Écrivain roumain d'expression française, Panaït Istrati est né à Braïla (Roumanie) le 11 août 1884. Son père est un contrebandier grec qui meurt alors que l'enfant a neuf mois; sa mère, roumaine, est blanchisseuse.
Braïla, port fluvial ouvert sur l'Orient, habité par les ethnies les plus diverses, lui donne très tôt le goût des voyages. Après avoir occupé divers métiers de fortune, il rencontre l'ami de sa vie, Mikhaïl, un noble russe qui a tout abandonné pour mener une existence errante. Tantôt seul et tantôt avec lui, il sillonne la Méditerranée orientale (Grèce, Égypte, Liban, Syrie, Turquie). Globe-trotter vagabond, il n'hésite pas à s'embarquer clandestinement sur des cargos, quitte à être débarqué à la première escale. Pendant ces années d'errance précaire, il exerce tous les métiers que la nécessité du moment lui fait embrasser. Il est tour à tour valet de chambre, garçon d'hôtel, manœuvre, chaudronnier et même peintre d'enseignes.
Mikhaïl l'initie à la lecture. Son expérience de la misère rapproche le jeune marginal du socialisme: il collabore au journal La Roumanie ouvrière, devient secrétaire du syndicat des dockers de Braïla.
Panaït Istrati reste avant tout un être tourmenté et hypersensible. La France, sa littérature et sa "généreuse pensée" l'attirent: après un premier séjour à Paris en 1913, il s'établit trois ans plus tard en Suisse, où il soigne sa tuberculose, en exerçant toujours les métiers les plus divers, puis s'installe à Nice où il devient photographe ambulant sur la Promenade des Anglais.
Entre la langue de sa mère et celle de son père, il en choisit une troisième, le français, langue d'adoption apprise au cours de ses voyages. En janvier 1921, à trente-sept ans, il tente de se suicider à Nice en s'ouvrant la gorge, convaincu d'avoir raté sa vie. Mais une lettre de lui atteint Romain Rolland. Bouleversé par cette lecture, l'écrivain décide de faire la connaissance du blessé et le presse de dire dans une œuvre romanesque tout ce qu'il a vécu et connu. C'est le début d'une publication régulière au long des dix années qui vont suivre.
En 1924, Panaït Istrati publie chez Rieder Kyra Kyralina (sorti d'abord en 1923 dans la revue Europe, avec une préface de Romain Rolland) qui connaît un grand succès, puis Oncle Anghel. Il passe ensuite au cycle des haïdoucs (les hors-la-loi roumains luttant contre l'oppression de Turcs et boyards): Présentation des haïdoucs paraît en 1925, Domnitza de Snagov en 1926. Il aborde enfin la transposition romanesque de sa propre vie dans le cycle d'Adrien Zograffi (Adrien "le Peintre", en grec): Codine paraît en 1926, Mikhaïl l'année suivante. Romain Rolland le compare à un "Maxime Gorki des Balkans": dans la foule anonyme des misérables, il crée des personnages hors ligne, imprégnés d'inquiétudes morales; son monde est doublement inhabituel, Orient et bas-fonds prolétaires. Istrati, dira Henri Barbusse, a fait "entrer dans la maison des lettres l'air du grand jour". Sa prose française rappelle les cadences et les formules des contes traditionnels de sa terre natale.
Marque du succès, Gallimard publie en 1927 La Famille Perlmutter (écrit en collaboration avec Josué Jéhouda), en 1928 Mes départs (épisode de la jeunesse d'Adrien). Nerrantsoula paraît en 1927 (Éditions de France), Les chardons du Baragan (Grasset) en 1928.
Les chardons du Baragan est sans doute l'œuvre qui illustre le plus parfaitement, tant par les thèmes que par l'écriture, ce que Panaït Istrati a apporté d'unique à la littérature française. Roman d'apprentissage d'un enfant de la plaine du Baragan, en Valachie, qui, à la suite de son père, un pauvre marchand ambulant, sillonne les campagnes de la Roumanie encore presque féodale du début du XXe siècle, Les chardons du Baragan est aussi une sorte de roman picaresque exotique d'une étonnante puissance. Dans un français dépouillé de toute rhétorique, qui fait lever des images pleines de couleur et de relief, Panaït Istrati mêle le lyrisme et le réalisme, révèlant jusqu'à l'âme un monde de dénuement et de sauvagerie hanté par de splendides légendes et écrasé par les traditions de la servitude, mais qu'un incident fait basculer en un instant de la résignation désespérée dans la révolte.
À la fin de 1927, Panaït Istrati, alors communiste convaincu, est en URSS pour un séjour de seize mois qui le fait changer d'opinion. Son témoignage soviétique, Vers l'autre flamme, violemment critique, paraît en 1929 aux Éditions Rieder, premier volet d'une trilogie dont les autres auteurs sont des opposants connus: Victor Serge et Boris Souvarine. Le charme est rompu: l'ancien sympathisant se fait éreinter par l'intelligentsia de gauche. Istrati se retrouve seul.
Rentré en Roumanie, il interroge dans des formes de plus en plus pressantes son destin, publiant chez Rieder la suite du cycle d'Adrien Zograffi: Le Pêcheur d'éponges en 1930, La Maison Thüringer et Le Bureau de placement en 1933 (après l'interlude, en 1931, d'un roman sans Adrien, Tsatsa-Minnka), Méditerranée-lever du soleil en 1934 et Méditerranée-coucher du soleil en 1935. L'homme qui n'adhère à rien (titre d'un article de 1933) prolonge la parabole du conteur haïdouc. Cette œuvre apparemment picaresque est en fait dirigée par une lancinante préoccupation éthique. Dans une terre de plus en plus dominée par les appétits sauvages et aveugles, ses vagabonds cherchent désespérément des aliments spirituels. Pour avoir aimé la terre, réflexion sur le sens de la révolte solitaire, paraîtra un an après sa mort chez Denoël et Steele.
Panaït Istrati est mort le 16 avril 1935 à Bucarest, à l'âge de 51 ans.
Sergio Sacchi,
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Paris, lundi 11 décembre 2023