Yukio Mishima

Biographie
Yukio Mishima
Yukio Mishima

Romancier, nouvelliste, essayiste et dramaturge japonais, Yukio Mishima est né à Tokyo le 14 janvier 1925.

La brève vie de cet écrivain, dont la renommée est infiniment plus flatteuse à l'étranger, et surtout en France, que dans son pays, aura-t-elle fini par éclipser son oeuvre ? Les nombreuses biographies qui lui ont été consacrées ont toutes mis l'accent sur les contradictions de l'homme et de l'écrivain qui aspira en vain à avoir le prix Nobel, tout en revendiquant, à la fin de sa vie, des valeurs nationalistes.

De son vrai nom Kimitake Hiraoka, il était le fils d'un sous-directeur du Bureau des Pêches au ministère de l'Agriculture et de la fille d'un proviseur de lycée. Aîné de trois enfants, il a une soeur, Mitsuko, et un frère, Chiyuki. Représentant typique de la petite bourgeoisie d'avant-guerre, il entretint cependant le mythe d'une ascendance féodale, partageant ainsi les idéaux de l'extrême droite dont il allait devenir l'un des plus ardents défenseurs. Élevé par sa grand-mère paternelle, comme il le racontera longuement dans son récit autobiographique Confession d'un masque, il aurait été "séquestré" jusqu'à l'âge de douze ans dans une chambre. Cette enfance traumatisante obsédera l'écrivain qui y reviendra très souvent dans son oeuvre.

Il fit ses études au "Collège des Pairs" [Gakushû-in] de Tokyo. Il manifeste très tôt des dispositions littéraires et l'on a retrouvé des poèmes qui révèlent son extrême précocité. Il s'affilie à une association scolaire de création littéraire, l'École du Bouleau blanc, sous l'égide de laquelle il fait lire ses premiers écrits, dont le lyrisme et le style ampoulé ne parviennent pas à masquer la grande singularité. Il évoquera plus tard ces années de formation poétique dans Le garçon qui écrivait de la poésie (1954). Il ne renoncera jamais du reste à ce style surchargé de métaphores, d'une pesanteur parfois édulcorée en traduction.

Sa première publication en revue remonte à 1941. C'est alors qu'il choisit son pseudonyme, Yukio Mishima. Sa première nouvelle s'intitule La Forêt en fleurs, publiée tout d'abord dans la revue Arts et Culture avant d'être reprise en volume en 1944. L'esthétisme, le culte de la beauté et la célébration trouble du désir y sont exprimés dans une langue qui est déjà celle d'un écrivain aguerri. Un pastiche du Genji Monogatari contribue à prouver la grande maîtrise du très jeune Mishima, qui n'a alors que seize ans.

Il poursuit ses études, tout en se familiarisant avec la littérature étrangère (les "pâmés" français, Oscar Wilde, Raymond Radiguet, Jean Cocteau, qui seront des références constantes de son oeuvre). En 1944, il s'inscrit en droit allemand à l'université de Tokyo, sur l'ordre de son père. Il est aussitôt mobilisé, mais, exempté de tout travail de force, il peut continuer à écrire.

Après la guerre, soutenu par le célèbre critique Mitsuo Nakamura et par Yasunari Kawabata, il travaille à un premier roman, Les Voleurs, où l'on a voulu lire un autoportrait ironique de l'écrivain à travers son héros, Akihide, "qui a perdu la mesure propre à évaluer le réel". Histoire d'un double suicide de deux jeunes amoureux que leurs familles séparent, ce roman est, de l'aveu même de l'auteur, qui devait quelques années plus tard publier ses carnets de travail, influencé par Le Bal du comte d'Orgel de Radiguet.

La mort de la jeune soeur de Mishima, Mitsuko, en octobre 1945, contribue à assombrir ce tempérament déjà très pessimiste. Tout en écrivant son roman, il publie des nouvelles dans la revue fondée par Kawabata à Kamakura, L'Humanité et dans Gunzô, toujours avec l'appui de son célèbre aîné. Sous la pression de sa famille, il est contraint, à la fin de ses études, peu avant la publication de son roman, d'accepter un emploi de fonctionnaire au ministère des Finances. Il ne le conserve que neuf mois, écrivant la nuit.

Après sa démission, il rédige Confession d'un masque, où il avoue, à travers le narrateur qui est évidemment son double, son homosexualité. Le livre, sorti en 1949, obtient un succès public et critique retentissant. La finesse des analyses, l'atmosphère profondément poétique, le caractère vibrant de sa sincérité font incontestablement de ce "roman" le chef-d'oeuvre d'un écrivain de vingt-quatre ans qui aura atteint trop tôt le sommet de son art.

Mais il prend goût à un certain type de littérature morbide et commerciale, à l'écriture facile, qui dès lors accompagnera sa "production sérieuse". Cette oeuvre de second rayon comptera dix-sept titres. Il s'agissait de romans destinés à un public strictement féminin et commandés par des revues très populaires qui payaient cher sa signature. De La Nuit toute blanche à Musique, en passant par Les Aventures de Natsuko ou L'École du corps, autant de romans écrits rapidement, à la psychologie souvent invraisemblable par ses simplismes ou ses excès, et situés dans les milieux de la mode ou dans une haute bourgeoisie de fantaisie.

