Paul Nizan

Biographie
Paul Nizan
Paul Nizan

Écrivain français, Paul Nizan est né le 07 février 1905 à Tours d'un père cheminot, petit-fils de métayer.

Il passe son enfance à Tours puis suit des études au lycée Henri-IV, à Paris. Comme Jean-Paul Sartre, son condisciple avec qui il se lie d'amitié, il entre à l'École Normale Supérieure, où il passe l'agrégation de philosophie. Ces années d'École sont marquées par un malaise existentiel, des incertitudes politiques et une remise en cause assez virulente du milieu dans lequel il évolue et de la société dans son ensemble; elles fournissent la matière de La Conspiration.

Son voyage à Aden (Yemen), en 1926-1927, lui permet de se soustraire à l'étouffement ressenti dans le petit monde du Ve arrondissement universitaire et intellectuel. Toutefois, ce départ, qu'il qualifia lui-même d'"enfant de la peur", ne saurait être confondu avec quelque fuite rimbaldienne; la fallacieuse liberté des voyageurs est au contraire dénoncée: "fuir, toujours fuir, pour ne plus penser que vous êtes mutilés ?"

Il retrouve à Aden l'Europe qu'il espérait quitter, condensée dans une société coloniale dont il dénoncera la sclérose et le scandale dans Aden Arabie (1931). De retour à Paris, son activité se partage entre plusieurs revues (Bifur, entre 1929 et 1931, qui s'intéresse à James Joyce, Edgar Varèse, Michel Leiris, La Revue marxiste d'Henri Lefebvre).

Paul Nizan adhère au parti communiste en 1927. À partir de là, son engagement sera total, jusqu'à la signature du pacte germano-soviétique. Il milite au plus près de la base; son action dans la ville de Bourg-en-Bresse, où il enseigne la philosophie en 1931-1932, lui vaut d'être renvoyé du lycée. En 1934, pour participer au Congrès international des écrivains soviétiques il accomplit un voyage en URSS et réside avec sa femme à Moscou. C'est au Tadjikistan qu'il entreprend la rédaction du Cheval de Troie.

Nizan collabore également à de nombreux journaux (Monde, dirigé par Henri Barbusse, Europe, par Jean Guéhenno), puis à L'Humanité à partir de 1932 et à Ce soir, fondé en 1937. Dans ces deux quotidiens, il est chargé de la politique internationale: la guerre d'Espagne puis la montée de la guerre (en particulier les accords de Munich qu'il analyse dans sa Chronique de septembre, 1939) retiennent son attention.

Cet engagement sans réserve et son extrême vigilance envers les événements diplomatiques internationaux expliquent le coup de tonnerre que fut pour lui l'annonce de la signature du pacte germano-soviétique; il quitte le parti, avant que celui-ci ne soit interdit. Cette prise de distance lui vaudra une longue haine de la part de ses anciens amis, qui l'assimilent sans réserve aux traîtres qui ont si souvent hanté son oeuvre.

Mobilisé en 1939, il réfléchit longuement sur les conséquences de ce pacte et sur le sens de son engagement politique, dont rend compte sa correspondance; il est victime de la "drôle de guerre" en 1940.

Toute entière placée sous le signe du politique et de l'engagement, l'oeuvre de Paul Nizan conjoint indissolublement fiction et action, invention et révolution. Dès son premier essai autobiographique, Aden Arabie, publié en 1931, le cri est jeté: "J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie." Il raconte ses désillusions, dénonçant l'inauthenticité de l'existence confortable, l'illusion de l'exotisme et l'exploitation capitaliste des colonies. Il fait d'Aden un lieu vide, habité par des caricatures de bourgeois désoeuvrés: "Pas une miette de réalité, pas une démarche qui pût aboutir à quelque chose. Un ennui inefficace parmi les compagnons habitués par le temps à tout ce qui n'existe pas." Le pamphlet a pour cible principale Homo economicus, "animal content de son économie du profit supplémentaire". L'authenticité de l'attachement à la terre est revendiquée: Nizan cherche à retrouver, par-delà la génération du père, un héritage tolérable, celui du grand-père métayer: "je suis un Français paysan". Itinéraire spirituel, livre d'éducation politique, Aden Arabie, déjà profondément marqué par la culture classique de son auteur, est aussi un cri de révolte contre la trahison, celle des clercs, qu'à l'inverse de Julien Benda, il voit refuser de se salir les mains et s'intéresser au monde réel. À l'horizon de la France, symbolisé négativement par la prison du Château d'If et Notre-Dame de la Garde, "les deux objets les plus révoltants de la terre, une église et une prison", Nizan envisage encore pourtant une forme d'humanisme: "L'homme attend l'homme, c'est même sa seule préoccupation intelligente."

