Écrivain français, Georges Bernanos est né le 20 février 1888 à Paris. Il aimait rappeler la lointaine origine espagnole de sa famille paternelle, française depuis le début du XVIIe siècle.
À partir de 1895, il passe régulièrement ses vacances à Fressin (Pas-de-Calais), dans l'Artois; c'est dans cette région que se situeront la plupart de ses romans. En septembre 1897, il entre en sixième au collège des Jésuites rue de Vaugirard, où Charles de Gaulle était également élève. D'octobre 1901 à juin 1903, il est interne au petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs. Il suit la classe de rhétorique de 1903 à 1904 au petit séminaire Saint-Célestin à Bourges. Ayant échoué à la première partie du baccalauréat, en 1904, il redouble sa classe de rhétorique au collège Sainte-Marie d'Aire-sur-la-Lys (Pas-de-Calais); il est reçu au baccalauréat le 2 juillet 1906.
Le père de Bernanos, fervent monarchiste, artisan enthousiasmé par le nationalisme populaire, était abonné à La Libre Parole d'Édouard Drumont. Bernanos ne démentira jamais l'influence de Drumont, dont La France juive, lue à treize ans, lui aurait fait découvrir l'injustice "avec son regard glacé". A treize ans, il avait découvert aussi l'œuvre d'Honoré de Balzac, "magicien de génie", "visionnaire assiégé par le rêve", appréciant aussi le Balzac polémiste qui s'opposait à une société dominée par l'argent. Adolescent, il est frappé également par la lecture d'Ernest Hello et de Blaise Pascal.
Dès avril 1906, le jeune Bernanos exprime son admiration pour l'Action française et pour son chef, Charles Maurras. Étudiant le droit et les lettres depuis l'automne 1906, à Paris, il rejoint le groupe d'étudiants de l'Action française. Ses premiers écrits, sept nouvelles et un pamphlet, sont publiés de février à décembre 1907 dans Le Panache, revue royaliste illustrée. En 1908-1909, il participe activement aux manifestations de rue lancées par la jeunesse d'Action française. Il adhère également au cercle Proudhon, qui cherche à allier la cause syndicaliste et l'orientation royaliste.
En septembre 1913, sur la recommandation de Léon Daudet, l'Action française lui confie la direction de L'Avant-garde de Normandie, organe du nationalisme intégral en Haute-Normandie. Les articles qu'il publie dans cet hebdomadaire entre 1913 et 1914, repris dans Les Essais et écrits de combat (publication posthume, 1971), sont pour une grande part tributaires des thèses de l'Action française, mais on y trouve des réactions qui ne contredisent pas ce que Bernanos écrira plus tard. S'il adhère au système de Maurras, il se sent plus proche de Léon Daudet comme écrivain. La dominante qui se dégage de ses prises de position est sans conteste la valeur suprême attribuée à la Nation, terme qui englobe, à ses yeux, celui de peuple et dépasse celui de patrie. Convaincu que la monarchie sert mieux l'intérêt national que la démocratie, il s'en prend aux représentants des partis de droite et de gauche. Sa critique de l'idéalisme est cependant plus proche de Charles Péguy que de Charles Maurras. Malgré son passéisme, on sent chez lui une solidarité avec les pauvres, qui annonce le futur Journal d'un curé de campagne. Dans L'Avant-garde de Normandie, il publie aussi trois nouvelles où apparaissent déjà les grands thèmes de l'imposture et de la mort.
À la Première Guerre mondiale, Georges Bernanos s'engage dans le 6e régiment de dragons. En février 1915, il est au front et vivra, comme simple caporal, la guerre des tranchées jusqu'à la fin des hostilités. À travers ses lettres, perce un grand respect de l'adversaire; il se désolidarise en même temps de la propagande, qui méconnaît la situation réelle des soldats. Les figures principales de son œuvre littéraire viennent de cette expérience, et le thème du combat sera caractéristique de son univers imaginaire. Mais il a aussi tiré de la guerre le motif de l'affaissement, de l'humiliation de l'homme par les conditions extérieures.