Une soif d'amour, qui sort en 1950, est cependant retenue parmi les oeuvres "sérieuses" de Mishima. À travers son héroïne Etsuko, Mishima peut décrire son attirance pour un certain type d'homme, à la sexualité animale, ici représenté par Saburô, un ouvrier agricole. Il cite alors François Mauriac parmi ses maîtres. Les ventes de ce roman atteignirent de tels chiffres qu'elles permirent à Mishima et à sa famille de s'installer dans un quartier résidentiel de Tokyo. Mais c'est aussi l'époque où, prétextant des recherches "sociologiques" pour la préparation de son prochain roman, il fréquente les milieux homosexuels de la capitale et se lie à des prostitués et des travestis.

Les Amours interdites qu'il écrira en deux temps, avant et après son premier voyage en Europe et en Amérique, sont en effet entièrement situées dans cet univers qu'il connaissait parfaitement. Sa mère, qui dans le roman joue un rôle décisif, lui est alors profondément attachée. La découverte de l'étranger sera aussi pour lui l'occasion d'une libération sexuelle qu'il décrira d'une façon très crue et souvent cynique dans son roman.

À Paris, où il se trouve au printemps 1951, il rédige sa première pièce de théâtre. À son retour au Japon, il songe à se marier et fait la cour à la fille d'un industriel que finalement il n'épousera pas. Il commence alors à pratiquer le culturisme et les arts martiaux. Il écrit désormais aussi pour le théâtre: ses adaptations modernes de nô et ses drames originaux sont montés. Il produira au rythme d'une pièce par an jusqu'à sa mort.

Vivement frappé par sa visite de la Grèce, il publie en 1954 Le Tumulte des flots — inspiré par le roman de longus, Les Amours pastorales de Daphnis et Chloé —, qui constitue une exception dans son oeuvre dans la mesure où la hantise de la mort en est absente; il y atteint une forme de sérénité. Ce fut l'un de ses plus grands succès et il devait prétendre "s'être moqué de son public" qui lui fit un triomphe.

Sur cette lancée, il écrit une série de livres populaires. Un printemps trop long et Le Vacillement de la vertu, où il se complaît dans la composition de personnages sensuels, femmes adultères et jeunes gens sans scrupules. Mais entre-temps, il écrit l'un de ses romans les plus accomplis, Le Pavillon d'or (1956), inspiré d'un fait divers: l'incendie criminel d'un illustre temple de Kyoto. C'est pour lui l'occasion d'exprimer, une fois encore, sa conception de la beauté et du crime, indissociablement mêlés dans son esprit.

Sa pièce Le Palais des fêtes, dont les héros sont des aristocrates décadents, est jouée à travers tout le Japon et augmente encore sa popularité. Enfin, en 1957, il retourne aux États-Unis pour promouvoir la traduction anglaise de Cinq nô modernes. À son retour, sur l'insistance de son père qui veut dissiper la rumeur grandissante de son homosexualité, il épouse une jeune étudiante de dix-neuf ans, Yoko Sugiyama, fille d'un peintre connu. L'adaptation cinématographique du Pavillon d'or, sous le titre de L'Embrasement, par Kon Ichikawa, resserre ses liens avec le cinéma. Il fera quelques apparitions comme acteur dans diverses productions et pose de plus en plus devant des photographes.

La dernière période de sa vie est à la fois extraordinairement productive et tourmentée. Il a deux enfants, une fille, Noriko, et un fils, Iichiro. Il commence à soutenir dans ses romans et dans ses essais des thèses politiques de plus en plus marquées par le nationalisme, le militarisme et la nostalgie du pouvoir impérial. Son roman La Maison de Kyoko (1959) est l'un de ses livres les plus ambitieux et les plus longs: les quatre soupirants de son héroïne, un homme d'affaires, un peintre, un boxeur et un acteur, sont censés représenter des facettes de sa personnalité hantée par le suicide. Avec Patriotisme, il manifeste sa passion militariste. Avant Soie et Perspicacité et La Belle Etoile, autres romans "à thèse", Le Marin rejeté par la mer, publié en 1963, peut être considéré comme le dernier livre réussi de Mishima. Après le banquet, qui avait pris pour modèle un ambassadeur réel, lui vaut un procès, qu'il perd. Tandis que dans plusieurs essais il répète sa foi dans le militarisme et l'"esprit des guerriers", notamment dans La Voix des esprits des héros, il entreprend la rédaction de sa tétralogie, La Mer de la fertilité, qu'il achèvera quelques mois avant de se suicider.

Durant les trois dernières années de sa vie, Yukio Mishima participe à des activités d'entraînement militaire, en s'engageant, sous son nom réel, moins connu que son pseudonyme, comme simple soldat. Le 3 novembre 1968, il fonde la Société du Bouclier, armée privée, à la tête de laquelle il tente un coup d'État avec son ami Morita.

Leur échec les conduisit à se tuer ensemble, en public, le 25 novembre 1970 à Tokyo. Yukio Mishima se donna la mort selon la tradition des guerriers japonais en réalisant un seppuku, c'est-à-dire en s'ouvrant le ventre au couteau. Il le fit torse nu avec sur la tête un bandeau où était inscrite la devise des samouraïs: "Shichishoh Hohkoku" ("Sers la nation durant sept existences"). Après plusieurs minutes d'agonie, et conformément à sa volonté, il fut décapité d'un coup de sabre par son compagnon de combat qui s'éventra à son tour.

René de Ceccatty et Ryoji Nakamura,

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Paris, dimanche 10 décembre 2023