L'oeuvre pamphlétaire se poursuit avec Les Chiens de garde (1932), un pamphlet impitoyable contre les philosophes académiques de la Troisième République, notamment Brunschwicg. Sa cible principale est la philosophie abstraite et formelle, qui se dresse comme un paravent devant les jeunes gens, refusant d'ouvrir les yeux sur le monde et prenant pour alibi une quête fallacieuse de la vérité. Car c'est à la jeunesse, comme dans son précédent essai, que s'adresse le jeune Nizan: jeunesse qu'il faut ébranler, réveiller, inciter à l'action. Mais dans Les Chiens de garde, la parole menace de s'enliser dans la redite et de manquer d'écho, quelle que soit sa virulence.

Dans son premier roman, Antoine Bloyé (1933), il poursuit sa dénonciation de l'aliénation et de la bourgeoisie. S'ouvrant sur l'évocation de l'enterrement du père, Antoine Bloyé, cette biographie de facture classique retrace l'ascension sociale d'un fils de cheminot et de femme de ménage; empruntant beaucoup à la vie réelle du père de l'auteur, ce livre dresse une généalogie sociale des prises de position politiques et éthiques de Nizan et condense les grands thèmes de sa pensée et de son oeuvre; la trahison y occupe une position centrale: changer de classe, c'est non seulement rompre avec un lieu — avec la terre —, un milieu et une culture, mais aussi trahir les siens et se trahir, en franchissant la ligne qui sépare les oppresseurs et les opprimés. Roman du père, Antoine Bloyé est aussi celui de la vengance du fils, qui dénonce l'existence de ces fonctionnaires "soumis à l'avancement", placés sur les rails d'une carrière qui ne laisse aucun temps à la méditation, au retour sur soi, sur son existence, et moins encore à l'ouverture aux autres. Les désirs de voyages étouffés, les nuits agitées de fantasmes avortés témoignent de l'aliénation d'Antoine Bloyé. L'importance des thèmes de l'héritage et de la lignée apparaît pleinement dans la pause que constitue la naissance de son fils Pierre (peu présent dans le texte), laps de temps pendant lequel la mécanique de la répétition, des gestes, des actions, des préoccupations est interrompue; il délaisse l'usine et le travail pour envisager sa propre mort et considérer son passé: "Antoine pense souvent à sa propre mort, qui viendra, et il contemple ce fils qui n'est rien encore, qui le trahira, qui le détestera peut-être, ou qui mourra — comme la très grande puissance qui le délivrera lui-même, qui le sauvera de la mort." Le monde du travail dessine "l'armature sociale" d'Antoine Bloyé, qui s'élève dans la hiérarchie de la compagnie, au fil des mutations et des déménagements, habite des demeures plus cossues et entre dans une bourgeoisie qu'il adopte, comme on ferait d'un vêtement emprunté. L'évocation des conflits, des relations de pouvoir (entre le chef et ses employés mais aussi entre celui-ci et Huet, ingénieur polytechnicien qui le méprise parce qu'il n'appartient pas au même monde et n'a pas la même culture que lui), la peinture de l'attachement de l'ouvrier à sa machine, sa passion pour son métier et son goût du travail bien fait ancrent le roman dans le XIXe siècle finissant: à bien des égards, le monde peint par Nizan est plus proche de l'univers d'un Émile Zola que du taylorisme moderne. Coupé de ses racines, Antoine Bloyé est soudain reconnu coupable d'une faute qui motive son déplacement: dernier acte du roman, cette chute substitue à la logique de l'ascension et à l'univers du travail, l'errance, le désoeuvrement, et à la satisfaction, même abrutie, donnée par la certitude du travail accompli, l'angoisse morbide, sorte d'aboutissement des nombreux épisodes marqués par la mort.

