Jehan Rictus

Biographie
Jehan Rictus
Jehan Rictus

Écrivain français, Jehan Rictus — pseudonyme de Gabriel Randon de Saint-Amand — est né le 21 septembre 1867 à Boulogne-sur-Mer.

Sa mère, Gabrielle Randon (Domitille-Camille-Gabrielle-Adine Randon de Saint-Amand pour l'état civil), cantatrice et comédienne très instable, est la fille de Rosavinia-Fetilla Collingdon, gouvernante d'origine anglo-écossaise, et de Joseph François Théodore Randon de Saint-Amand, sous-lieutenant d'infanterie sous Napoléon III. Gabrielle Randon perdit son père très jeune et fut élevée à Londres. Les hypothèses que formule Jehan Rictus lui-même quant à l'identité de son père sont plus ou moins fantaisistes. En réalité, ce dernier, un professeur de danse et de gymnastique nommé Mandé Delplanque exerçant à Boulogne-sur-Mer et à Londres, ne l'a pas reconnu officiellement comme fils.

Jehan Rictus retracera son enfance et les relations conjugales agitées de ses parents dans son autobiographie romancée, Fil-de-fer (1906). Après plusieurs déplacements entre Boulogne, Paris et Londres, ses parents se séparent. Abandonné définitivement par son père, le jeune Gabriel mène alors à Paris une vie d'enfant martyr auprès d'une mère tyrannique qu'il appelle la "Marquise de Saint-Scolopendre de Tirlapapan-Ribbon-Ribbette". Il passe son Certificat d'études primaires en 1881 et arrête là ses études.

Après l'école primaire, il exerce toutes sortes de petits métiers: livreur, garçon de courses, manœuvre, débardeur, balayeur, commis greffier, précepteur,… Il quitte le domicile maternel en 1885 et vit dès lors dans une précarité extrême.

De 1887 à 1890 il est clochard mais fréquente la bohème anarchiste et les cercles littéraires parnassiens et symbolistes, où il rencontre notamment José-Maria de Heredia. Il lit beaucoup à la Bibliothèque municipale, s'instruit et commence à écrire.

En 1887, Il publie ses premiers poèmes dans la revue Le Mirliton d'Aristide Bruant qui dirige également un cabaret du même nom. En 1889, il obtient un emploi à l'Hôtel de Ville où il rencontre Albert Samain, employé de bureau comme lui à la Direction de l'enseignement. Au début des années 1890, il rencontre Saint-Pol-Roux et commence à collaborer à de petites revues symbolistes et parnassiennes: La Muse française, La Revue septentrionale, La Pléiade, Le Pierrot, Le Mercure de France, La Plume, Fin de siècle ou encore Société nouvelle, revue avant-gardiste belge.

En 1892, Jehan Rictus est renvoyé de son bureau de la Mairie qu'il quitte avec éclat. Retombé dans la précarité, il anime alors des soirées de diction poétique qui ne durent qu'un temps mais dont l'idée sera reprise plus tard par le Théâtre-Français. De cette époque date son pamphlet Sarcey génial: conte invraisemblable.

En 1893-1894, il travaille comme employé de bureau dans une compagnie d'assurances puis comme pigiste au Figaro. Il collabore aussi à plusieurs feuilles de la mouvance anarchiste. À partir de 1894, il se lance dans l'écriture en langue populaire de poèmes-monologues destinés à être récités sur scène: L'Hiver (premier Soliloque), Impressions de promenade, Le Revenant, etc…

Jehan Rictus sort dès lors de l'anonymat et de la misère. En 1896 il débute au cabaret des Quat'z'Arts sous le pseudonyme de Jehan Rictus, puis passe l'année suivante au cabaret du Chat noir. Dans le langage pittoresque et vivant des faubourgs parisiens qu'il orchestre en poèmes, il chante la misère, les gueux et les marginaux. On le compare à Jean Richepin (La Chanson des gueux, 1876) et à Aristide Bruant (Dans la rue, 1889). Des écrivains et critiques littéraires influents tels que Catulle Mendès, Jean Lorrain, Jules Lemaître, Remy de Gourmont, Stéphane Mallarmé ou encore Léon Bloy — qui le présente comme le "dernier poète catholique" — le font connaître. Son succès grandit dans les cabarets parisiens (Les Noctambules, Les Funambules, La Bodinière) où pendant quatre ans il trouve facilement des engagements, accordant aussi bien sa participation aux fêtes de syndicats ou de groupements politiques qu'aux dîners mondains où on l'invite.