En mai 1917, il épouse Jehanne Talbert d'Arc, descendante de l'un des frères de Jeanne d'Arc. De cette union naîtront six enfants. Démobilisé, il entre comme inspecteur dans la compagnie d'assurances La Nationale, en 1919; il y restera jusqu'en 1926. À côté de son travail, il se consacre à la rédaction d'un roman, écrit dans les gares, les wagons de chemin de fer, les hôtels, et publie en 1926, à trente-huit ans, Sous le soleil de Satan, qui rencontre d'emblée un écho très vif. L'auteur montre, à travers Donissan, le héros de son roman, la grande déception de sa génération à la suite de la guerre; il se propose en même temps de dénoncer la rhétorique creuse de l'après-guerre, l'inflation de la parole, grâce au personnage de Saint-Marin; par sa recherche d'une langue authentique, Donissan incarne en revanche la conception bernanosienne de la littérature. L'innovation consistait à introduire un sujet métaphysique dans le roman. La figure de Satan, loin de relever du fantastique littéraire, incarne un principe métaphysique: le Mal. Si la volonté héroïque de Donissan échoue, c'est que l'homme n'est pas autonome. Il n'est pas sans conséquence pour la technique littéraire que l'âme soit le terrain de l'irruption du mal et de la grâce. Ce qui est primordial, ce sont les conflits, et non plus la cohérence psychologique du personnage ou l'ordre logique d'une intrigue.
Malraux a relevé cette structure dramatique dans le deuxième roman de Bernanos, L'Imposture (1927), qui fait vivre l'abbé Cénabre, prêtre mondain et historien célèbre dévoré par l'orgueil. Ayant perdu la foi, Cénabre vit dans l'hypocrisie. L'abbé Chevance, humble mais lucide, que Cénabre veut humilier, s'oppose à lui. Dans la dernière partie du roman, on pressent le rachat virtuel de Cénabre. Le drame surnaturel de l'imposture et du rachat inspiré par l'idée de la communion des saints se dégage d'un monde catholique libéral que Bernanos montre sous un jour satirique.
La jeune Chantal, qui partage la foi de Chevance, sera au centre du troisième roman de Bernanos, La Joie (1929, prix Femina). Chantal de Clergerie, illuminée par la grâce, rayonne de pureté, de fraîcheur et de joie. Son profil se détache dans l'univers du château normand où elle vit avec un père historien qui ne pense qu'à sa carrière, une grand-mère emmurée dans le mensonge et des domestiques autoritaires et sournois. M. de Clergerie, l'évêque de Paumiers, le psychiatre, la Pérouse, et Cénabre entourent le destin surnaturel de Chantal. Celle-ci délivrera sa grand-mère du mensonge et meurt assassinée par le chauffeur du château, sa mort rachetant Cénabre.
Après le succès de son premier roman, Georges Bernanos a pris, en 1926, la défense de l'Action française condamnée par le Vatican, réaction comparable selon lui à celle de Péguy en faveur de Dreyfus. Mais constatant l'évolution du mouvement de Maurras vers le sectarisme, il cesse dès 1930 de collaborer à L'Action française et manifeste son indépendance en publiant, en 1931, son premier écrit de combat, La Grande Peur des bien-pensants. Si Édouard Drumont, présenté comme un prophète solitaire, est au centre de cette œuvre, Bernanos y dénonce à travers lui le règne de, l'argent et la démission de la France. A la suite de cet écrit polémique et de contacts avec la jeunesse, notamment celle du groupe Réaction, il se détache de la droite traditionnelle de plus en plus faible devant la menace fasciste. En 1932, il rompt définitivement avec le mouvement de Maurras et collabore, à partir de 1935, à l'hebdomadaire Marianne, tout en refusant l'antagonisme gauche-droite.
