Écrivain français, Guillaume Apollinaire — pseudonyme de Guillaume Albert Wladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky — est est né à Rome (Italie) le 26 août 1880.
Il porte le nom de sa mère, issue de l'aristocratie polonaise. Le père présumé serait Francesco Fluigi d'Aspermont, camérier du pape. Angélique de Kostrowitzky ne reconnaît son fils qu'à son baptême, le 29 septembre 1880. Le secret de cette naissance, dont on ignore s'il lui a jamais été dévoilé, pèsera sur la vie d'Apollinaire, qui saura transformer en vertu créatrice l'incertitude qui l'habite.
Wilhelm — c'est ainsi que l'appellent ses proches — passe les six premières années de sa vie en Italie, présente dans son oeuvre par ses images, sa culture et une certaine connaissance de la langue. Sa mère, en quête d'argent et d'aventures, s'installe dans la principauté de Monaco en 1887, avec ses deux enfants, un second fils, Albert, étant né dans l'intervalle, également de père inconnu.
Interne au collège Saint-Charles jusqu'à sa fermeture en 1895, Guillaume y fait de bonnes études et montre un penchant pour les matières littéraires et artistiques; il participe avec ferveur à la vie religieuse de l'établissement. Sa scolarité se poursuit à Saint-Stanislas de Cannes, puis au lycée de Nice. Ayant échoué en juillet 1897 à l'oral du baccalauréat, il ne se représente pas en septembre. Il lit beaucoup, écrit et dessine, se passionne pour les intellectuels anarchistes et manifeste des sentiments dreyfusards et anarchisants dont plusieurs écrits de jeunesse (poèmes et carnets) portent la trace. Il sait déjà qu'il sera écrivain et propose vainement ses premières offres de service comme journaliste.
En avril 1899, Mme de Kostrowitzky s'installe à Paris avec ses fils et son ami, Jules Weil, de onze ans plus jeune qu'elle, qui restera son compagnon jusqu'à sa mort en 1919. De juillet à septembre 1899, tandis que leur mère vit à Spa, où elle cherche à se refaire une fortune, Wilhelm et Albert ont pris pension à Stavelot, petite ville des Ardennes belges. Wilhelm s'éprend de Mareye Dubois, la fille d'un cafetier, qui lui inspire plusieurs poèmes, et d'une région qu'il découvre avec émerveillement au cours de longues promenades à pied avec son frère. Les Fagnes et l'Herzogenwald, le parler et le folklore wallons vont nourrir poèmes et nouvelles. À Stavelot encore, il élabore la première version de L'Enchanteur pourrissant (1909). À tous égards, ce séjour, relativement bref, constitue un moment capital dans son itinéraire sentimental et poétique.
Revenu à Paris au début d'octobre, il suit des cours de sténographie, travaille dans diverses officines financières, sert de "nègre" au feuilletoniste Henri Desnar pour son roman Que faire ?, fréquente la bibliothèque Mazarine. Par l'entremise de son ami René Nicosia, employé de banque comme lui, il est engagé comme précepteur de la fille de la vicomtesse Elinor de Milhau, née Hölterhoff, qu'il accompagne pour un an, à partir d'août 1901, dans ses propriétés de Rhénanie. Très vite, il tombe amoureux de la jeune gouvernante anglaise, Annie Playden, dont les sentiments resteront contrastés au long d'une aventure prolongée jusqu'en 1904: La Chanson du mal-aimé, née de cette passion brisée, ne paraîtra dans Le Mercure de France qu'en 1909.
Le pseudonyme de "Guillaume Apollinaire" apparaît pour la première fois dans l'hebdomadaire satirique montmartrois Tabarin, auquel il collabore régulièrement jusqu'en 1902. Variant les pseudonymes, il y donne des reportages germanophobes, des articles politiques et polémiques, des poèmes. De février à mai 1902, libéré de sa charge de précepteur, il fait un voyage en Allemagne, en Autriche-Hongrie, jusqu'à Prague. Le souvenir de ce voyage nourrira plusieurs nouvelles de L'Hérésiarque et Cie.
Désespéré de n'avoir pu conquérir Annie, Apollinaire rentre à Paris en octobre. Il occupe un modeste emploi bancaire pour étoffer les maigres revenus tirés de ses collaborations à divers périodiques: à la très ouverte Revue blanche, où il donne des nouvelles, à L'Européen, "courrier international hebdomadaire", où il multiplie chroniques diverses, notes d'information et échos — forme journalistique de prédilection —, à La Grande France, ouverte aux questions européennes et coloniales.
