Écrivain et philosophe français, Joseph Ernest Renan est né à Tréguier (Côtes-d'Armor) le 28 février 1823. Comme Chateaubriand et Lamennais qui, avec lui, inspirèrent la sensibilité religieuse française du XIXe siècle, il était breton mais aussi (par sa mère) quelque peu gascon, et cette double hérédité peut expliquer en partie les contrastes de sa si riche et si fuyante personnalité.
Destiné dès l'enfance à la prêtrise, il fit ses premières études à l'école ecclésiastique de Tréguier (1832-38) avec les maîtres religieux auxquels il conserva toute sa vie son affection, mais qui manquaient singulièrement de culture moderne. Il vint ensuite à Paris, achevant ses "humanités" à SaintNicolas-du-Chardonnet, dirigé par le futur Mgr Dupanloup (1838-41), puis commençant sa théologie au séminaire d'Issy (1841-43).
Mais, entré au grand séminaire de Saint-Sulpice en 1843, il s'en éloignait deux ans plus tard, à la rentrée d'octobre 1845, ayant senti s'évanouir au contact de l'enseignement scolastique et exégétique de l'établissement les états d'âme qu'il avait pris pour une vocation sacerdotale. Cette crise religieuse fut avec celle de Lamennais la plus retentissante du XIXe siècle et la plus lourde de conséquences. Elle décida non seulement de toute la vie et de toute la pensée de Renan lui-même, qui l'a longtemps et remarquablement racontée plus tard dans ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse (1883), mais aussi de l'attitude que prirent en face du christianisme les diverses générations intellectuelles françaises jusqu'à la fin du siècle. La foi d'Ernest Renan avait-elle jamais été profonde ? Il s'agissait plutôt, semble-t-il, d'habitudes familiales, d'émotions enfantines et de cet idéalisme religieux typiquement celte dont Renan ne cherchera jamais d'ailleurs à se débarrasser. La découverte soudaine, lors de sa première année d'études à Paris, de la littérature romantique, puis de la philologie, dit Renan, mais surtout (ses lettres le prouvent) de la philosophie allemande, passionnément aimée, et plus encore l'influence de sa soeur Henriette, ébranlèrent assez facilement ce christianisme superficiel et presque tout de sentiment.
Ayant donc quitté le séminaire, Renan trouva un poste de répétiteur dans une petite institution privée où, de 1845 à 1849, il mena une vie pauvre, solitaire et ascétique, consacrant tous ses moments de loisir à la préparation de ses examens universitaires (en septembre 1848, il fut reçu premier à l'agrégation de philosophie) et à des entretiens intellectuels avec son seul ami, Marcelin Berthelot (v. Correspondance entre Renan et Berthelot, 1898).
Âgé seulement de vingt-cinq ans, il entreprit la rédaction de L'Avenir de la science, ouvrage qu'il laissa longtemps inédit sur les conseils d'Augustin Thierry, et qui ne connut la célébrité que quarante ans plus tard, en 1890. Livre de jeunesse encore, où il était facile de reconnaître de très nombreuses influences, mais où s'affirmaient la certitude d'un déterminisme universel rejetant tout surnaturel et un culte lyrique et presque mystique de la science positive.
Chargé de mission en Italie en 1849-50, Renan visite Rome, Florence, Padoue, Venise, et poursuit les recherches historiques nécessitées par la préparation de sa thèse de doctorat sur Averroès et l'averroïsme (1852). Dès sa sortie du séminaire, c'est cependant à l'orientalisme qu'il avait consacré ses principaux efforts, qui obtinrent leur premier résultat important avec l'Histoire générale et système comparé des langues sémitiques (1855). À cette époque, il donne à La Revue des Deux Mondes et au Journal des débats de nombreux articles recueillis dans Études d'histoire religieuse (1857) et dans les Essais de morale et de critique (1859).