Le Cheval de Troie (1935) situe l'action dans le monde contemporain, celui de la crise qui conduit les ouvriers au combat et à l'union. Plus optimiste qu'Antoine Bloyé, plus conforme aussi à l'idéologie révolutionnaire du parti communiste, ce roman reste pourtant dans la continuité du précédent. Roman du fils (Pierre Bloyé en est le héros), il en est comme le double positif: la réussite de Pierre s'oppose à l'échec d'Antoine. La satire de la bourgeoisie provinciale, aiguisée par l'ironie de la narration, est manifeste dans l'évocation du personnage morbide de Lange. L'opposition des personnages négatifs (Lange représente la tentation du fascisme) et positifs (Pierre, et surtout Marie-Louise, qui incarne les valeurs de courage, de vertu, de foi en le bonheur) fait de cette oeuvre un roman à thèse qui requiert l'engagement du lecteur et laisse peu de place à l'interprétation.

Le dernier roman de Nizan, La Conspiration (1938) en revient à l'interrogation d'Aden Arabie ("L'homme ne sera-t-il toujours qu'un fragment d'homme, aliéné, mutilé, étranger à lui-même ?") et aux imprécations à la jeunesse; mais à la thèse développée dans le premier essai fait place désormais une écriture polyphonique qui accorde la première place aux personnages. En rupture avec le classicisme d'Antoine Bloyé, la narration est fragmentaire et hétérogène: récit autobiographique, récit intime, correspondance font varier les voix narratives et les points de vue et impliquent que le lecteur articule et recompose les divers éléments du puzzle. La trahison, incarnée par Pluvinage, est au coeur de l'oeuvre dont l'originalité tient à la peinture d'une jeunesse avide et aveugle; la réflexion sur les limites de l'engagement et sur les relations de pouvoir inhérentes à l'amitié qui lie les jeunes gens fait l'intérêt de ce roman aigu, alliant la violence et l'ironie.

Paul Nizan est mort sur le front, à Audruicq, dans le Pas-de-Calais, le 23 mai 1940, à l'âge de 35 ans.

Il laisse une oeuvre inachevée, mais d'une grande cohérence, qui ne sera redécouverte qu'après un moment de purgatoire, en 1960, date à laquelle Jean-Paul Sartre donne un Avant-propos à la réédition d'Aden Arabie. Ce regain d'intérêt est sans doute dû à l'exigence éthique qu'elle porte et à la violence de la révolte qu'elle exprime. Mais les hommes de l'après-guerre, comme l'écrit Sartre, ne souhaitaient pas entendre la voix de ce trouble-fête, "qui n'avait rien à leur dire: il parlait peu de la condition de l'homme, beaucoup des choses sociales et de nos aliénations; il connaissait la terreur et la hargne plutôt que les douceurs du désespoir. On garda son livre pour le temps de vaches maigres, et l'on fit bien."

La réédition de ses principaux livres, objets d'études littéraires, mais aussi politiques et historiques, a conduit à sa lente réhabilitation par le parti communiste et ont permis qu'on s'intéresse à ses écrits journalistiques (il est l'auteur de cent soixante chroniques littéraires, une trentaine d'articles politiques, sans compter ses contributions pour L'Humanité), à ses traductions (de Karl Marx, mais aussi d'Aristophane et des matérialistes de l'Antiquité) et à ses contes (Hécate ou la méprise sentimentale, 1923; Histoire de Thésée, 1937).

Après une longue occultation, Paul Nizan apparaît aujourd'hui comme un intellectuel communiste qui a subi les "conséquences de son refus" et comme une figure importante de la littérature de l'entre-deux-guerres. Ses livres sont militants et visent à montrer les aliénations multiples de l'univers capitaliste, mais ce propos avoué n'ôte rien à leur vigueur et à leur jeunesse littéraire. Brillante, parfois imparfaite, mais acerbe, lucide et passionnée, son oeuvre constitue un témoignage irremplaçable sur la vie intellectuelle, sociale et politique de cette période. Elle est l'un des rares exemples en France, après Jules Vallès, de romans politiques de qualité.

Nathalie Piégay,

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Paris, mercredi 24 avril 2024