Aux soirées organisées par la revue La Plume, qui accueillera bientôt sa poésie, il rencontre Alfred Jarry, André Salmon et, fort de quelques autres amitiés, il fonde en novembre 1903 sa première revue, Le Festin d'Esope, qui survivra jusqu'au neuvième numéro d'août 1904. La Revue immoraliste, créée l'année suivante, aura une existence plus brève encore, devenant Les Lettres modernes dès son second et dernier numéro.
Bientôt, il se lie d'amitié avec Max Jacob et rencontre grâce à lui Pablo Picasso, dont il suivra le trajet esthétique avec une attention fascinée. Il sera l'un des premiers à parler de lui dans la presse et, au plus fort de la "bataille" cubiste, à prendre sa défense. Le vide affectif dans lequel il se trouve alors coïncide avec une période de stérilité qui ne s'achève qu'en mai 1907, lorsqu'il rencontre Marie Laurencin. Il vient de quitter le domicile maternel au Vésinet pour s'installer à Paris dans un petit appartement. Il multiplie les collaborations occasionnelles aux journaux et ne trouve un travail régulier qu'à partir de mars 1908 à La Phalange, où il tient la chronique des romans jusqu'en avril 1909. En mars encore, il prononce au Salon des Indépendants une conférence sur La Phalange nouvelle (1909), où il évoque avec sympathie la nouvelle génération poétique.
Illustré par André Derain, L'Enchanteur pourrissant, son premier livre tiré à cent exemplaires et imprimé pour Henry Kahnweiler par Paul Birault, paraît en novembre 1909. Apollinaire reprend la légende médiévale de Merlin, victime du piège de la fée Viviane qui a fait entrer l'enchanteur dans un cercueil où repose désormais son cadavre tandis que son âme continue à vivre. Dans ce livre complexe apparaissent déjà les germes de l'oeuvre future et se trouve posée, dans le foisonnement baroque d'une dramaturgie où circulent animaux fabuleux, personnages empruntés à diverses mythologies, monstres hérités du Moyen-Âge, la question désespérée de l'amour, qui ne cessera d'habiter Apollinaire. Le livre fascine par la puissance de ses images, qualifiées parfois de pré-surréalistes, qui s'épanouissent dans le chapitre final, "Onirocritique", où le poète affirme sa certitude d'une victoire définitive de la poésie sur le temps et la mort.
L'année 1910 marque un tournant. Plusieurs collaborations régulières font de lui désormais un journaliste à part entière: échotier à Paris-Journal, chargé de la critique d'art à L'Intransigeant, il tient au même moment, sous le pseudonyme de Polyglotte, la "Revue des revues" dans La Démocratie sociale, hebdomadaire radical-socialiste. Il collabore régulièrement à la "Bibliothèque des curieux", éditant une trentaine d'anthologies de textes libertins. Il avait projeté de réunir ses notices dans un livre, finalement publié après sa mort (Les Diables amoureux, 1964). Présentant L'Arétin, Sade, Nerciat, Crébillon ou Mirabeau, Apollinaire montre, en même temps qu'une érudition souriante, un vrai talent de découvreur dans cette littérature. En 1913, il dressera avec Fernand Fleuret et Louis Perceau le catalogue de L'Enfer de la Bibliothèque nationale. Son penchant pour l'érotisme se manifeste aussi dans les deux romans publiés sous le manteau, Les Onze mille verges (1907) et Les Exploits d'un jeune Don Juan (1911), devenus des classiques du genre, et dans romans historiques scabreux et humoristiques, La Rome des Borgia (1913), La Fin de Babylone (1914), Les Trois don Juan (1914).
À l'automne 1910, appuyé par Élémir Bourges, L'Hérésiarque et Cie figure dans la course au Prix Goncourt et consacre Guillaume Apollinaire aux yeux du grand public. Le livre rassemble vingt-trois nouvelles déjà publiées pour la plupart dans des périodiques. Personnages pittoresques, érudition, imagination fantastique caractérisent cette oeuvre à laquelle la presse fit un accueil assez favorable. Les chroniqueurs soulignent le caractère hétéroclite de l'ensemble, que le titre feint d'accréditer. Mais l'unité de l'ouvrage se décèle dans ce jeu du vrai et du faux, déjà présent dans L'Enchanteur pourrissant et sensible par la suite dans Le Poète assassiné (1916) et dans La Femme assise (1920, édition posthume, un roman inachevé nourri d'éléments disparates en partie autobiographiques).
