Nikos Kazantzakis

Biographie
Nikos Kazantzakis
Nikos Kazantzakis

Poète, dramaturge et romancier grec, Nikos Kazantzakis est né le 18 février 1883 à Héraklion (Crète).

S'il fut longtemps à l'étranger la figure la plus célèbre de la littérature grecque, il fut aussi dans son pays, malgré une officialisation tardive et controversée, l'un de ses représentants les plus méconnus. Ecrivain doué d'appétits intellectuels insatiables et d'une étonnante force de travail, Kazantzakis réquisitionna pour son œuvre tous les genres, depuis l'essai philosophique de jeunesse aux grands romans de la maturité, en passant par les 33333 vers de son Odyssée, en laquelle il voulait voir "la prodigieuse épopée de la race blanche" et le couronnement de toute son œuvre.

Fils aîné d'une vieille et patriarcale famille crétoise, il eut une enfance marquée par les guerres d'insurrection contre la domination turque. C'est à celles-ci qu'il dut de suivre pendant deux ans les cours du lycée français de Naxos, où sa famille s'était réfugiée.

En septembre 1902, il quitte son "berceau" crétois pour venir faire son droit à Athènes. Et quatre ans plus tard, en même temps qu'il obtient son diplôme de docteur, il fait sa première apparition dans les lettres grecques: par un essai d'abord, La Maladie du siècle, publié sous le pseudonyme de Karma Nirvani, et surtout par une longue nouvelle baroque dont "l'immoralité" fit scandale: Le Serpent et le Lys (1906). Les mois suivants, il compose plusieurs pièces de théâtre, dont l'une est même couronnée dans un concours dramatique.

Mais déjà la vie d'homme de lettres à Athènes ne lui suffit plus et il décide d'aller faire l'apprentissage de Paris. Il y passera un an, travaillant sans relâche à une thèse sur Friedrich Nietzsche, assidu aux cours d'Henri Bergson, trouvant encore le temps d'envoyer quelques reportages à des quotidiens d'Athènes.

On voit, par ces premières années, se dessiner les grands traits de l'homme, qui seront à l'origine de son œuvre: une instabilité foncière que les voyages ne parviennent pas à épuiser, une volonté obstinée inflexible, une attirance pour les grandes figures spirituelles. Comme il devait le déclarer dans sa Lettre au Greco en 1956, il reconnaissait quatre étapes à son "ascension": le Christ, Bouddha, Lénine, Ulysse. Et si elles ne se succédèrent pas chronologiquement, chacune d'elles éclaire un aspect de l'œuvre: sa conception du christianisme fera l'objet de nombreuses pièces de théâtre et de deux romans: Le Pauvre d Assise (1956) et La Dernière Tentation du Christ (1954), mis à l'index par le Vatican peu après sa parution.

La pensée philosophique, celle de Nietzsche en particulier, continua de l'occuper bien au-delà de ses études parisiennes, comme en témoignent les nombreuses traductions qu'il fit à son retour en Grèce en 1911: Ainsi parlait Zarathoustra, mais aussi des œuvres d'Henri Bergson, Charles Darwin, Georg Büchner, Maurice Maeterlinck, etc.

Pour Lénine, "le Christ rouge", il abandonna ses premières convictions aristocratiques et entreprit plusieurs longs voyages en Russie. Et s'il s'éloigna plus tard des conceptions marxistes (dont il n'avait jamais entièrement accepté la philosophie) pour prôner une révolution individuelle, mystique au besoin, sa réputation, en Grèce, a néanmoins longtemps souffert de ses engagements politiques, ce gui a multiplié les malentendus avec son pays.

À Ulysse enfin, la dernière et la plus idéale de ses figures héroïques, il s'identifie à plusieurs reprises dans les chants de son Odyssée, parfois même dans sa vie personnelle: c'est ainsi qu'au cours de l'été 1919 il se charge de ramener à bon port plus de cent mille citoyens grecs du Caucase, chassés par la Révolution.

A côté de ces figures légendaires auxquelles se conforma plus ou moins l'écrivain, l'homme eut dans sa vie des amitiés aussi déterminantes, sinon davantage: c'est d'abord, en 1914, Sikélianos, nature dionysiaque, poète comblé par le sort, avec lequel il parcourra la Grèce à plusieurs reprises, à la recherche "d'une terre et d'une race". Puis en 1917, la fameuse rencontre avec Georges Zorba. Leur vie commune dura un an et demi, dans le Magne, et l'on sait de quel prix elle fut pour Kazantzakis malgré l'échec final de leur entreprise. Nommons enfin "l'esprit frère", Panaït Istrati, à qui l'unissaient un talent égal de conteur et un humanisme désespéré. Ils se rencontrent à Moscou en 1927, invités pour le dixième anniversaire de la Révolution, et ensemble voyagent à travers la Russie, s'enthousiasment, pensent même s'y installer, rendent visite à Maxime Gorki. Puis les divergences apparaissent, accrues par leur force de caractère: la brouille qui les sépare, l'année suivante, ne s'estompera que devant la mort prochaine de l'écrivain roumain.

En 1929, âgé de 46 ans, Kazantzakis n'avait donc fait que chercher sa voie à travers d'innombrables voyages en Europe, en Russie ou au Proche-Orient. Comme écrivain, à l'exception de son premier roman, déjà oublié, il n'est que l'auteur du volume En voyageant (1927), de tragédies pas toujours publiées—illustrant son penchant pour les figures héroïques (Ulysse, Héraklès, Bouddha), et souvent difficiles à jouer—et d'un tout petit livre: Ascèse (1927). Composé durant un séjour à Berlin, "cri de recherche et d'angoisse" devant la décomposition générale de l'après-guerre, c'était pour lui la "graine d'où allait fleurir toute son œuvre". Sous forme d'aphorismes métaphysiques, il y condensait toutes ses conceptions morales et philosophiques par la théorie des "Cinq cercles": Ego-Humanité-Terre-Univers-Dieu.

