Poète américain, Ezra Weston Loomis Pound est né le 30 octobre 1885 à Hailey (Idaho, Etats-Unis).
Après des études de langues romanes à l'université de Pennsylvanie et à Hamilton College, il enseigne un temps à Wabash College (Indiana), avant d'être renvoyé pour "immoralité".
Il quitte les États-Unis en 1908 et voyage en Espagne, en France et en Italie.
De 1912 à 1919, à Londres, il est correspondant de la revue de poésie Poetry (Chicago). En 1914, il fonde avec Wyndham Lewis la revue "vorticiste" Blast. En 1921, il quitte Londres pour Paris, où il est correspondant de la revue The Dial (1922). Trois ans plus tard, il quitte Paris pour s'établir en Italie, à Rapallo, où il fonde en 1927 la revue The Exile.
Il reste en Italie pendant toute la période de la guerre, assurant des émissions à la radio italienne, certaines de nature politique. Accusé de trahison, il est arrêté par l'armée américaine, en 1945, et enfermé dans une cage à Pise. Rapatrié, il est jugé inapte à se défendre et interné dans un hôpital psychiatrique, d'où il est libéré en 1958. Il retourne alors en Italie.
Il est difficile de fixer et de définir Ezra Pound, esprit errant et volatile par excellence. Dès son arrivée en Europe, il s'active. Il n'a que mépris pour le monde des lettres contemporain, à la seule exception de W. B. Yeats, dont il se permet néanmoins de corriger les poèmes afin de les "moderniser". "Moderne", pour Pound, ne signifie pas antitradition, mais sens augmenté et renouvelé de la tradition: "Make it new" (faire nouveau) est son cri de guerre. Ezra Pound ne veut pas seulement renouveler les arts, mais la civilisation tout entière: "Très simple, ce que je veux, c'est une nouvelle civilisation."
Tout en travaillant lui-même comme vingt diables, il découvre et aide d'autres "horribles travailleurs". C'est lui qui lance T. S. Eliot, avec Prufrock, et fait du manuscrit informe de La Terre vaine le poème (dédié à Pound, "il miglior fabbro") que nous connaissons. C'est lui qui prend en main James Joyce, publiant ses textes, lui envoyant de quoi se nourrir et se vêtir à un moment où lui-même est dans une situation financière désastreuse. Sa générosité envers d'autres artistes dont il estime le travail important est sans bornes, son ambition dépassant toute ambition personnelle: "Il est extrêmement important, dit-il, qu'une grande poésie soit écrite, peu importe par qui." Lui-même dépense une très grande partie de son énergie en expérimentation et en recherches, voulant sortir à tout prix du "chaos actuel" et établir les fondements sur lesquels une grande poésie moderne (ou post-moderne) serait "possible". Pound a une activité de pédagogue considérable. Il parle humoristiquement de lui-même comme de l'"Ezuversité" et, devant la faillite des institutions pédagogiques établies, il tente d'en créer des nouvelles: le "Paideuma Institute", par exemple. Une grande partie de sa correspondance est de nature pédagogique, et ses œuvres pédagogiques sont nombreuses. On peut citer dans ce contexte son ABC de la lecture (1934) — ABC qu'il a fait aussi pour l'économie: ABC of Economies (1933), et La Kulture en abrégé (1938). Précisons que, si Pound est pédagogue, c'est dans le sens le plus actif du mot, et qu'il n'a rien de l'esprit de lourdeur: son savoir est gai.
Ezra Pound est à la recherche d'une forme, d'un ordre, d'une culture. Cette culture ne peut être nationale (Yeats, pourtant féru de nationalisme, allait finir par le comprendre); elle ne peut plus s'appuyer sur une Eglise (T. S. Eliot, pendant longtemps le compagnon d'armes de Pound, est l'objet de ses sarcasmes quand il devient pour lui "le Révérend"); et Pound ne se contente pas d'une culture personnelle. La culture ne peut plus être que mondiale, et c'est de par le monde entier, depuis la littérature des langues romanes — L'Esprit des littératures romanes (1910) — jusqu'à la littérature extrême-orientale — traduction de l'Anthologie classique chinoise (1954) qu'il va chercher les pièces d'un puzzle qu'il n'arrive jamais à bien composer — les Cantos étant sa tentative majeure.
Pound a son idée. Si Arthur Rimbaud a cherché la "lumière-nature", lui cherche la "lumière-culture". Car cette "lumière" (il l'appelle aussi le "Paradiso", la "Terre promise", "l'Immaculata") a existé. En Chine notamment, grâce aux efforts des confucianistes; et à l'époque de la Renaissance italienne. Il rêve de la retrouver et de l'établir, dans un (nouveau) monde, à l'époque moderne. Cette époque est celle des restes, flottants, sans cohérence, d'une culture occidentale formée principalement par deux mouvements: la pensée philosophique grecque, qu'il accuse d'irresponsabilité totale; et le christianisme, qu'il considère comme fondamentalement déséquilibré. Le résultat est un intellectualisme desséché, un marécage psychologique et une instabilité générale. L'œuvre de Pound s'inscrit contre cet état de choses. Elle commence très discrètement avec la publication, à Venise, d'une petite plaquette, A Lume Spento (1908).