En 1911 paraît, orné de bois de Raoul Dufy, Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée. Sous le couvert d'un genre traditionnel, se révèlent le mal d'aimer et la souffrance du poète, tempérés par la tendresse et par l'humour. Tiré à cent vingt exemplaires pour bibliophiles, le livre passa presque inaperçu contrairement à la première livraison de "La Vie anecdotique" dans Le Mercure de France, nouvelle rubrique créée par lui et qu'il tiendra du 1er avril 1911 jusqu'à sa mort. Il y invente une formule originale proche de l'écho et de la nouvelle à la main, mais chargée d'une poésie de la vie saisie dans son instantanéité: individus hors du commun, petits faits quotidiens, prospectus publicitaires trouvés par hasard, rencontres fortuites dans la rue ou dans les livres, alimentent cette rubrique où Apollinaire montre une grande souplesse d'écriture et affirme, mieux que nulle part ailleurs dans le journalisme, sa liberté de poète.
Alors même que tout semble lui sourire, s'ouvre pour le poète la période la plus sombre de son existence. En août 1911, Géry Pieret, un Belge instable et fantasque qui lui servit un temps de secrétaire, dérobe au Louvre une petite sculpture ibérique (ou phénicienne) qu'il cache chez Apollinaire tandis que le vol de la Joconde, le 21 août, fait la une de la presse. Apollinaire s'affole quand il découvre la provenance de l'objet et le restitue par l'intermédiaire de Paris-Journal. Inculpé de recel le 7 septembre, il est incarcéré à la Santé. Soutenu par une pétition, il est libéré cinq jours plus tard après avoir été mis hors de cause, mais l'affaire laissera des blessures mal cicatrisées, au souvenir notamment des menaces d'expulsion et des attaques xénophobes dont il fut alors victime. Dans le même temps, ses relations avec Marie Laurencin se dégradent et la rupture, qui a lieu en juin 1912, le laisse profondément désemparé.
Au cours d'un séjour dans le Jura, en octobre 1912, il lit à Gabrielle Buffet, Francis Picabia et Marcel Duchamp, Zone, le poème qu'il placera en tête d'Alcools (1913). Il entend ainsi fonder la modernité de son livre, que signalent aussi la suppression de toute ponctuation sur les dernières épreuves en novembre 1912, le changement du titre prévu, Eau de vie, en Alcools et la présence du portrait cubiste de l'auteur par Picasso en frontispice.
Alcools, qui recueille des poèmes écrits entre 1898 et 1913, porte la marque d'une gestation longue et complexe. Un premier projet annoncé dès 1904 devait réunir les poèmes rhénans sous le titre Le Vent du Rhin; en 1905, un autre projet joignait à cet ensemble La Chanson du mal-aimé, elle-même devenue Le Roman du mal-aimé en 1908. Plusieurs influences se laissent déceler dans ce livre: classicisme de Jean Moréas, unanimisme de Jules Romains, modernisme. Le symbolisme, dont Apollinaire essaie très tôt de se dégager, imprègne les poèmes les plus anciens: L'Ermite, Le Larron, Merlin et la vieille femme. Mais la force d'Alcools est de faire entendre un son de voix unique en dépit de sa genèse et de sa composition. Y voisinent poèmes de jeunesse (ou pièces résultant d'un travail de réduction, de collage ou de montage de poèmes anciens) et poèmes inspirés d'événements récents. Apollinaire recourt aux techniques les plus variées: des poèmes strophes en alexandrins ou en quintils d'octosyllabes aux poèmes en vers libres de la suite des Fiançailles, en passant par la prose déguisée en poème de La Maison des morts. Le poète fut accusé de mystification et sa poésie, qualifiée de bizarre, érudite, disparate. Georges Duhamel, dans Le Mercure de France (juin 1913), résume ces critiques en une formule assassine: une "boutique de brocanteur". Peu de lecteurs ont alors compris que ce livre allait orienter la poésie à venir.
