Stéphane Mallarmé

Biographie
Stéphane Mallarmé
Stéphane Mallarmé

Poète français, Stéphane Mallarmé est né le 18 mars 1842 à Paris. Après la mort de sa mère (août 1847) et le remariage du père, l'enfant, recueilli avec sa soeur Maria par les grands-parents maternels, est mis en 1850 dans une pension mondaine, puis en 1852 chez les frères des écoles chrétiennes à Passy.

Élève médiocre, il est renvoyé de la pension en 1855 pour insoumission, et entre l'année suivante comme pensionnaire au lycée impérial de Sens, ville où son père est depuis 1853 conservateur des hypothèques. C'est au lycée de Sens que Mallarmé, marqué par un nouveau deuil avec la mort de Maria en 1857, fait son véritable apprentissage littéraire: apprentissage tout académique, avec la Cantate pour la première communion (juin 1858) et La Prière d'une mère (juillet 1859); mais plus personnel aussi avec le recueil Entre quatre murs où se révèle l'influence d'Alphonse de Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset, Théophile Gautier, Théodore de Banville, et avec l'anthologie de huit mille vers qu'il calligraphie en 1860 sous le titre de Glanes, des poètes du XVIe siècle aux poètes contemporains, en particulier Charles Baudelaire et Edgar Poe.

Cette même année 1860, il est reçu bachelier, et, suivant la tradition familiale, fait son "premier pas dans l'abrutissement" en entrant comme surnuméraire chez un receveur de l'Enregistrement. C'est de 1862 que datent les premières publications: articles, notamment le fameux Hérésies artistiques, L'Art pour tous, et poèmes: Placet, le début du Guignon, Le Sonneur...; que date aussi sa liaison avec une gouvernante allemande, Maria Gerhardt, de sept ans son aînée. En novembre, le poète, qui veut quitter l'Enregistrement pour l'enseignement de l'anglais, s'embarque pour Londres avec Maria, qu'il épousera par devoir après bien des péripéties, le 10 août 1863. Au terme de ce séjour londonien, il est déclaré apte à l'enseignement de l'anglais et chargé de cours en septembre 1863 au lycée de Tournon.

À Tournon, Mallarmé passera trois années décisives pour son évolution intellectuelle et spirituelle. C'est sous le signe du taedium vitae que commence en tout cas cet exil ardéchois pour le poète, désormais majeur et chargé d'âmes, qui découvre, avec les misères de l'enseignement, l'ennui de la vie de province et le démon de l'impuissance poétique. Les poèmes de ces premiers mois de Tournon multiplient les variations sur le spleen et l'idéal baudelairiens, mais La Genèse d'un poème d'Edgar Poe lui révèle en même temps que la poésie n'est pas seulement l'aveu d'un idéalisme absolu, mais aussi un travail sur le vers en vue de l'effet à produire.

C'est sous ce double patronage de Baudelaire et de Poe, et avec l'espoir, grâce à Banville, d'être joué au Théâtre-Français, qu'à l'automne de 1864 Mallarmé commence sa tragédie d'Hérodiade, qu'il abandonne provisoirement en juin pour rimer "un intermède héroïque, dont le héros est un faune". Ce Monologue du faune, soumis à Banville et à Coquelin en septembre, ne trouve pas grâce à leurs yeux, si bien qu'en octobre, lorsque le poète revient à son héroïne hivernale, Hérodiade n'est plus tragédie mais poème. À la scène, sans doute terminée à la fin de 1865, il envisage alors d'adjoindre une ouverture musicale (l'Ouverture ancienne), à laquelle il travaille pendant les premiers mois de 1866.

C'est dans ce contexte qu'il fait à Pâques un séjour à Cannes chez Eugène Lefébure, au terme duquel il écrit à Henri Cazalis, évoquant son travail sur l'Ouverture: "... en creusant le vers à ce point, j'ai rencontré deux abîmes, qui me désespèrent. L'un est le Néant, auquel je suis arrivé sans connaître le bouddhisme, et je suis encore trop désolé pour pouvoir croire même à ma poésie et me remettre au travail, que cette pensée écrasante m'a fait abandonner. Oui, je le sais, nous ne sommes que de vaines formes de la matière, mais bien sublimes pour avoir inventé Dieu et notre âme. Si sublimes, mon ami ! que je veux me donner ce spectacle de la matière, ayant conscience d'elle et, cependant, s'élançant forcenément dans le Rêve qu'elle sait n'être pas, chantant l'Âme et toutes les divines impressions pareilles qui se sont amassées en nous depuis les premiers âges et proclamant, devant le Rien qui est la vérité, ces glorieux mensonges ! Tel est le plan de mon volume lyrique et tel sera peut-être son titre, La Gloire du mensonge, ou Le Glorieux Mensonge. Je chanterai en désespéré !"

