Boris Pasternak

Biographie

Poète et romancier russe, Boris Leonidovitch Pasternak — Boris Leonidovic Pasternak — est né le 10 (29) février 1890 à Moscou.

Il est le fils aîné d'un peintre connu, Leonid Pasternak (1862-1944), illustrateur préféré de Léon Tolstoï, et d'une pianiste virtuose, Rosalia Kaufman (1867-1939), qui a renoncé à sa carrière en se mariant.

A treize ans, l'émerveillement devant la musique de Scriabine, ami de ses parents, éveille sa première vocation. Mais six ans plus tard, auteur d'une sonate que le compositeur a couverte d'éloges, il renonce brusquement à la musique pour se consacrer à des études universitaires de philosophie. La renommée du néokantien Hermann Cohen l'attire à Marbourg, où il suit ses cours pendant le semestre d'été 1912. Mais il y vit aussi l'exaltation d'un premier amour, qui l'éloigne de la philosophie en lui révélant sa vocation de poète.

De retour à Moscou, Boris Pasternak se joint au groupe postsymboliste "Lyrisme" (Lirika), qui publie en 1913 ses premiers vers, puis entre en dissidence avec Sergueï Bobrov (1889-1971) et Nikolaï Asseïev (1889-1963) pour former le petit groupe futuriste de "La Centrifugeuse" (Tsentrijouga).

L'audace novatrice de son premier recueil, Un jumeau dans les nuées (1914), est cependant assez modérée, et se manifeste surtout par le goût des images insolites, des rimes inédites et des jeux de sonorités. Dans l'article polémique La Réaction de Wassermann paru dans le recueil collectif de Tsentrifouga Le Manupède (Rukonog), il dénonce comme un procédé mécanique la "métaphore par ressemblance" dont abusent certains futuristes, et défend la "métaphore par contiguïté" (ou métonymie), expression d'une "conscience lyriquement submergée".

La personnalité de Vladimir Maïakovski, dans lequel il admire le porte-parole et le chef de file de sa génération, lui fait pressentir les implications tragiques d'un lyrisme centré sur la création d'une image du "moi" à laquelle le poète est condamné à subordonner sa vie. Dans Par-dessus les obstacles, son second recueil (1917), le "moi" du poète se dissout dans l'image du monde extérieur qui, saisie dans l'instant concret, "submerge lyriquement sa conscience". Mais c'est en 1917, à la faveur d'une passion qui a la Révolution pour arrière-plan, que Pasternak trouve définitivement sa voie: tandis que triomphe une poétique de l'éclair, fixant les associations spontanées — et parfois obscures — à travers lesquelles est éprouvée la sensation dans une expression verbale qui s'impose par sa forme rythmique, acoustique et articulatoire, le thème lyrique sous-jacent s'explicite: c'est l'abandon à la "vie", source transcendante de toute valeur et de toute vérité, vécue dans l'instant comme une révélation éblouissante. D'où le titre de son troisième recueil, Ma soeur la vie, qui ne paraît qu'en 1922. Le sous-titre (L'Eté 1917), tout en datant précisément le moment de cette révélation poétique, la rattache au moment historique de la Révolution, qui n'est désignée allusivement que dans quelques poèmes, mais que suggère la tonalité exaltée de l'ensemble.

En même temps qu'il s'affirme comme l'un des premiers poètes de sa génération, Pasternak cherche aussi sa voie dans la prose. Ses premiers récits, écrits en 1915 et 1917, Le Trait d'Apelle et Lettres de Toula, ne sont encore que des apologues illustrant sa conception des rapports entre l'art et la vie. En 1917-1918, il achève au brouillon un premier roman, dont le début paraît en 1922 sous la forme d'une nouvelle, L'Enfance de Luvers. Cette première esquisse d'un personnage féminin qui hantera son oeuvre romanesque s'arrête au seuil de l'adolescence; elle vaut surtout par une démarche "proustienne", utilisant le langage métaphorique pour éviter le piège des mots dissimulant sous le cliché psychologique la vérité de la sensation immédiate.

Cependant la Révolution le ramènera à une prose plus traditionnelle, après un détour par la poésie épique ou narrative, dans laquelle il cherche à retrouver l'harmonie de l'été 1917 entre l'inspiration lyrique et le "vent de l'histoire". En 1923, le poème Haute maladie (remanié en 1928), évocation imagée des ruines de la guerre civile, de la chute du régime impérial et de la naissance de l'État nouveau incarné par Lénine, est surtout un constat de faillite de l'épopée, témoignant d'un conflit entre la poésie, vécue comme une "haute maladie" contre laquelle la volonté ne peut rien, et une révolution que paraît légitimer l'Histoire.

