Écrivain français, Pierre Drieu la Rochelle est né et à Paris le 13 janvier 1893.
Élève de l'Ecole libre des sciences politiques, il échoue en 1913 à l'examen de sortie, ce qui lui ferme la carrière diplomatique et l'empêche aussi d'intégrer le personnel politique par la voie traditionnelle.
Nourri dès son adolescence par les œuvres des doctrinaires et des poètes de l'action, Drieu la Rochelle lit et admire Maurice Barrès, Rudyard Kipling et surtout Friedrich Nietzsche.
C'est avec une véritable ivresse qu'il part en août 1914 pour le front d'une guerre qui doit laver la défaite française de 1870. Il participe en particulier aux batailles de Charleroi et de Verdun. Blessé, hospitalisé, il écrit alors des poèmes réunis sous le titre Interrogation (1917) où il célèbre, supérieure à la lutte des patries, la fraternité mystique des guerriers et des héros.
Vingt ans après la fin de la Première Guerre mondiale, il composera six nouvelles qui retracent le parcours du soldat de cette époque, depuis Charleroi (août 1914) jusqu'aux Dardanelles et à Verdun. Il y met en scène des témoins et des contemporains de ce passé. La plus longue de ses nouvelles, La Comédie de Charleroi, montre le narrateur en quête de son semblable disparu en compagnie de la mère de ce dernier, insupportable survivante. À la fin, le héros refuse le siège de député qu'on fait glisser vers lui. Dans Le Voyage des Dardanelles, la guerre est chaos et mort de l'identité des hommes. Le Déserteur complète cette nouvelle comédie humaine, qui s'achève toutefois sur les velléités d'héroïsme du narrateur. La virtuosité d'une plume kaléidoscopique, dure et précise, contraste avec la déploration de l'absurde.
C'est après sa démobilisation que Drieu la Rochelle affiche le plus clairement ses contradictions, Maurice Barrès ayant tenu à s'incliner sur la dépouille de Jean Jaurès, adversaire politique et personne admirable. À partir de 1920, il se mêle à tous les mouvements de son époque, tenté aussi bien par Charles Maurras que par Louis Aragon, par l'Action française que par le Communisme, le Surréalisme et les efforts de la Fédération européenne de la politique briandiste. Ses œuvres se succèdent alors à un rythme soutenu: Fond de cantine (1920), État civil (1921), Mesure de la France (1922), Plaintes contre inconnu (1924). Mais le thème dominant de son œuvre reste l'obsession de la décadence: on la trouve aussi bien dans ses essais, par exemple Mesure de la France où il montre la politique mondiale entrée désormais dans l'ère des masses, impitoyable aux vieilles civilisations raffinées comme celle de la France, que dans ses romans, comme par exemple L'Homme couvert de femmes (1925), publié l'année de la mort de sa mère. Il y conte la déception des temps et celle de l'amour. Hôte aux champs de Finette et de son frère, Gilles, à vingt-sept ans, trouve au plus fort de ses conquêtes l'indice d'une impuissance. Au bout du séjour, le dégoût de soi et le bilan des échecs. Le roman est dédié à Aragon, complice en déambulations nocturnes et urbaines. Il se recommande moins par la description que par des dialogues justes. Chez lui, à ce moment déjà, le don du style s'oppose victorieusement à la maladie de l'âme. Doué malgré lui, il échoue à peindre le monde en gris tristes parce qu'il le peint trop bien.
Paraissent ensuite Blèche (1929), Une femme à sa fenêtre (1930), Le Feu follet (1931), Drôle de voyage (1933), Rêveuse bourgeoisie (1937), tous tableaux lucides de la bourgeoisie assez veule, débauchée et désespérée de l'après-guerre.