Après le semi-échec d'un roman inspiré par la Russie, Toda-Raba (1929), Nikos Kazantzakis se remet à la composition de son "grand œuvre", qui n'était que le prolongement poétique d'Ascèse, l'Odyssée. Jusqu'à sa parution en 1938, elle connut sept versions successives et lui demanda quatorze années d'un travail acharné. Commençant à dessein là où s'achevait celle d'Homère (le retour à Ithaque), elle suivait l'errance spirituelle d'un nouvel Ulysse jusqu'à sa mort, suprême initiation, au pôle Sud. Écrite dans une langue parfois très ardue, sa taille démesurée, son mètre inhabituel de dix-sept syllabes, lui réservèrent un accueil partagé et elle reste encore aujourd'hui l'œuvre la plus ignorée de Kazantzakis.

À la même époque, comme autant de petits "gardes du corps" de l'Odyssée, il composait une série de vingt-quatre Tercets (parus en 1960 seulement) à la manière de Dante, consacrés à tous ceux qui eurent un rôle dans le façonnement de sa personnalité: Moïse, le Greco, Leonard de Vinci, William Shakespeare, etc.

Durant l'entre-deux-guerres, la vie de Kazantzakis offre le tableau d'une activité infatigable et presque frénétique: il compose une histoire de la littérature russe, rédige un dictionnaire français-grec, traduit La Divine Comédie de Dante et le Faust de Goethe en moins de deux mois.

Tout en revenant régulièrement à la solitude de sa maison à Égine, il passe plusieurs étés à Paris, un an à Gottesgab, traverse l'Espagne en 1932 puis y séjourne lors de la guerre civile, visite le Japon, la Chine, l'Angleterre (au début de la guerre). De chacune de ses randonnées, il ramène un volume En voyageant où, derrière les épisodes, les personnages évoqués, transparaissent toujours ses inquiétudes fondamentales.

Puis la guerre s'installe en Grèce et il se retire à Egine, occupé à la composition de plusieurs pièces de théâtre et surtout à Alexis Zorba (1946).

À la Libération, ébranlé par le drame que venaient de connaître la Grèce et l'Europe, il se lance dans des activités politiques qui, toutes, seront vouées à l'échec: il fonde une "Union ouvrière socialiste" sans avenir, participe même au gouvernement, pour démissionner presque aussitôt. En Angleterre, invité du British Council, il tente vainement de mettre sur pied une "Internationale de l'esprit". Propose-t-il sa candidature à l'Académie grecque? Il lui manque deux voix. Essaie-t-il de se faire attribuer le prix Nobel? Il échouera en 1946 comme les années suivantes.

En revanche, pour l'écrivain, la grande période romanesque qui s'est ouverte avec la parution d'Alexis Zorba va bientôt connaître une consécration internationale. Car si son apport à la littérature a été jusqu'à présent plutôt austère, Kazantzakis sent également en lui une veine réaliste, "où il n'y aurait pas de lui", qu'il brûle d'exploiter.

Désormais délivré de toute obligation, il se fixe à Antibes en 1948 et il ne lui faudra pas plus de quatre ans pour composer quatre grandes fresques romanesques et autant de pièces de théâtre. Et ce n'est pas la moindre des contradictions de sa vie que la reconnaissance à laquelle il aspirait lui parvînt d'un "délassement" romanesque, venant bien après ce qu'il avait pris pour l'achèvement de son "œuvre".

En deux mois, il compose Le Christ recrucifié (1954) qui met en scène, parallèlement à la représentation symbolique de la Passion, le drame des réfugiés dans un petit village d'Anatolie, et leur lutte pour survivre dans un monde inique. Le livre a un succès immense, fait l'objet de nombreuses traductions étrangères, connaît même une adaptation cinématographique.

L'année suivante, en même temps qu'un roman sur la guerre civile grecque, Les Frères ennemis (1963), il achève La Liberté ou la Mort (1953). La Grèce et son combat pour l'indépendance en sont le véritable sujet, à travers le personnage héroïque du kapétan Michalis, où l'on retrouve souvent, en filigrane, des traits du père de l'écrivain. Cette somme romanesque, foisonnante peinture de mœurs écrite dans une langue très riche, permet à Kazantzakis d'appréhender les grands thèmes qui l'on hanté toute sa vie: la mort. Dieu, l'éternel affrontement entre la chair et l'esprit.

En 1955, il s'attelle à la composition de la Lettre au Greco (1956), testament spirituel sous forme de roman autobiographique. Et il travaille de façon ininterrompue jusqu'à son départ pour la Chine, qui lui sera fatal.

Nikos Kazantzakis meurt le 26 octobre 1957 à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), à l'âge de 74 ans.

La mort l'a enlevé au délai de dix ans qu'il s'était fixé pour achever son œuvre, ne laissant que celle-ci comme témoignage et justification d'une vie acharnée à se dépasser elle-même. Tel l'un de ses personnages qui, encerclé par les Turcs, leur avait lancé: "La Liberté et la Mort!", il a fait graver sur sa tombe, à Héraklion: "Je n'espère rien, je ne crains rien, je suis libre."

Gilles Ortlieb,

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Paris, jeudi 25 avril 2024