Hérodiade, dans laquelle il dira s'être mis tout entier sans le savoir, est ainsi dans l'évolution de Stéphane Mallarmé l'oeuvre charnière, et le lieu d'une crise essentielle par laquelle le poète découvre, outre le néant sous les mots, l'immanence de la divinité dans l'âme humaine et celle de la poésie, ou de la beauté, dans le langage. Cette révélation décisive, qui aura pour effet d'ajourner tout travail d'écriture alors même que la publication de dix de ses poèmes dans Le Parnasse contemporain le 12 mai consacre une prime notoriété, inaugure pour Mallarmé deux années de spéculations sur le grand oeuvre, et de fréquentation de l'absolu. Ainsi écrit-il en mai 1867 à Cazalis: "Je viens de passer une année effrayante: ma pensée s'est pensée, et est arrivée à une conception pure. Tout ce que, par contrecoup, mon être a souffert, pendant cette longue agonie, est inénarrable, mais, heureusement, je suis parfaitement mort, et la région la plus impure où mon esprit puisse s'aventurer est l'éternité [...]. C'est t'apprendre que je suis maintenant impersonnel et non plus Stéphane que tu as connu, mais une aptitude qu'a l'Univers spirituel à se voir et à se développer, à travers ce qui fut moi."

Un an plus tard, il écrit encore à François Coppée: "Pour moi, voici deux ans que j'ai commis le péché de voir le rêve dans sa nudité idéale [...]. Et maintenant, arrivé à la vision horrible d'une oeuvre pure, j'ai presque perdu la raison..."; et à Lefébure: "Décidément, je redescends de l'absolu [...] mais cette fréquentation de deux années (vous vous rappelez ? depuis notre séjour à Cannes) me laissera une marque dont je veux faire un sacre."

Le 18 juillet, il envoie ainsi à Cazalis le Sonnet allégorique de lui-même, première version du sonnet en -ix, inaugurant cette logique nouvelle de la poésie qui se veut une réflexion du langage. Les années 1869-1870 consacrent en tout cas la fin d'une crise de quatre ans: après la découverte, par la lecture de Descartes, de la notion de fiction, c'est un conte, Igitur, qui, par une espèce d'homéopathie littéraire, doit exorciser le démon de l'impuissance et par là même liquider la crise de l'absolu, et c'est la science linguistique qui va permettre à Mallarmé de donner un fondement scientifique à son oeuvre. Ni Igitur, ni la thèse alors envisagée (thèse linguistique doublée d'une thèse latine sur la divinité) ne seront menés à terme, mais lorsqu'en septembre 1871, au terme d'un congé de vingt mois, Mallarmé s'installe enfin à Paris, il redevient, selon ses propres termes, "un littérateur pur et simple", c'est-à-dire celui qui sait désormais que tout le mystère humain tient dans le seul génie des lettres.

Parallèlement à un travail souterrain de réflexion sur le langage et la divinité, dans le prolongement de la thèse abandonnée, travail dont témoignent des ouvrages qui ne sont pas qu'alimentaires: Les Mots anglais (1878), Les Dieux antiques (1880), les années soixante-dix voient fleurir les publications: la scène d'Hérodiade dans le deuxième Parnasse contemporain en 1871, Toast funèbre (1873), L'Après-Midi d'un faune, destiné à l'origine au troisième Parnasse contemporain, mais refusé et publié en édition de luxe (1876), la préface à Vathek, l'article sur les impressionnistes et Manet et le Tombeau d'Edgar Poe la même année, sans parler de La Dernière Mode, dont le poète, sous divers pseudonymes, rédige seul huit numéros entre septembre et décembre 1874.

