Écrivain français, Guy Henri René Albert de Maupassant est né au château de Miromesnil, près de Tourville-sur-Arques (Seine-Maritime) le 5 août 1850.
Descendant par son père d'une ancienne famille lorraine, anoblie par Marie-Thérèse d'Autriche et installée au XVIIIe siècle seulement en Normandie, Maupassant n'en était pas moins par sa mère, née Laure Le Poittevin, un vrai Normand. Lorsque ses parents décidèrent de se séparer à l'amiable, alors qu'il était encore tout enfant, c'est à sa mère que Guy, avec son jeune frère Hervé, fut confié, et c'est sa mère qui veilla, un peu jalousement, sur sa première éducation. Elle avait été la compagne de jeux de Gustave Flaubert et la sœur de cet Albert Le Poittevin, jeune poète très tôt disparu, qui lui avait donné une passion des lettres qu'à son tour elle transmit à son fils, dont elle facilita de son mieux la vocation littéraire.
Dans sa propriété des Verguies, à Étretat, où elle s'était retirée et où Maupassant passa son enfance, elle dirigea minutieusement ses premières lectures, lui révélant en particulier William Shakespeare. Mais, pour tout le reste, elle lui laissa la plus grande liberté, et les premières années de l'écrivain, qui était doué d'une vigueur physique remarquable, furent certainement les plus heureuses et même les seules vraiment heureuses de sa vie.
Sans contrainte, seul ou en compagnie d'une mère indulgente pour toutes ses fantaisies, il courait à travers les champs, faisait de longues promenades sur les falaises ou en mer, dans les barques de pêcheurs, et c'est dès cette époque qu'il acquit cette connaissance directe et profonde du pays et du peuple normands qu'on retrouvera dans tant de ses nouvelles. C'est au cours de ces promenades qu'il aperçoit le peintre Jean-Baptiste Camille Corot et rencontre pour la première fois Claude Monet.
Lorsque son fils eut treize ans, Mme de Maupassant se résigna cependant à le placer comme pensionnaire au séminaire d'Yvetot. Guy y travailla fort peu. Il s'y sentit isolé, froissé par des camarades grossiers. L'internat lui était insupportable et plus encore les manières ecclésiastiques, qui lui donnèrent un dégoût de la religion qu'il devait garder toute sa vie. Sa seule consolation était d'écrire des vers. Certains d'entre eux, qui raillaient ses maîtres, furent un jour saisis par le directeur du séminaire, et le jeune homme, renvoyé, dut entrer, toujours comme pensionnaire, au lycée de Rouen, où il se montra assez brillant élève et passa aisément son baccalauréat.
Lorsque éclata la guerre de 1870, Guy de Maupassant avait vingt ans. Il s'engagea et vit l'invasion de la Normandie dont il a laissé une peinture célèbre dans Boule de Suif (1880).
Après l'armistice, impatient de vivre à Paris, il accepta un emploi au ministère de la Marine, avec de médiocres appointements qui s'améliorèrent un peu lorsque au début de 1879 il se fit muter au ministère de l'Instruction publique. Il était bien loin d'ailleurs d'être un fonctionnaire exemplaire, et c'est surtout en spectateur qu'il connut la vie de bureaucrate, dont L'Héritage, La Parure , etc., nous donnent des esquisses.
Vigoureux, en pleine santé, très gai, adorant les farces, ne donnant encore aucun signe de la maladie nerveuse qui devait l'emporter prématurément, il se jetait avec gourmandise sur tous les plaisirs de la capitale. Sa passion principale, c'est toutefois le canotage sur les bords de la Seine, en compagnie de joyeux camarades et de demoiselles peu farouches, parties hebdomadaires que rien n'aurait pu lui faire sacrifier et dont on retrouvera l'atmosphère dans la nouvelle intitulée Mouche.
