspirée aussi bien par la pensée dialectique occidentale que par le soufisme et le mysticisme oriental. Elle délivre un message de portée universelle tout en apportant une lecture nouvelle, mais respectueuse, du Coran. Ses textes abordent la nécessité de repenser la doctrine islamique sous le signe de l'Amour, qui est selon lui aussi bien d'Orient que d'Occident. "Quand l'amour accompagne l'intelligence, il devient l'architecte d'un autre univers", écrit-il, ou encore "Dieu, en un mot, la vie, est un effort vers la liberté". Dans sa poésie, Dieu est toujours présent, mais le Dieu iqbalien — Allah — n'aliène pas l'esprit, il pousse à interroger le monde, l'homme et les systèmes en place.
Son humanisme, fondé sur l'observation de la nature et de ses signes, est aussi une méditation sur l'histoire, le temps, la psychologie, conformément à l'enseignement coranique, qui appelle constamment à réfléchir sur le donné universel. Ses poèmes ont transformé la poésie traditionnelle perse et ourdou en un art vigoureux et vivifiant.
Parmi les principaux livres de Mohammad Iqbal, dont plusieurs ont été traduits du persan en français dans les années 1950-'60 par Eva de Vitray-Meyerovitch, citons notamment : La métaphysique en Perse (1910), Les secrets du Moi (1915), Les Mystères du Non-moi (1918), Message de l'Orient (1923), Le Livre de l'Éternité (1932, inspiré par La Divine Comédie de Dante), Reconstruire la pensée religieuse de l'Islam (1934), L'Aile de Gabriel (1935) et Le Glaive de Moïse (1936).
Ahmed Fouatih,
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