En 1925-1927, il tente encore d'y soumettre son inspiration en la célébrant à travers le prélude de 1905 embelli par ses souvenirs d'adolescent — L'An 1905 — ou par la légende héroïque — L'Enseigne de vaisseau Schmidt. Dans la nouvelle en prose Les Voies aériennes (1924), il magnifie l'abnégation du révolutionnaire. Mais c'est la forme du "roman en vers", héritée d'Alexandre Pouchkine, qui, avec Spektorski (1925-1929), lui permettra de se projeter dans un personnage imaginaire et lui servira ainsi de transition entre la poésie lyrique et la prose romanesque, à laquelle il passe en 1929 avec Le Récit. Serge Spektorski, héros commun de ces deux oeuvres, donne un visage concret à l'image de la "haute maladie" qui fait du poète un étranger à son temps; mais le constat de faillite est corrigé dans Le Récit par l'histoire du premier essai littéraire du héros, entrepris pour soulager la détresse des femmes, et exprimant symboliquement le sens sacrificiel qui lui fait voir dans sa vocation une impérieuse mission.

Le malaise qu'expriment les oeuvres des années 20 incite Pasternak à un retour sur soi. Le récit autobiographique Sauf-Conduit, conçu en 1927 comme un hommage à Rainer Maria Rilke, devient une profession de foi et une apologie de la poésie face à l'idéologie communiste. Achevée au moment où apparaissent les premiers symptômes de la terreur, l'oeuvre laisse deviner à travers l'image de Venise le spectre de l'État policier, et se conclut par l'évocation du suicide de Maïakovski (14 avril 1930), présenté comme le tragique accomplissement du principe subversif inhérent à tout lyrisme.

Marié en 1923 à une jeune artiste peintre, Evguénia Lourié, qui lui a donné un fils, Evgueni, Boris Pasternak se sépare d'elle en 1931 pour former un nouveau foyer avec Zinaïda Neuhaus, elle-même séparée du pianiste Heinrich Neuhaus. La passion qu'elle lui inspire et le séjour qu'il fait avec elle en Georgie, où il est accueilli et choyé par l'élite culturelle du pays, sont vécus comme une "seconde naissance", dont l'euphorie le rend perméable à la propagande présentant le "grand tournant" de la collectivisation et de l'industrialisation comme l'aube d'une ère nouvelle, et Staline comme son artisan.

Dans le recueil Seconde naissance (1931), la Georgie amicale et ensoleillée, découverte avec les yeux de l'amour, rapproche les "lointains socialistes" et triomphe des doutes et des hésitations du poète. Ces espoirs paraissent confirmés en 1932 par la dissolution des organisations littéraires "prolétariennes", qui persécutent les "compagnons de route" non communistes, et la création de l'Union des écrivains soviétiques, qui leur apporte la protection du parti et de l'État. À son Congrès inaugural (août 1934), l'ancien "compagnon de route" Pasternak est fêté par l'auditoire et encensé par le représentant du Comité central, Boukharine. Mais la faveur officielle l'asservit et lui pèse: en juin 1935, souffrant d'une grave dépression, il est enrôlé de force dans la délégation soviétique au Congrès antifasciste de Paris. Au début de 1936, il publie encore dans les Izvestia, à la demande de leur rédacteur en chef Boukharine, un poème célébrant sans le nommer Staline, désigné comme le "génie de l'acte". Cependant, au cours de la même année, ses interventions publiques critiquant la campagne officielle contre le "formalisme" (c'est-à-dire contre l'art moderne) et son refus de s'associer à une protestation collective contre le Retour d'URSS d'André Gide (qu'il a sans doute mis en garde contre la propagande officielle) font scandale et le rendent suspect. Il cesse progressivement toute activité publique et se retire dans la datcha de Peredelkino, aux environs de Moscou, mise à sa disposition par l'Union des écrivains.

L'arrestation et le procès de Boukharine (1938) dissipent ses illusions sur Staline et en font désormais un opposant silencieux. Cette situation condamne le projet de roman qu'il a conçu dès 1932 comme un bilan de son expérience historique, et qu'il doit abandonner à la veille de la guerre après en avoir publié quelques fragments. Seule la traduction, désormais, pourra assurer sa subsistance.