Il travaillait aussi, pourtant. Non pas dans son bureau du ministère, mais auprès de Flaubert, auquel sa mère l'avait confié et qui, de 1873 à 1880, veillera avec le plus grand soin sur les années d'apprentissage du jeune écrivain, lui conseillant telle ou telle lecture, l'exhortant à tout sacrifier à la seule cause de l'art, lisant et corrigeant ses premiers manuscrits, le prenant même pour collaborateur, puisqu'il le chargea de diverses recherches nécessitées alors par la rédaction de Bouvard et Pécuchet. Flaubert imposa à Maupassant les sévères et minutieuses exigences de l'esthétique réaliste. Il lui apprit à regarder le monde, à s'exercer à la description précise, à rechercher patiemment l'exactitude du détail vécu. C'est encore lui qui introduisit Maupassant dans la société littéraire de l'époque, qui lui fit connaître Alphonse Daudet, Joris-Karl Huysmans, Émile Zola, Ivan Tourgueniev, et le présenta chez la princesse Mathilde Bonaparte.
Grâce à cette protection et à ces amitiés, Maupassant commença à collaborer à divers journaux : Le Gaulois et Gil Blas notamment. Cette activité de chroniqueur fut extrêmement importante. Maupassant n'a pas écrit moins de trois volumes de chroniques (encore toutes ne furent-elles pas publiées) sur les sujets les plus divers : littérature, vie sociale, événements politiques (ses écrits sur l'Algérie sont d'une grande perspicacité). Certaines des idées agitées dans ces pages furent assez souvent reprises dans les contes ou les romans, de sorte qu'on a pu dire à juste titre qu'elles constituaient un « laboratoire d'écriture ». Cette expérience de la vie des salles de rédaction, il en tira profit dans Bel-Ami (1885).
À cette époque, il pensait cependant avoir une vocation de poète, dans laquelle Flaubert l'encourageait d'ailleurs, et les nombreux vers qu'il composa de 1872 à 1880 lui fournirent la matière de son premier livre, Des vers (1880), qui s'ouvre sur une fervente dédicace au maître de Croisset. Cette œuvre, trop délaissée en dehors de quelques morceaux d'anthologie (Nuit de neige), mérite cependant l'attention. Maupassant y apparaît comme l'un des rares, sinon le seul, représentant du naturalisme en poésie. En même temps, il se livrait à divers essais de théâtre, représentés en privé dans sa propriété d'Étretat ou dans des salons parisiens amis. Même si ses œuvres (La Paix du ménage, Musotte, Une répétition. Histoire du vieux temps) n'ont pas toujours rencontré le succès escompté, Maupassant a, sa vie durant, gardé un faible pour le genre dramatique. L'adaptation théâtrale, cinématographique ou audiovisuelle de plusieurs de ses nouvelles le prouve.
Ce n'est guère que vers 1875 qu'il s'orienta vers la nouvelle. Il travailla d'abord pendant quelque temps à un roman historique, qui fut abandonné, puis, pendant l'été de 1879, au cours d'une réunion chez Maupassant, fut décidée la publication du fameux recueil des Soirées de Médan (1880), auquel il apporta sa nouvelle Boule de Suif. Le grand succès de cette œuvre le décida à se mettre en congé du ministère (qu'il ne quittera officiellement qu'en 1882) et, dès lors, jusqu'au moment où la maladie ne lui laissera plus de répit, il n'allait plus vivre que pour ses livres.
Devenu très rapidement un écrivain à la mode, il se vit sollicité par les salons, mais il leur résista farouchement, car il y avait en lui un profond dégoût de la vie mondaine qui lui a inspiré son roman Notre cœur ( 1890). Son travail n'était pas distrait par les passions. Il eut des liaisons, courtes, nombreuses, mais il n'a jamais rencontré un autre amour que l'amour physique, ou du moins, s'il exista, comme c'est vraisemblable, lui et ses survivants prirent grand soin d'en masquer l'existence. Il fut, comme l'a dit Edmond de Goncourt, le « véritable homme de lettres », mais dans le meilleur sens du mot, dans sa plus totale exigence. Il refusait la réclame facile, il cachait sa vie, allait même jusqu'à interdire qu'on publiât des portraits de lui, s'indignait lorsqu'il voyait livrées à la curiosité publique les correspondances privées des grands écrivains, et tenait qu'un artiste digne de ce nom ne doit compter pour s'imposer que sur son œuvre.