Il s'installe en octobre 1934 avec sa famille aux Baléares et y achève, en 1935, la rédaction d'Un crime, roman policier conçu suivant les conseils de son éditeur. La quête judiciaire s'y métamorphose en quête spirituelle. Au moment de la rédaction du roman, les deuxième et troisième parties avaient pris de l'ampleur; le romancier les écarta afin de les utiliser pour le roman Un mauvais rêve qui ne sera publié qu'à titre posthume en 1950. En 1936, le Journal d'un curé de campagne obtient le grand prix du Roman de l'Académie française. En choisissant la fiction d'un journal intime, tenu par un prêtre, Bernanos suggère le caractère sacerdotal de la vocation de l'écrivain. Le protagoniste, naïf et de santé fragile, relate son arrivée dans une paroisse rongée par l'ennui. Ses projets échouent et il doit affronter l'hostilité de ses paroissiens. Au château, il découvre un abîme: la jeune Chantal en révolte contre son père, qui a pour maîtresse la gouvernante du château, tandis que la comtesse reste murée dans la haine après la mort de son fils. Le prêtre trouve un soutien dans ses conversations avec le curé de Tory, plus robuste, le docteur Delbende et Olivier, le légionnaire, marginaux comme lui. C'est par sa faiblesse que le curé devient l'instrument de la grâce; son itinéraire revêt une dimension christique. Il mourra jeune, d'un cancer, loin de sa paroisse, dans l'appartement d'un ancien condisciple du séminaire, prêtre défroqué.
En 1937, la Nouvelle Histoire de Mouchette a pour héroïne une jeune fille de quatorze ans, "traquée par le malheur et l'injustice". Animée par une révolte sourde contre le monde qui l'écrase, en quête d'une voie qui lui permette d'en sortir, elle est attirée par un braconnier, Arsène. Entre eux s'esquisse un amour tendre, qui finira pourtant dans un viol brutal. Les premiers motifs d'admiration se révèlent illusoires. La déception de Mouchette se renforce au moment où sa mère se meurt; la veilleuse des morts qu'elle rencontre ensuite la pousse au dégoût d'elle-même. Le silence envahissant préfigure l'eau où l'héroïne va se noyer. Le suicide de Mouchette ne peut être interprété comme un choix délibéré du néant, mais comme le signe d'une dynamique de salut. S'il n'y a pas de prêtre, c'est que l'auteur assume lui-même un rôle sacerdotal, dans un style empreint de tendresse. Bernanos lie le destin de Mouchette à son expérience de l'Espagne et à "l'horrible injustice des puissants", qui ne savent pas parler le langage de la misère.
Il a en effet assisté au déclenchement de la guerre civile en Espagne et sympathisé d'abord avec la Phalange. Mais après une attaque des républicains à Manacor, les forces franquistes massacrent ceux qui ne réussissent pas à se sauver, ainsi que les "suspects" majorquins. Bernanos observe avec indignation cette répression terrible, qui annonce des atrocités systématiques. En 1938, il publie un violent réquisitoire contre la Terreur majorquaise et la "croisade" franquiste: Les Grands Cimetières sous la lune. Il y montre le caractère aveugle et prémédité de la répression, ainsi que l'atmosphère de guerre civile aboutissant à l'indifférence totale. Ce qui rend l'épuration particulièrement odieuse, aux yeux de Bernanos, c'est sa justification religieuse et l'approbation du clergé. Pour lui, le principe même d'une "croisade", imposant la foi par le fer et par le feu, est contraire à l'essence du christianisme. La pauvreté est, avec l'esprit d'enfance, une des valeurs clés des Grands Cimetières sous la lune. Pour Bernanos, seule une politique informée par l'éthique mérite d'être appelée politique d'honneur.