L'année 1913 est déterminante pour Apollinaire. Il s'installe début janvier dans un appartement du 202 boulevard Saint-Germain, où il s'éteindra cinq ans plus tard, et il publie en mars Les Peintres cubistes, Méditations esthétiques (Figuière, 1913), où se trouvent réunies plusieurs de ses chroniques d'art. Inversant le titre et le sous-titre prévus par l'auteur, l'éditeur souligne l'actualité de cet ouvrage de réflexion sur la peinture nouvelle, non seulement les cubistes, mais le Douanier Rousseau et Marie Laurencin. Dépassant l'objectif critique qui avait été celui de la chronique d'art, le livre apparaît comme un véritable "poème sur la peinture".
La même année, Apollinaire écrit un manifeste, L'Anti-tradition futuriste, synthèse diversement accueillie: adhésion enthousiaste au futurisme pour les uns, mise à mort burlesque pour les autres, cette oeuvre en forme de tract accumule provocations gratuites et louanges excessives sans toujours se référer aux thèses de Marinetti. Avec le peintre Serge Férat, il prend la direction des Soirées de Paris, revue fondée en 1912 par ses amis André Billy, André Salmon, André Tudesq et René Dalize, qui, sous son impulsion, s'ouvre plus largement désormais à l'art moderne. Une chronique cinématographique y apparaît, des reproductions d'oeuvres de Francis Picabia, Georges Braque, Henri Matisse, Alexander Archipenko l'enrichissent, et Apollinaire lui-même y publie ses premiers "idéogrammes lyriques", qu'il baptisera bientôt Calligrammes.
À l'annonce de la mobilisation, Apollinaire revient précipitamment de Deauville où il effectuait pour Comoedia un reportage anecdotique que le dessinateur André Rouveyre devait illustrer. Dès lors et pendant toute la durée de la guerre, sa conduite sera dictée par le souci de se faire reconnaître comme Français à part entière. La nationalité française lui sera finalement accordée le 9 mars 1916. Sa demande d'engagement n'ayant pas été acceptée, il gagne Nice où il rencontre Louise de Coligny-Châtillon (Lou). Leur aventure orageuse se poursuit avec des fortunes diverses jusqu'en mars 1915 et donne lieu à une correspondance (Lettres à Lou, édition posthume, 1969).
Entre-temps, en novembre, une nouvelle demande d'engagement ayant abouti, il effectue ses classes à Nîmes, au 38e régiment d'artillerie de campagne et suit le peloton d'élèves-brigadiers. Le 4 avril, il rejoint la 45e batterie de son régiment sur le front champenois. Successivement brigadier, maréchal des logis, puis sous-lieutenant lorsque, sur sa demande, il passe en novembre 1915 dans l'infanterie, Apollinaire oppose à une attitude extérieure d'engagement à outrance une extraordinaire résistance intérieure qui lui permet, avec l'aide de l'amour retrouvé et d'innombrables correspondances, d'exorciser l'horreur de la guerre. L'amour est celui qu'il partage avec Madeleine Pagès, une jeune Française d'Oran, rencontrée en janvier 1915 dans le train qui le ramenait de Nice à Nîmes après une permission près de Lou. Apollinaire se confie à sa fiancée d'Oran, parle de son passé, de sa poétique, de ses projets tout en poursuivant l'initiation amoureuse de la jeune fille.
Blessé à la tête d'un éclat d'obus le 17 mars, près de Berry-au-Bac, il est hospitalisé le 6 avril à l'hôpital italien du quai d'Orsay, où il subit, le 9 mai, une trépanation. En octobre paraît Le Poète assassiné, son second grand recueil de nouvelles, prêt avant la guerre et complété simplement par la dernière nouvelle, "Cas du brigadier masqué c'est-à-dire le poète ressuscité". La première nouvelle, sorte de roman bref, avec ses dix-huit chapitres, donne son titre à l'ensemble et se présente comme l'autobiographie rêvée du poète. D'autres nouvelles, "Le Roi-lune", où passe l'image de Louis II de Bavière, double angoissant du poète, "Giovanni Moroni", tout rempli des souvenirs de son enfance italienne, relèvent du même projet.