Il restait fidèle avec intransigeance à l'éthique littéraire de son maître Gustave Flaubert qu'il avait perdu en 1880, au moment où commençait sa véritable carrière. Celle-ci fut d'une fécondité prodigieuse. En dix ans, de 1880 à 1890, Guy de Maupassant publia régulièrement trois, et parfois quatre et cinq volumes chaque année, au total six romans, seize volumes de nouvelles, trois livres de voyage et de très nombreux articles dans les journaux et les revues.
Voyant le succès obtenu par Boule de Suif, il avait immédiatement abandonné ses projets de poèmes et, puisant soit dans les souvenirs de son enfance normande, soit dans ses premières expériences de la vie parisienne, utilisant souvent avec une féroce exactitude des faits divers qui lui avaient été contés par des amis d'Étretat, d'Yvetot ou de Fécamp, il écrivit les huit nouvelles qui parurent en 1881 avec La Maison Tellier.
Le succès fut immense et, l'année suivante, Maupassant écrivait Mademoiselle Fifi (1882), inspirée comme Boule de Suif par la guerre de 1870. À l'inspiration normande, dominante chez Maupassant jusqu'à 1885, se rattachent en particulier : Une vie (1883), qui fut son premier roman, Les Contes de la bécasse (1883), Clair de lune (1884), Les Sœurs Rondoli ( 1884), La Bête à Maît'Belhomme ( 1886). Mais, parmi son abondante production, dans ces années de maturité pendant lesquelles l'auteur jouissait encore de toute sa santé, il faut également citer : Mon oncle Jules (1884), Miss Hariett, Les Contes du jour et de la nuit (1885), Yvette (1885), Toine (1885), Bel-Ami (1885), Monsieur Parent (1885), La Petite Roque (1886), Pierre et Jean (1888), La Main gauche (1889), etc.
Maupassant était maintenant célèbre. Sans transiger en rien avec son idéal littéraire, il avait toujours pensé qu'il était juste que son œuvre lui apportât l'aisance et même la richesse. Il surveillait de très près ses droits d'auteur, les bénéfices de ses traductions, les chiffres de tirage des rééditions, et bientôt fut à la tête d'une des plus grandes fortunes du monde littéraire de l'époque.
Toujours attiré par sa terre natale, il se fit construire à Étretat une jolie villa et venait très souvent en Normandie, soit pour travailler dans un isolement farouche, soit pour chasser (c'était chez lui une passion dont on trouve les échos dans Les Contes de la bécasse). Poussé par un mystérieux besoin de fuite qui augmenta avec les années et où l'on peut voir un des premiers signes de sa maladie mentale, il entreprit également des voyages plus lointains en Corse (1880), en Algérie (1881), en Bretagne (1882), en Italie et en Sicile (1885), en Angleterre (1886), en Tunisie (1888-89), dont il rapporta de passionnantes impressions recueillies dans les volumes intitulés Au soleil (1884), Sur l'eau (1888) et La Vie errante (1890). Rappelons enfin que c'est un séjour en Auvergne, pendant l'été 1885, qui lui donna le cadre de son roman Mont-Oriol ( 1887).
Les premiers malaises nerveux de Guy de Maupassant, qui n'apparurent pas avant 1885, causèrent une vive surprise chez les amis de jeunesse de l'écrivain qui se rappelaient le robuste garçon qu'il avait été, à l'allure même un peu paysanne, amoureux de grand air et fervent adepte de l'aviron. Cependant, même à l'époque où il semblait en pleine santé, Maupassant vivait, au moindre malaise, dans une inquiétude extrême et traversait de fréquentes crises de découragement qu'il confia à plusieurs reprises à Flaubert. Il n'est pas douteux qu'il portait la fatalité d'une dangereuse hérédité. Son frère Hervé n'est-il pas lui aussi mort fou, à trente-trois ans ? Il était d'autre part extrêmement surmené : par son travail incessant, par ses excès de toute sorte, cette sensualité à l'avidité impitoyable qui tint plus de place encore dans sa vie que dans son œuvre ; surmené enfin par les drogues, éther, morphine, haschich, qu'il se mit très vite à absorber dans l'espoir de calmer ses terribles névralgies.