Après plusieurs éditions partielles à compte d'auteur, le premier recueil de ses poèmes, Les Soliloques du pauvre, qui fait soliloquer un sans-logis contraint d'errer dans Paris, paraît en souscription en 1897 chez Moreau, imprimeur d'art, tiré à cinq cents exemplaires. En 1900 le Mercure de France, qui a déjà réédité ce premier ouvrage dès 1897, publie un nouveau recueil intitulé Doléances. À propos de l'un des six poèmes de ce recueil, il écrit: "S'il y a quelque chose que j'ai entrepris de dénoncer dans le langage populaire, c'est le Dogme du Travail sans Amour, si cher aux capitalistes et à Zola, et vous m'en blâmeriez ! Je vous demande de relire, dans Doléances, "Le Piège" et de me dire si je n'ai pas atteint le but que je me proposais, savoir: peindre, exprimer l'état de servitude et d'abrutissement absolu de l'Ilote moderne qu'est l'ouvrier d'industrie, le misérable et mécanique Enfant de l'Outil et de la Machine. […] Soyez assuré qu'un jour j'aurai dans les mains, avec des moyens d'action, une force populaire terrible, et que si jamais cela m'arrive je m'arrangerai de façon à ne pas laisser debout un seul pan de l'édifice bourgeois. Tout vaut mieux, même le retour à la barbarie, à la caverne primitive, qu'une pareille organisation sociale. […] Je leur apprendrai à laisser crever de faim les Artistes sincères, à exploiter les Ouvrières de façon à les précipiter au trottoir. Je leur en donnerai de l'Alcoolisme, de la Faim, de la Folie, de la Phtisie, des accidents de chemin de fer, des coups de grisou, des fusillades de mineurs, des tueries qui créent leur richesse ! Parole d'honneur, on devrait me couper le cou tout de suite, tant je compte détruire dans les cervelles populaires le très abrutissant mythe du Travail. Être un danger, un jour! Quelle joie! Aurai-je la force et la patience?…" (Lettre à Léon Bloy, 4 octobre 1900).

Le recueil des Cantilènes du malheur paraît en 1902 chez Sevin et Rey. Ce recueil contient peut-être le meilleur poème de Rictus, inspiré par la vision qu'il a eue de la fosse des condamnés, au cimetière d'Ivry: La Jasante de la Vieille ("Jasante" veut dire "Prière" en argot). En 1903 paraît, également chez Sevin et Rey, une version nouvelle et définitive des Soliloques, contenant la plupart de ses poèmes publiés à cette date et accompagnée de dessins de l'illustrateur anarchiste Théophile Steinlen.

Entre 1903 et 1909, Jehan Rictus publie un pamphlet, Un bluff littéraire: le cas Edmond Rostand, une pièce de théâtre, Dimanche et lundi férié ou le numéro gagnant (jouée au Théâtre de l'Œuvre en décembre 1905), un roman autobiographique chez Louis Michaud, Fil de fer (sélectionné pour le Prix Goncourt 1906) et plusieurs poèmes dans la revue Les Chansonniers de Montmartre.

Sa mère décède le 15 mai 1907. Il continue de publier poèmes et articles dans les revues et journaux (Hommes du jour, Comœdia, L'Assiette au Beurre, L'Aurore,…) ou en plaquettes (Les Petites Baraques, La Frousse,…). Une pantomime, La Femme du monde, est publiée en 1909. En 1914, paraît chez Eugène Rey son deuxième et dernier grand recueil, Le Cœur populaire, qui contient tous les poèmes qui ne sont pas des "soliloques": doléances, complaintes, récits, chants, etc. Il y fait parler divers personnages miséreux: prostituées, enfants battus, ouvriers, cambrioleurs, etc.

Réformé à cause de son œil droit blessé lors d'une ancienne séance d'escrime, il passe la Première Guerre mondiale comme vaguemestre à l'hôpital de Fontainebleau. Après-guerre, son inspiration semble se tarir. Il s'enferme chez lui et n'écrit plus guère que son Journal, commencé en 1898 et couvrant cent cinquante-neuf cahiers d'écolier, ainsi que sa Correspondance où l'on peut lire la grande amitié qui le lie à Léon Bloy. Avec Guillaume Apollinaire, Max Jacob et Francis Carco entre autres, il continue cependant de faire quelques apparitions dans les cabarets de la Bohème montmartroise de la Belle Époque, comme par exemple "Au Lapin agile". On le voit aussi dans certains salons comme celui de Rachilde. Il décide d'ajouter un trait d'union à son pseudonyme qui devient Jehan-Rictus.

D'ardent anarchiste au début du siècle, devenu nationaliste au début de la Grande guerre, il sympathise finalement à la fin des années 1920 avec les idées royalistes et l'Action française. En 1931, il enregistre trois disques 78 tours de ses poèmes.

Jehan Rictus meurt à Paris le 7 novembre 1933, à l'âge de 66 ans, peu après avoir reçu la Légion d'honneur.

François Séguret,

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Paris, vendredi 29 mars 2024