Sa personnalité s'affirme auprès du monde savant et même d'un large public lettré, et en 1862, au retour d'une mission archéologique en Phénicie, Syrie, Galilée, Palestine, pendant laquelle il avait eu la douleur de perdre sa soeur Henriette, morte à Amschit le 24 septembre 1861, Renan se vit confier la chaire d'hébreu au Collège de France. Mais ce cours, à peine commencé, fut suspendu par le gouvernement de Napoléon III, Renan, dans sa première leçon, ayant agressivement qualifié Jésus d'"homme incomparable". Il décida alors de publier sa Vie de Jésus (1863), "l'un des événements du siècle", a-t-on pu dire sans exagération de ce succès de librairie considérable, rapidement traduit dans toutes les langues. Le premier en France, Renan vulgarisait les travaux de l'exégèse allemande, reprenait la théorie mythique de David Strauss, et posait le problème du Christ en rejetant l'intervention de tout surnaturel particulier. Mais, quoi qu'il en fût de cette position doctrinale, amis et adversaires pouvaient difficilement résister au style plein d'émotion et de poésie de cette oeuvre, à la puissance d'évocation avec laquelle l'auteur avait su restituer le milieu physique, intellectuel et moral de la vie du Christ. Pour les générations venues à l'âge d'homme après 1870, il allait être l'"enchanteur", comme l'avait été, cinquante ans plus tôt, Chateaubriand. Malgré l'onction du style, la Vie de Jésus n'en était pas moins une oeuvre de combat bien plus que de science pure. Une certaine fantaisie poétique et romanesque en faisait la faiblesse du point de vue des spécialistes.
Avec son Histoire des origines du christianisme (1863-83), Renan revint à une érudition plus sérieuse, et le combattant fit place en lui à l'historien des idées. Il restait naturellement fidèle à sa méthode directrice, rejetant toute notion du mystère et n'acceptant que les faits scientifiquement explicables et prouvés. Mais l'esthète, le poète, ne cessaient pas de disputer en lui avec le savant. Ce qu'il critiquait, il ne renonçait pas à en aimer et à en faire aimer la beauté.
Si à Athènes, qu'il visite en 1865, il exalte le "miracle grec" (v. la Prière sur l'Acropole, 1883), il garde également la sensibilité chrétienne et, rejetant les dogmes du catholicisme, il continue d'admirer l'histoire judéo-chrétienne, et la montre si bien dans ses sommets que le lecteur de l'Histoire des origines du Christianisme ou de l'Histoire du peuple d'Israël (1887-93) pourrait être amené à juger cette histoire incomparable, surhumaine, et à aboutir finalement à cette présence du mystère que rejetait le sourcilleux scientisme de l'auteur. C'est que pas un esprit ne fut moins sectaire que celui de Renan. D'une nature essentiellement féminine, son rêve était de tout éprouver, de concilier toutes les grandes oeuvres, toutes les expressions religieuses et philosophiques de l'humanité qu'il concevait, à la manière hégélienne, comme les diverses manifestations, également nécessaires et belles, de la réalité totale: Infini, Dieu, à la recherche d'elles-mêmes et de leur pleine conscience. Rien ne serait plus difficile que d'essayer de fixer Renan dans un point de vue particulier, car ce qu'il cherche précisément c'est à atteindre l'universalité en passant continuellement d'un point de vue à un autre.
Aussi, après 1870, réintégré dans sa chaire du Collège de France, élu à l'Académie française en 1879, vit-on cet homme de cabinet et de travail s'aventurer dans le monde, étaler malicieusement les paradoxes de son scepticisme, ironisant sur ses propres négations, donnant un tour frivole et désabusé aux vues les plus scandaleuses et souvent les plus profondes, charmant les mondaines de ses mots caressants, de cette fameuse "musique" dont tant d'adolescents allaient s'enivrer, tels un Paul Bourget, un Charles Maurras, et plus que tous peut-être le jeune Maurice Barrès qui ne se gênait pas, cependant, pour décocher des traits mordants au dilettantisme du maître.
Renan vit alors l'apogée de sa carrière d'artiste; chargé d'honneurs, pontife du laïcisme, il n'en critique pas moins rudement la démocratie (v. La Réforme intellectuelle et morale, 1871) et bafoue avec une parfaite élégance les poncifs officiels (v. Drames philosophiques, 1888) et Le Prêtre de Nemi, 1885). Personnage multiple, intelligence à facettes, Renan, qui parut en son temps le type du négateur, aura été également un convertisseur. Il a attiré nombre d'esprits hors du christianisme, mais il a été aussi à l'origine du dilettantisme mystique de la fin du siècle. Il critiquait les dogmes, mais, presque seul parmi les grands écrivains de son temps, il entretenait la sensibilité chrétienne. Ayant formé la "génération du relatif", il donnait en même temps à cette génération la curiosité et même l'angoisse religieuses. Savant enfin, c'est surtout comme poète qu'il a fasciné son temps.
Ernest Renan est mort à Paris le 2 octobre 1892, à l'âge de 69 ans.
Mélanie Wolfe,
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