Écœuré par l'attitude des États européens face à la menace hitlérienne, Bernanos quitte l'Europe en juillet 1938 pour le Paraguay. Il demeure au Brésil de septembre 1938 à juillet 1945. En 1939, paraissent deux écrits de combat: Scandale de la vérité et Nous autres Français. Dans le premier essai, l'auteur critique la pensée de Maurras et se réclame de Péguy, tout en s'interrogeant sur l'honneur et la vocation de la France. Dans Nous autres Français, il médite sur le salut possible de la France dans la fidélité à l'honneur et sur le sens de la dénonciation du scandale.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en septembre 1939, Bernanos commence un journal intime, où il relie les débuts de la nouvelle guerre à sa propre expérience des tranchées, tout en prolongeant ses réflexions sur l'esprit de l'Avant et de l'Arrière. Ce journal sera publié en 1949, après la mort de l'auteur, sous le titre Les Enfants humiliés. Au mois de mai 1940, Bernanos écrit le dernier chapitre de Monsieur Ouine, dont la première conception remontait à 1931. Dans ce livre, publié au Brésil en 1943, les scènes ne sont pas liées par une intrigue linéaire, mais par la convergence des réseaux thématiques. Le village du Nord, rongé par l'ennui, semble une allégorie du monde moderne. A travers l'action insidieuse du personnage clé, Monsieur Ouine, le pouvoir contagieux du Mal désagrège la paroisse morte. Bernanos remet le dernier chapitre de Monsieur Ouine à son éditeur le 10 mai 1940, le jour même où les troupes allemandes attaquent la France: il ne s'y résigne pas et s'adresse alors à l'opinion publique par des articles de presse destinés d'abord à ses hôtes brésiliens, ensuite aux Français exilés comme lui, réunis dans des comités de Français libres, enfin, par des messages diffusés par la BBC ou Radio Brazzaville, à ses compatriotes de la France occupée. Il condamne l'armistice, contraire à l'honneur. La défaite est à ses yeux le résultat d'un processus qu'il avait dénoncé dès 1930 comme une démission de la France, cachée sous le nom de réalisme politique. Pour lui, des responsabilités humaines sont engagées dans les événements historiques, et il dénonce les coupables, qui réussissent grâce à la complicité des médiocres. Il ne cessera de s'indigner de l'attitude du maréchal Philippe Pétain, et plus encore du mythe qui se crée autour de lui. Entre une France qui a essentiellement une vocation universelle et la France de Vichy, il n'y a pas de commune mesure. C'est par un réflexe patriotique qu'il rejette en bloc Vichy, le régime voulu par l'ennemi. À la dénonciation de l'imposture de Vichy répond l'exaltation de la Résistance et de la figure du général Charles de Gaulle. Bernanos ne célèbre pas une personne, mais les valeurs qu'elle défend. Malgré l'identité de vues, il maintient son indépendance et la pleine responsabilité de son message. Les nombreux textes où il réagit aux événements et combat le national-socialisme et le fascisme, tout en s'interrogeant sur le bien-fondé des solutions pragmatiques des Alliés anglo-saxons, seront réunis dans Le Chemin de la Croix-des-Armes, paru au Brésil dès 1943 et en 1948 en France. Au Brésil, il publie également une Lettre aux Anglais (1942), où il évoque la Résistance, l'esprit de jeunesse s'opposant à l'esprit de vieillesse, et la vocation de la France. La France contre les robots (1944) est une réflexion sur la civilisation moderne, le progrès technique empêchant l'épanouissement de l'homme et de la liberté.
En juillet 1945, Bernanos revient en France à l'invitation du général de Gaulle. Par goût de l'indépendance, il décline l'offre d'un poste de ministre ou d'ambassadeur, celle de l'Académie française et de la Légion d'honneur. Ce séjour en France est à nouveau consacré à une intense activité de journaliste et de conférencier: Bernanos exprime ainsi son pessimisme face à l'évolution de l'après-guerre. Ces textes seront publiés après sa mort dans deux recueils: La Liberté pour quoi faire ? (1953) et Français si vous saviez (1961).
Installé en Tunisie, il se consacrera pendant l'hiver 1947-1948 aux Dialogues des carmélites, inspirés d'un fait historique transposé dans une nouvelle de Gertrud von Le Fort (La Dernière à l'échafaud). Dans cette œuvre d'abord conçue pour l'écran se retrouveront les thèmes majeurs de Bernanos, la peur, l'angoisse, la mort et l'idée de communion des saints dans la vie et dans la mort: "On ne meurt pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou même les uns à la place des autres."
Georges Bernanos tombe malade le jour même où il achève ces Dialogues. Il meurt le 5 juillet 1948 à l'Hôpital américain de Neuilly, à l'âge de 60 ans.
Joseph Jurt,
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