Quand le poète et romaniste Pound arrive à Londres, la littérature anglaise est à peine sortie de l'époque victorienne. Pour lui, cela signifie flou, rhétorique, prolixité; manque cette précision — cette présentation explicite qu'il prise chez un Arnaut Daniel ou un Guido Cavalcanti. Il recommande des modèles, multiplie les essais critiques, fonde l'école "imagiste" pour propager le culte de l'image définie contre tout ce qui est verbeux et vaguement symbolique. Et il continue à publier son œuvre: Personae (1909), Canzoni (1911), Ripostes (1912), Lustra (1916), Quia pauper amavi (1918), qui contient déjà trois Cantos et son Hommage à Sextus Propertius. Cette première série culmine avec la publication de Hugh Selwyn Mauberley en 1920, où il se montre aux prises avec son époque, s'efforçant de "ressusciter l'art mort de la poésie". Pound est passé maître aussi dans l'art de ressusciter d'anciens textes. Il l'a déjà fait pour la poésie anglo-saxonne, les troubadours et Propertius, et son travail de traducteur n'a jamais cessé.
Dès 1912, il est en possession des manuscrits d'Ernest Fenollosa (mort à Londres en 1908 après avoir passé une très grande partie de sa vie au Japon), et cela ouvre une nouvelle perspective dans ses activités. Les manuscrits de Fenollosa contenaient des brouillons de traductions faites d'après des poèmes chinois, notamment ceux de Li Po (Rihaku en japonais), et des pièces nô. Pound les reprend, les adapte. Cathay paraît en 1915, Quelques pièces nobles du Japon en 1916. La culture extrême-orientale, en particulier celle de la Chine, va prendre une place de plus en plus grande dans son esprit. Il entreprend une nouvelle traduction des classiques confucéens, dans laquelle son intérêt pour la langue chinoise (il y voit une langue qui, à l'encontre des langues occidentales qui ont tendance à se perdre dans l'abstraction, procède par images concrètes) s'allie à son enthousiasme pour l'activité culturelle des "ju chia" (les lettrés confucéens). Il édite les notes de Fenollosa sur la langue chinoise et publie Le Caractère chinois comme véhicule de la poésie en 1935. C'est de la langue chinoise qu'il déduit la "méthode idéogrammique" qui sera le principe d'organisation des Cantos. Cette méthode, qui s'oppose à la logique linéaire et discursive de l'aristotélisme, consiste à rassembler des éléments concrets, seul moyen de donner une image adéquate de la complexité du réel sans idée préconçue: "Quant à la forme finale, attendez qu'elle soit là; je n'ai pas de carte."
Et le long périple des Cantos commence. Les trente premiers paraissent en 1930. Dix ans plus tard, ils ont atteint le chiffre de 71. Ceux qu'il écrit à Pise (Cantos pisans), dans le camp d'internement, sont publiés en 1948 et reçoivent le prix Bollingen, après une des controverses les plus houleuses de la littérature américaine.
La Section Rock-Drill, 85-95 de los Cantares paraît en 1955. Cette œuvre énorme, qui contient pêle-mêle à peu près tout ce qui passe par la tête de Pound: lectures, souvenirs, rencontres, le tout dans une langue polyglotte, est une des œuvres les plus significatives et symptomatiques de l'époque. L'énergie qu'il dépense à la composer, alliée à sa santé défaillante, fait que ce labeur le laisse dans un état de léthargie complète.
Vers 1963, il dit: "Je suis dans l'incertitude totale. Je ne travaille plus. Je ne fais rien. Je contemple les choses." Ses dernières années sont marquées par un silence terrible. En 1968 paraissent les "esquisses et fragments" des derniers Cantos qu'il envisageait d'écrire: Drafts and Fragments: Cantos 111-117. On lit des bribes de phrases comme celles-ci: "vers la limpidité, voilà l'exultation"; "du naufrage du temps, ces fragments"; "je n'arrive pas à la cohérence"; "un joli petit paradis au-dessus du gâchis"; "tout cohère, je vous dis, même si mes notes ne cohérent pas"; "lumière pure, nous te supplions; cristal, nous te supplions; clarté, nous te supplions"; "vent blanc, rosée blanche".
Ezra Pound est mort à Venise le 1er novembre 1972, à l'âge de 87 ans.
Kenneth White,
républiquedeslettres.fr/pound.php
Catalogue • Nouveautés • Auteurs • Titres • Thèmes
Histoire de la République des lettres • Chez votre libraire
Recherche • Contact & Mentions légales
Droits réservés © La République des Lettres
Paris, mercredi 11 septembre 2024