L'année 1916 s'achève par un banquet donné en l'honneur d'Apollinaire par un groupe d'amis et de jeunes poètes qui reconnaissent en lui un maître et un guide. Il ne récusera nullement cette double fonction. Il accueille auprès de lui, notamment lors de rencontres hebdomadaires au café de Flore, les écrivains et les artistes de la nouvelle génération: Blaise Cendrars, qui le fréquente depuis 1912, Jean Cocteau, Pierre Reverdy ainsi que les futurs surréalistes: André Breton, Louis Aragon, philippe Soupault. Il fait représenter le 24 juin 1917 son "drame surréaliste", Les Mamelles de Tirésias, où le thème patriotique de la repopulation cohabite avec une dramaturgie d'avant-garde sur le ton de la farce aristophanesque. Dans une conférence prononcée au Vieux-Colombier en novembre 1917, L'esprit nouveau et les poètes, il exalte l'imagination créatrice et préconise l'esthétique de la surprise tout en se réclamant des valeurs de l'humanisme classique.
Guillaume Apollinaire déploie une activité considérable dans les deux dernières années de sa vie. A côté de ses fonctions au ministère de la Guerre, puis au ministère des Colonies, son activité journalistique est plus intense que jamais. Outre sa "Vie anecdotique", il tient plusieurs rubriques d'échos: au Mercure de France, à L'Europe nouvelle, à partir de mai 1918, et au quotidien Excelsior à partir du mois de septembre. Une plaquette de vers illustrée par Rouveyre, Vitam impendere amori, paraît en novembre 1917 et le 15 avril 1918, son second grand livre de poèmes, Calligrammes.
Alors que le recueil Alcools est hanté par le temps et sa difficile maîtrise, Calligrammes, sous-titré poèmes de la paix et de la guerre (1913-1918), est placé sous le signe de l'espace, celui de la page, occupée de façon inhabituelle, et celui de la guerre, présente dans cinq des six sections du livre. Dans la première, "Ondes", qui réunit les "poèmes de la paix", apparaissent les innovations les plus audacieuses: les calligrammes proprement dits, poèmes en forme de dessins, concrets ou figuratifs pour la plupart ("La cravate et la montre"), à la limite de l'abstraction parfois ("Lettre-océan") et les poèmes-conversations, saisie d'éléments familiers (phrases, mots) issus du quotidien. "Ondes" est le lieu où se célèbrent les noces de la peinture moderne (celle de Robert Delaunay, de Marc Chagall, de Pablo Picasso) avec la poésie, à travers cette "musique des formes" qui se donne à lire et à voir, non seulement dans les calligrammes, mais encore dans ces grands poèmes que sont "Le musicien de Saint-Merry" ou "Un fantôme de nuées". La même forme calligrammatique apparaît encore, éparpillée, dans les "poèmes de la guerre", ordonnés à peu près selon la chronologie de la vie du soldat Apollinaire, depuis son engagement, "Étendards", jusqu'à sa blessure, "La tête étoilée". Le recueil laisse entendre aussi la voix prophétique d'Apollinaire dans "Les collines", "La victoire", "La jolie rousse" enfin, considéré comme son testament poétique.
Pendant la permission qu'il passe en Bretagne, en août 1918, Apollinaire travaille au livret d'un opéra bouffe, Casanova, ainsi qu'à une autre pièce, Couleur du temps, représentée quinze jours après sa mort, et à d'autres projets encore mal connus. Il ne verra pas la sortie du livre qui réunit les meilleures de ses chroniques journalistiques, Le Flâneur des deux rives, promenades dans un Paris insolite et familier. Affaibli par les séquelles de sa blessure et celles d'une congestion pulmonaire qui l'avait frappé au début de l'année 1918 des suites des gaz asphyxiants inhalés sur le front, il est victime de l'épidémie de grippe espagnole qui fait des ravages en cet automne où la guerre va s'achever, et il s'éteint à Paris dans l'après-midi du 9 novembre 1918 sans avoir pu connaître l'annonce officielle de l'armistice. Ses obsèques ont lieu le 13 novembre à Saint-Thomas d'Aquin, l'église où il avait épousé six mois plus tôt Jacqueline Kolb, "la jolie rousse" en qui s'incarnent l'amour et la poésie. Et le dernier mot de sa poétique est encore d'incertitude. Placé entre "Ordre et aventure", le poète ne choisit pas. Cette hésitation entre souvenir et avenir le caractérise assez bien, depuis sa naissance placée sous le signe d'un secret irrésolu jusqu'à cette mort qui le frappe en plein élan.
Pierre Caizergues,
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