Mais la fin de cette décennie est marquée par un drame personnel, la mort de son fils Anatole (né en 1871) après une maladie de six mois, drame dont témoignent les notes préparatoires à ce qui eût dû être le Tombeau d'Anatole. Deux publications, au tiers des années 1880, vont soudain gagner à Mallarmé une audience plus large: Les Poètes maudits de Verlaine en novembre et décembre 1883, et surtout, en mai 1884, A rebours de Joris-Karl Huysmans, en l'honneur de qui sera publiée en 1885 l'énigmatique Prose pour des Esseintes. En ce milieu des années 1880 où la mort de Victor Hugo libère symboliquement le champ de la poésie, Stéphane Mallarmé devient, bien malgré lui, avec Paul Verlaine, le modèle d'une nouvelle génération et le parrain du symbolisme naissant, lancé avec éclat par Jean Moréas dans son manifeste du Figaro (septembre 1886).

Mais les poèmes qu'il publie ou republie alors ne sont pour lui que la petite monnaie d'une ambition plus vaste: c'est en 1885 encore, peu après avoir écrit sa Rêverie d'un poète français sur Richard Wagner, où il se pose en émule du théoricien de l'art total, qu'il révèle à Verlaine son rêve du grand oeuvre, conçu comme l'"explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poète et le jeu littéraire par excellence". Ces spéculations sur le grand oeuvre, tantôt livre tantôt théâtre, feront la matière de divers articles que Mallarmé en 1897 réunira avec ses poèmes en prose sous le titre de Divagations.

Mais cette neuve célébrité crée aussi une demande nouvelle, et de cette époque date le premier recueil des Poésies, l'édition photo-lithographiée de 1887, pour laquelle Mallarmé révise nombre de ses poèmes anciens. Les Mardis (jours où il reçoit) ont désormais valeur d'initiation pour des apprentis poètes qui ont pour noms Pierre Louys, Paul Valéry, André Gide, Paul Claudel, et le maître de la rue de Rome, à la retraite depuis 1894, devient un personnage quasi officiel qui préside banquets et comités, avant d'être élu prince des poètes en 1896.

En même temps qu'il prépare une nouvelle édition d'ensemble de ses Poésies qui, à la suite de multiples retards, ne paraîtra qu'après sa mort en 1899 chez l'éditeur belge Edmond Deman, d'autres projets occupent ses dernières années: Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, cette partition typographique qui découvre à la poésie un espace nouveau, et dont un premier état paraît en mai 1897 dans la revue Cosmopolis, et Les Noces d'Hérodiade, destinées à compléter la scène seule publiée d'un Prélude et d'un Finale.

La mort prématurée de Stéphane Mallarmé le 9 septembre 1898 à Valvins (Seine-et-Marne), des suites d'un étouffement, interrompt ainsi, en laissant une oeuvre inachevée et l'énigme majeure du Livre, une aventure intellectuelle et littéraire sans équivalent dans la poésie française. Ce modeste fonctionnaire aura été en effet l'agent d'une véritable révolution poétique. Parti du rêve de faire de la poésie, par un idéalisme forcené, une langue au-delà de la langue, Mallarmé a découvert, par la poésie même, que la poésie est tout entière dans la langue, mais qu'elle réveille aussi, à côté de la logique purement économique de signification, la fonction symbolique du langage — c'est là le double état de la parole — telle qu'elle se révèle dans le processus mythologique démonté au même moment par la linguistique.

En avouant, au sortir de ses années de crise, qu'il avait à "revivre la vie de l'humanité depuis son enfance et prenant conscience d'elle-même", Mallarmé entreprenait en somme de se réapproprier, par la linguistique et par la poésie, une histoire idéale du langage: de l'inconscient originel générateur de tous les mythes et représentations jusqu'à la conscience poétique; ou de l'âge théologique fondé en Dieu jusqu'à l'âge moderne de la fiction dont la "pièce principale" est ce "Rien qui est la vérité". Car la poésie, en tant qu'elle est par excellence la conscience du langage, n'est rien d'autre pour Mallarmé que le terme et le couronnement de l'évolution vers cette "divinité de l'Intelligence" qu'il s'était proposé d'étudier dans sa thèse latine sur la divinité. Et s'il est vrai que mythes et religions ont leur bible, la poésie elle-même ne peut rêver d'autre fin que le Livre pour cette apocalypse, proche ou lointaine, de la fiction.

Bertrand Marchal,

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Paris, vendredi 29 mars 2024