À la fin des années vingt et au début des années trente, la politique tend à prendre une place prépondérante dans l'œuvre de Drieu la Rochelle. Son engagement s'affirme dans ses articles et dans les livres qui les recueillent: Le Jeune Européen (1927), Genève ou Moscou (1928), L'Europe contre les patries (1931). Il collabore au Crapouillot, à Littérature, à La Nouvelle Revue française et à L'Europe nouvelle. Après avoir fait de vains efforts pour essayer de grouper le capitalisme intelligent autour de l'idée européenne, tentant d'analyser la "décadence" de son époque en de brèves autopsies d'une conscience: Le Feu follet (1931), Journal d'un homme trompé (1934), et surtout Rêveuse bourgeoisie (1937), inspiré par son enfance et le couple formé par ses parents. Le héros Camille Le Pesnel a épousé vers 1890 Agnès Ligneul, qu'il n'aime pas. Il conserve bien sûr son ancienne maîtresse. L'épouse est attachée par la chair à son mari, jusqu'à refuser, la ruine venue, une proposition avantageuse. Puis la parole passe à la fille d'Agnès, Geneviève. Le frère aîné, Yves, n'en finit pas de prolonger les conduites d'échec paternelles. Il mourra au front, en héros.
Le Feu follet (1931) prend place entre la rupture avec André Breton et le militantisme. Le roman perpétue la mémoire de Jacques Rigaut (1898-1919) et continue cette littérature des petits matins tristes qui va d'Ernest Hemingway — cette même année, il préface son Adieu aux armes — à Françoise Sagan. Alain, amant de la riche Lydia, tente de renoncer à l'héroïne. Il se tirera une balle de revolver. Le Feu follet résume assez bien les thèmes et les obsessions de l'écrivain: la méfiance envers les femmes, l'ubiquité des homosexuels et l'hostilité envers les juifs. L'Adieu à Gonzague s'achève comme s'achèvera la vie de son auteur.
Le Journal d'un homme trompé (1934) est un recueil de dix nouvelles. Elles reprennent la comédie du couple, la jalousie qui mine le rapport amoureux. La plus longue revient sur les incertitudes du jugement chez un être mobile, inquiet, palinodique. Défense de sortir, la dernière nouvelle, raconte comment, en 1963, une poignée d'habitants de la Terre, en quête d'un ailleurs édénique, défend le droit de quitter la "prison" planétaire: est-ce une figuration de la prison charnelle de Platon ?
Après avoir hésité tout au long des années vingt sur sa voie politique, Drieu la Rochelle évolue vers l'Extrême Droite. Après la mort de son père, en mai 1934 il choisit clairement son camp en optant pour le Fascisme, fasciné par la théâtralité de sa version nazie et voyant en elle le remède pour une Europe vieillie. À partir de 1936, il donne des contributions régulières à L'Émancipation nationale, le journal du Parti Polulaire Français (PPF) de Jacques Doriot. On peut suivre son itinéraire intellectuel dans des recueils d'études philosophiques et d'articles politiques comme Socialisme fasciste (1934), Chroniques politiques (1942), dans des œuvres théâtrales comme Charlotte Corday (1944), Le Chef (1944), dans un roman en grande partie autobiographique comme Gilles (1939), ou mythique comme L'Homme à cheval (1943).
Gilles est écrit à un moment où il milite assidûment depuis cinq ans. À Paris, en permission, "un soir de l'hiver de 1917", le jeune sous-officier Gilles décide de profiter de ce "pays de femmes". Au détour d'une visite intéressée dans la famille de camarades tués au front, il rencontre Myriam, fille de financier. Il l'aime mais l'épouse pour son argent. Grâce à la femme du ministre de la Défense, il entre aux Affaires étrangères. Après la tentation du cynisme, celle de l'honnêteté et de l'authenticité, Gilles prend une maîtresse et retourne chercher la mort au front. Survivant, il fréquente dans le Paris des années vingt le groupe avant-gardiste "Révolte", conduit par Cael, décalque d'André Breton. Femmes et mondanités, scandale et intrigues: Gilles est sali de toutes parts; et les surréalistes, ces "Tartarins de la Révolution", ne valent pas plus cher que les pourris de la "démocratouille" que dénonce Maurras. Une troisième partie campe Gilles en agitateur spirituel, directeur du journal L'Apocalypse. La femme aimée, Pauline, enceinte, atteinte d'un cancer, avorte. Elle meurt comme la France. Gilles, devenu Walter, quitte la plume du journaliste pour l'épée du militant nationaliste, au service du "catholicisme mâle, celui du Moyen Age".