L'apparition des troubles proprement physiques fut précédée par une inquiétude et une tristesse croissantes, mais déjà très nettes dans Fort comme la mort (1889), par un besoin presque maniaque de solitude, par un effort panique devant la monotonie de l'existence, par une obsession de plus en plus harcelante de la maladie et de la mort. Bientôt, c'est la personnalité elle-même qui fut atteinte. Maupassant commença d'être victime d'hallucinations, de dédoublements, il croyait sentir auprès de lui des êtres mystérieux et menaçants. Il réussissait cependant à surmonter son angoisse et à créer des œuvres d'un fantastique nouveau où la pathologie tient un rôle important, mais sans lien avec sa propre maladie. Par exemple : Lui ? (une des nouvelles des Sœurs Rondoli), Qui sait ? , une des nouvelles de L'Inutile Beauté (1890) et, d'une manière plus complète et plus poignante encore, Le Horla (1887). Dans ce dernier conte et dans plusieurs autres (Lui ?, Qui sait ?, La Chevelure), Maupassant fait usage d'un fantastique en partie hérité de la lecture de Tourgueniev et fondé sur l'angoisse intérieure et le dérèglement des perceptions sensorielles.
Vers 1889, ses amis s'aperçurent d'un net changement de son état physique. Le visage devenait décharné, le regard fixe, et Maupassant commençait à tenir des propos incohérents. Il ne cessait plus de lire des ouvrages médicaux, entretenait gravement ses amis de la menace des microbes, ingurgitait toutes sortes de remèdes, ne dormait plus, se croyait visité la nuit par son double, etc. Son caractère devenait irritable. Dans sa manie de la persécution, il s'en prenait tantôt à son éditeur, tantôt aux journaux, tantôt à son propriétaire qu'il rendait responsable de ses insomnies, et plus souvent encore à ses médecins. Ceux-ci lui cachaient la gravité de son état et l'envoyaient faire des cures dans les Alpes et sur la Côte d'Azur.
Après avoir caressé quelques espoirs de guérison, Guy de Maupassant, vers la fin de l'année 1891, se rendit compte qu'il allait inéluctablement vers la folie. Le 1er janvier 1892, après avoir rendu visite à sa mère établie à Nice depuis plusieurs années, il s'ouvrit la gorge avec un coupe-papier en métal, mais ne se fit qu'une blessure sans gravité. Ses amis le ramenèrent à Paris. On l'interna à la maison Blanche où il devait mourir le 6 juillet 1893, à l'âge de 42 ans, après dix-huit mois d'inconscience à peu près totale, coupée de crises qui obligeaient parfois les infirmiers à lui passer la camisole de force.
Maître français incontesté de la nouvelle (il en écrivit plus de deux cent soixante), pour rester fidèle à l'idéal d'attachement intransigeant à la réalité, il n'a pas été encombré, comme Émile Zola, par des aspirations sociales humanitaires. Chantre de la sensation, il s'apparente souvent aux impressionnistes, à Claude Monet notamment, qu'il avait vu peindre du côté d'Étretat et qu'il évoque dans une de ses chroniques. Disciple de Flaubert, il est exigeant sur son style qu'il veut d'une telle simplicité qu'on a pu la confondre avec de la platitude ou de la banalité. C'est que, par une rhétorique savante — toute d'illusion —, Maupassant sait rendre la grisaille dont s'enveloppe souvent la vie humaine. Il sait en peindre les pulsions irraisonnées et inquiétantes, les déviations, les courts bonheurs comme les grandes misères. Il sait dire surtout qu'il n'existe pas, à ses yeux, d'espoir ni d'au-delà pour l'homme. Pessimisme foncier que tempère une grande pitié devant les misères de notre condition. Cette lucidité, autant que son génie de styliste, expliquent son immense influence et font de lui le représentant le plus accompli et le plus durable de l'école naturaliste.
Louis Forestier,
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