Dès 1935, il a publié une anthologie des poètes georgiens. Ce seront ensuite des poèmes de John Keats, de Percy Bysshe Shelley, de Paul Verlaine (son poète français préféré), de Sandor Petöfi, de Juliusz Slowacki. En 1938, à la demande de Meyerhold (arrêté peu après), il entreprend une traduction de Hamlet, qui, achevée et publiée en 1941, sera suivie par celle de six autres tragédies de William ShakespeareRoméo et Juliette, Antoine et Cléopâtre, Othello, Henri IV, Le Roi Lear, Macbeth, puis, après 1949, par le Faust de Johann Wolfgang Goethe et la Marie Stuart de Driedrich von Schiller.

Ses traductions, qui recherchent la spontanéité et la liberté de ton plus que la fidélité littérale, lui apportent au début la joie de la création originale, mais lui pèseront à la longue comme une lourde obligation. La sérénité morale que lui a rendue son existence retirée est sensible dans le cycle de poèmes lyriques inspiré en 1940-1941 par le paysage rural de Peredelkino. La guerre, qui entraîne en 1941 l'évacuation de sa famille et son propre enrôlement dans la défense civile de la capitale, lui apparaît pourtant comme une épreuve purificatrice, mettant fin à la "domination inhumaine de l'imaginaire". Elle lui inspire des poèmes patriotiques, qui paraissent en 1943, avec le cycle de Peredelkino, sous le titre de Dans les trains du petit jour.

L'euphorie de la victoire, dans l'atmosphère de relative liberté qui survit à la guerre, lui fait reprendre en octobre 1945 son ancien projet romanesque. Dès août 1946, les décrets de Jdanov annoncent pourtant de nouvelles persécutions, qui le frappent en octobre 1949 avec l'arrestation d'Olga Ivinskaïa, sa dernière passion, à laquelle il est lié depuis 1947 et dont l'image se reflétera dans l'héroïne principale de son roman. Pressions et menaces ne le font cependant pas renoncer à son projet, auquel il continue à travailler, en secret jusqu'à la mort de Staline et la libération d'Olga Ivinskaïa (avril 1953). Achevé en 1955, Le Docteur Jivago est, sous l'apparence d'une fresque historique des "années terribles de la Russie", un roman d'amour et une fable symbolique. Le conflit central oppose le poète Iouri Jivago au révolutionnaire Pavel Antipov, unis par le souci d'arracher la femme qu'ils aiment tous deux, Lara, symbole de la vie, aux puissances du mal. Le révolutionnaire répond au mal par une violence qui le détruira lui-même, le poète par l'amour et la création, dont l'expression la plus haute est le sacrifice. L'image d'Hamlet, confondue avec celle du Christ, dans laquelle Pasternak, en tête du recueil de vers qui clôt le roman, s'identifie à son héros, traduit la signification sacrificielle qu'il attache à ce livre, dans lequel il voit l'oeuvre principale de sa vie: elle intègre ainsi à l'oeuvre l'image de sa propre destinée. Sa publication en Italie (novembre 1957), après qu'elle a été rejetée par les éditeurs soviétiques, est un événement de portée mondiale, le défi involontaire d'un homme seul face à un système totalitaire encore sans faille. L'attribution du prix Nobel, en octobre 1958, qui lui apporte le soutien de l'opinion mondiale, en fait un paria dénoncé comme un traître devant l'opinion de son pays. Exclu de l'Union des écrivains soviétiques, donc privé de tout moyen d'existence légal, et menacé d'exil, il devra refuser le prix pour mettre fin aux persécutions.

Son dernier recueil lyrique, L'Eclaircie, écrit pour l'essentiel en 1956-1957, et où se traduit la paix que lui a apportée le sentiment d'avoir accompli sa mission, ainsi que Hommes et Positions, préface à une anthologie projetée de son oeuvre poétique, ne pourront d'abord paraître qu'à l'étranger.

Sa dernière oeuvre, un drame historique et symbolique dont l'héroïne incarne le destin de la Russie, La Beauté aveugle, restera inachevée. Ce n'est qu'en 1987, à la faveur de la "perestroïka", que l'Union des écrivains réhabilitera sa mémoire en annulant son exclusion, et que Le Docteur Jivago pourra enfin atteindre sans entraves les lecteurs russes, ses principaux destinataires. Déjà cependant l'oeuvre poétique, bien que publiée avec parcimonie et de façon incomplète, aura influencé de très nombreux poètes de la génération du dégel (notamment André Voznessenski et Guennadi Aïgui), et se sera profondément gravée dans les mémoires: de tous les grands poètes russes du XXe siècle, Pasternak est sans doute celui dont les vers sont aujourd'hui le plus largement connus et le plus souvent cités.

Boris Pasternak est mort à Peredelkino le 30 mai 1960, à l'âge de 70 ans.

Michel Aucouturier,
(sans date)

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