Pierre Drieu la Rochelle rêve alors d'une nouvelle Europe, à la fois aristocratique et socialiste: c'est ce qui explique son engagement, après 1940, dans la politique de collaboration avec l'Allemagne nationale-socialiste.
Outre les romans de cette époque trouble, l'écrivain laisse aussi une quarantaine d'essais et quelque six cents articles où son talent, formé à l'école de Léon Daudet et des polémistes de l'entre-deux-guerres, tient aussi à sa verve et à sa causticité. Au cœur de cet activisme, une passion politique complexe, qui lui interdit de s'investir tout à fait dans la doctrine ou dans le parti auxquels il adhère. Celui qui confie dans son Journal qu'il a essayé en vain de devenir communiste, qui souhaite la mort à ces bourgeois dont il partage trop souvent la table et dont il prend les femmes, milite dans le Parti Populaire Français de Doriot et assiste, ahuri, au triomphe vichyssois de la petite bourgeoisie contre laquelle s'insurge son engagement fasciste. Dès 1935, Paul Nizan lui avait prédit que, politiquement, il mourrait seul, parce qu'il ne partage pas la condition des pauvres.
La politique hitlérienne dans les pays occupés ne tarde guère cependant à l'effrayer et à le décevoir et, dans ses derniers écrits, il envisage un inévitable triomphe du communisme mondial. Ecrit au cours du printemps 1943, Les Chiens de paille (1944) est le roman des illusions perdues dans le fascisme. Face à toutes les dérisions, il renoue avec le mysticisme et la méditation sur la condition humaine. Il fait sauter ses personnages non comme ils l'attendaient, par l'action d'un jeune Français pur et désespéré, mais au moyen d'une bombe larguée par un avion. Gilles tenait du personnage de la commedia dell'arte, auquel il devait son nom, quelque part entre Protée et Circé. Le héros des Chiens de paille se prénomme Constant. Il ne croit plus au salut par la politique et préfère Lao Tseu aux idéologies, comme son auteur.
Romancier persévérant, Drieu fut aussi tenté par le théâtre. Les esquisses et plans inédits qu'il a laissés témoignent même d'une réelle ambition dans ce domaine. L'Eau fraîche, une comédie en trois actes, est jouée à la Comédie des Champs-Elysées en 1931. Il tâte du théâtre politique avec Le Chef (1944), mais c'est surtout dans Charlotte Corday (1944) qu'il tente de constituer ce théâtre historique et national qui, à ses yeux, manque à la France.
C'est dans un paysage déchiré, pendant l'hiver 1944, alors qu'il est recherché par la police, après une première tentative de suicide, qu'il écrit les Mémoires de Dirk Raspe (publié à titre posthume en 1966), que certains critiques tiennent pour son chef-d'œuvre.
Contraint de se cacher après la Libération, il est protégé par des amitiés fidèles comme celle d'André Malraux. Il préfère toutefois la liberté de la mort aux effets d'un procès. Le 15 mars 1945, jour où il apprend qu'un mandat d'arrêt vient d'être lancé contre lui, il se suicide à Paris en avalant du Gardenal. Les racines de son désespoir étaient anciennes et profondes. Fuir l'homme, tel est le point commun que Robert Brasillach trouvait à plusieurs écrivains de la génération de 1920. Paul Morand l'aurait fui dans le voyage, Jean Cocteau et les surréalistes dans les bars, Drieu la Rochelle dans la drogue et la mort. Jorge Luis Borgès voyait en lui un "fasciste par indifférence".
Michel Simonin,
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