Écrivain lituanien d'expression française, Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (À ne pas confondre avec son cousin Czeslaw Milosz) est né le 28 mai 1877 à Czereïa, en Lituanie historique, aujourd'hui la Biélorussie, à l'époque annexée à la Russie. Il est donc russe par sa naissance.
De son enfance passée dans le domaine nobiliaire familial (trente mille hectares) entre un père — boyard fin de race aux lubies extravagantes — et une mère juive terriblement distante, mais auprès d'une préceptrice française qui lui donne l'amour de la langue française, Milosz gardera toujours l'inconsolable souvenir d'une contrée mythique "étrange, vaporeuse, voilée, murmurante". Lituanie de rêve et de désir, qu'il quitte en 1889 pour Paris où s'installent ses parents.
Il sort bachelier du lycée Janson-de-Sailly puis, passionné par les langues (il maîtrise l'anglais, l'allemand, le polonais, le russe), il étudie l'épigraphie hébraïque et assyrienne.
En 1899, il publie Le Poème des décadences qui réverbère l'extrême lassitude d'un monde où Dieu est mort, où tout est vieux et faux ("Ces mensonges du temps qu'on nomme souvenirs !") et où la quête de l'amour achoppe sur le mystère du féminin qu'incarnent, d'Aliénor en Salomé, maintes hypostases de la femme. Hélas, elles n'ont que leur corps à offrir, pauvre fantôme plus ou moins tangible, alors que Milosz ne rêve que d'âme.
Les Sept Solitudes (1906), qui paraît au retour d'un séjour en Lituanie, offre le même climat de sensualité nimbée de dégoût, de vide aspirant à un impossible amour, d'écartèlements entre les échos douloureux d'une enfance morte et les plis d'extase des enchantements de la chair. Rythmé par d'obsédantes images célébrant avec une éloquence d'hostie la plaie éternelle de l'amour, et enveloppé par les sons étrangement voilés d'une incoercible nostalgie, le livre est cependant enluminé par l'énigmatique figure d'une princesse initiée, la "petite reine Karomama du temps jadis", morte il y a vingt-trois siècles, et en qui il faut sans doute voir l'inaccessible et idéale passion du poète.
Avec les Scènes de don Juan qui complète le recueil, Milosz, en plein désarroi, évoque un don Juan faustien qui ne trouve plus de raison d'être que dans l'accomplissement du mal. Il précipite la mort de son père avant d'empoisonner son frère et de torturer sa jeune épouse dont la souffrance, seule, est encore capable de le troubler. Milosz est au bord de la folie et de la damnation. Alors, tel un don Quichotte assoiffé d'infini et affamé de chair, il va se livrer à un long examen de conscience qui prendra la forme d'un roman, L'Amoureuse Initiation (1910), au terme duquel il constate que la femme ne représente pas l'absolu de l'amour ; mieux, il reçoit la révélation d'un amour bien plus grand : celui du Créateur aux dépens de celui de la créature.
Mais si l'élan mystique est indéniable, sa direction reste encore confuse dans Les Éléments (1911) avant de s'affirmer dans Miguel Manara (1912). Ce mystère, dont l'ascétique mais sublime rayonnement consacre le renoncement à la beauté terrestre au seul profit de la beauté spirituelle, confirme le passage du profane au sacré.
Un second mystère, Méphiboseth (1913), qui s'inspire des amours de David et de Bethsabée, montre que dans cette marche à la rédemption le renoncement aux amours humaines n'est qu'un prélude au sacrifice qui consiste à faire de la souffrance qu'on s'impose une source de joie. Saül de Tarse, drame de la conversion de celui qui deviendra saint Paul, écrit en 1914 mais inédit jusqu'en 1971, clôt cette trilogie dramatique, véritable théâtre de Dieu dont chaque volet, à la façon d'une mue, jalonne l'ascension spirituelle d'un homme qui souffre aussi dans sa chair puisque cruellement éprouvé par une douloureuse maladie de peau, le xanthome.
De ce lent exorcisme, qu'assombrit encore l'hécatombe européenne qui devait faire de ce noble lituanien un pauvre, témoignent encore les Symphonies (1915) mais surtout Nihumim (1915), bouleversant poème d'un homme de 40 ans qui se penche sur sa vie. C'est l'âge qui marque la victoire du corps ou celle de l'esprit. "Quarante ans / Pour apprendre la noblesse de l'Action … Quarante ans / Pour apprendre à parler sans mépris de la femme. O Amour ! / Quarante ans je vous ai cherché parmi les femmes / Mais ce n'est point parmi les femmes que je vous ai trouvé …" Bilan positif mais douloureux d'un destin, à présent définitivement scellé par la révélation de l'amour divin ("ô mon corps, tu vivras pour aimer et souffrir"), qui connaîtra son point d'orgue lors de la nuit d'illumination du 14 décembre 1914, expérience comparable à celle que connurent Pascal ou Swedenborg : "J'ai vu le soleil spirituel."
L'Épitre à Storge (1917), texte d'un brûlant mysticisme, relate cet "enlèvement sur la montagne" et contient les fondements du message métaphysique de Milosz tels qu'on les retrouve dans le Cantique de la connaissance, dans La Confession de Lemuel (1922) et tels qu'il les développera, sous une forme beaucoup plus discursive, dans Ars Magna (1924) et Les Arcanes (1927) qui s'ouvrent par ce verset : "Comme la montagne m'emportait dans son vol, tout à coup je vis s'ouvrir devant moi “sur l'autre espace” la porte d'or de la mémoire, l'issue du labyrinthe."
La révolution russe d'Octobre le ruine car ses terres, non comprises dans les limites de la République de Lituanie créée en 1918, sont confisquées par les autorités soviétiques. Ses seuls moyens d'existence sont les appointements que lui verse la Légation de Lituanie en France pour ses travaux de rédacteur puis de chargé d'affaires de Lituanie en France (1920 à 1925).
Après Adramandoni (1918), le poète personnel a définitivement cédé la place à l'inspiré, au voyant qui doit "décrire ce qu'il a vu" et à qui incombe une mission quasi prophétique. Il élabore une philosophie du mouvement comme synthèse du temps, de l'espace et de la matière, décrit la relativité universelle avant même de connaître le nom d'Einstein, fait du cerveau le satellite du cœur, rêve d'un monde où science et religion seront enfin unies. Son goût pour les sciences secrètes et son mysticisme — moyen de préhension des réalités d'un univers qui se dérobe aux investigations de "notre minuscule et orgueilleuse raison d'insectes" — le conduisent à se consacrer au déchiffrement de L'Apocalypse de saint Jean (1933) et à des recherches sur Les Origines ibériques du peuple juif (1933) et sur celles de La Nation lituanienne (1937).
Toujours rongé par la nostalgie du pays d'enfance, il traduit des chansons du folklore, Daïnos (1928), et donne des transcriptions de Contes et fabliaux de la vieille Lituanie (1930) ainsi que des Contes lituaniens de ma mère l'Oye (1933).
Naturalisé français en 1931, O. V. de L. Milosz finit sa vie à Fontainebleau dans une solitude extrême, parlant avec les oiseaux, incompris, ignoré par son temps — éternel exilé n'ayant eu pour seule vraie patrie que la langue française.
Il meurt à Fontainebleau le 2 mars 1939, à l'âge de 61 ans.
Richard Blin,
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