Peintre français, Ferdinand Victor Eugène Delacroix est né à Charenton Saint-Maurice (Val-de-Marne) le 26 avril 1798.
Fils d'un ancien conventionnel devenu sous l'Empire préfet de Marseille, c'est dans cette ville que l'artiste passe sa petite enfance. À la mort de son père, il est emmené à Paris par sa mère et entre à neuf ans au lycée Louis-le-Grand, où il acquiert une solide culture classique.
Dès cette époque, Delacroix montre du goût pour tous les arts, avec une certaine préférence pour la musique. La visite de l'exposition des chefs-d'œuvre que Napoléon Bonaparte a ramenés d'Italie et des Flandres décide de sa vocation de peintre. Il est fasciné par Pierre Paul Rubens, Paul Véronèse et admire Antoine-Jean Gros. Ses premières études à l'École des Beaux-arts sont cependant peu brillantes. En outre, devenu orphelin en 1819, il traverse des années matériellement difficiles et doit gagner sa vie en exécutant des lavis industriels.
En 1817, il entre dans l'atelier de Pierre-Narcisse Guérin chez qui il se lie d'amitié avec Ary Scheffer, Léon Cogniet, Louis-Pierre Henriquel-Dupont et Théodore Géricault. Il est un élève peu apprécié de Guérin, et c'est presque contre l'avis de ce maître qu'il envoie au Salon de 1822 son Dante et Virgile. La toile passionne le public, suscitant quelques admirations — celle d'Adolphe Thiers, en particulier — mais aussi des critiques véhémentes.
Le 3 septembre de la même année, Delacroix commence à tenir son Journal, qui sera publié en 1893-95. Classé dernier au concours de Rome en 1822, il travaille avec énergie, mais il lui faudra quelque sept années pour commencer à vaincre l'opposition à peu près générale des milieux artistiques. Il mène une activité d'illustrateur, traitant de thèmes typiquement romantiques (Faust, Hamlet), empruntant à Dante Alighieri, William Shakespeare, Johann Wolfgang von Goethe et Lord Byron. Si les Scènes des massacres de Scio, exposé en 1824, enthousiasme Théophile Gautier, Étienne-Jean Delécluze et son ami Stendhal comptent aussi parmi les adversaires de premier rang. Le scandale atteint son paroxysme avec Sardanapale (1828), que Delécluze condamne comme une "erreur de peintre".
À partir de 1830, l'histoire de sa vie se confond avec celle de ses œuvres. Travailleur acharné, vivant quasiment cloîtré dans son atelier parisien ou dans sa maison de Champrosay, détestant la vie mondaine, ignorant les grandes passions sentimentales, se méfiant même des femmes, occasions de divertissements, il ne se livre qu'aux souveraines exigences de l'art. Après la Bataille de Poitiers (1830), La Liberté guidant le peuple, exposée au Salon de 1831, dans la chaleur encore proche des journées de Juillet, lui fait remporter une victoire décisive sur ses détracteurs.
La même année 1831, il entreprend un voyage à travers l'Afrique du Nord et l'Espagne, voyage capital pour l'histoire non seulement de son œuvre mais de toute l'histoire de la peinture. Il s'oriente vers une inspiration orientale aux atmosphères intimistes ou lumineuses, rapportant notamment de son voyage Fantasia arabe (1832) et Femmes d'Alger dans leur appartement (1833). Grâce à la protection de Thiers, il commence à recevoir des commandes officielles de grandes décorations murales qui l'occuperont jusqu'en 1855: Chambre des députés, bibliothèque du Luxembourg, Conseil d'Étal, plafond central de la galerie d'Apollon au Louvre, certaines galeries de l'Hôtel de Ville, chapelle des fonts baptismaux de l'église Saint-Sulpice,… Il entreprend parallèlement une série de tableaux de batailles et de grands événements historiques: Bataille de Taillebourg (1837), Charles Quint au monastère de Yuste (1837), Entrée des Croisés à Constantinople (1840), etc.
À l'Exposition universelle de 1855, où il réunit ses principaux tableaux en y ajoutant la Chasse aux lions (1855), il reçoit la grande médaille d'honneur. Napoléon III le fait entrer dans la Commission municipale des beaux-arts. L'Académie des Beaux-Arts de l'Institut de France ne se résigne cependant à l'admettre qu'en 1857, année où il s'installe au 6 rue de Fürstenberg (devenu aujourd'hui le Musée Delacroix de Paris).
Dans la dernière partie de sa vie, il donne à La Revue des Deux Mondes de remarquables études de critique d'art sur Pierre-Paul Prud'hon, Nicolas-Toussaint Charlet, Nicolas Poussin, etc.
Eugène Delacroix meurt à Paris le 13 août 1863, emporté par une fluxion de poitrine à l'âge de 65 ans.
Lui qui se défendait d'appartenir à l'école romantique, qui en réprouvait l'allure tintamarresque et n'aimait que les classiques, en peinture comme en littérature, a opéré dans l'art pictural une révolution plus décisive que celle de Victor Hugo dans le domaine littéraire. Avec sa manière passionnée dominée par une puissante imagination, on peut même dire qu'il a fondé la peinture moderne en faisant éclater la hiérarchie des genres par l'intrusion de ses scènes de massacre ou d'horreur, et la composition classique par sa violente utilisation des couleurs. Mais cette révolution technique n'est que la conséquence d'une révolution spirituelle: pour Delacroix, l'art est en effet avant tout effusion intérieure, expression de la pensée intime de l'artiste. La nature elle-même doit se subordonner à cet élément essentiel. La mission de l'art est d'ébranler l'âme — l'âme et non pas seulement l'intelligence ou la sensibilité — par la représentation des grands tumultes du destin humain. Or le sujet et le dessin parlent avant tout à l'intelligence. La couleur, elle, atteint au-delà, "elle agit pour ainsi dire à notre insu", dit-il, elle saisit cette racine de l'être plus profonde que le moi conscient. Cependant ce n'est pas l'individuel que le peintre veut toucher en nous, mais plutôt cette personne spirituelle capable de communier avec l'universalité humaine sans la médiation des concepts. Aussi dédaigne-t-il le simple pittoresque et dans ses toiles subordonne-t-il radicalement les détails au "rythme dansant" de l'ensemble. Son orientalisme, par exemple, ne s'arrête pas à la bizarrerie des costumes et des mœurs. Au cours de son voyage en Afrique du Nord, ce sont les types antiques vivants qu'il a cru retrouver, et cette découverte confirmait son sentiment fondamental de l'existence, au sein de la course des temps, d'une permanence, d'une symbolique éternelle des grands gestes humains — et ce sera la mission de l'artiste de la mettre en valeur d'une manière poignante. Delacroix ne cesse jamais d'être un artiste métaphysique. La peinture est liée pour lui aux autres arts, dont il aime comparer les expressions multiples et cependant unes. Dès sa jeunesse il a lu énormément. Il est passionné de musique et l'un des plus fervents admirateurs de Frédéric Chopin. Il possède une culture universelle. Mais il connaît aussi bien les exigences propres de la peinture. Il ne se fie pas à l'inspiration. Charles Baudelaire a parlé de ses "ribotes de travail". Dans son Journal 1822-1863 (publié à titre posthume en 1893 par Paul Flat et René Piot), ses Lettres 1815-1863 (correspondance publié à titre posthume en 1878 par Philippe Burty) et ses Études esthétiques (recueil d'articles et de notes publié à titre posthume en 1865 par son légataire Achille Piron puis en 1923 par Élie Faure), qui laissent un témoignage majeur sur son époque, on ne le voit pas se préoccuper des problèmes généraux du beau seulement, mais autant des moindres recettes techniques des grands maîtres. Toujours il porte un soin extrême aux moyens d'exécution. Il se méfie de lui, comme il se méfie de la vie en général. Longtemps incompris, il est resté solitaire, aristocrate, sceptique, indemne du sentimentalisme verbeux de son époque. Mais sa "verve d'incrédulité", selon l'expression de Baudelaire, n'exprime que la tristesse profonde qui chante dans les si nombreuses scènes de désolation, de massacres et d'incendies que l'on trouve à travers son œuvre et qui font de celle-ci, pour reprendre encore les termes de Baudelaire, "un hymne composé en l'honneur de la fatalité et de l'irrémédiable douleur".
Michel Mourre,
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