L'oeuvre écrit-elle l'homme ou l'homme l'oeuvre ? La question peut déjà se poser à propos d'Adonis, qui de son vivant est devenu légende. Il est des poètes dont la vie et les écrits sont en quelque sorte consubstantiels, à la différence d'autres où c'est bien l'inverse (Pindare, Byron ou Rimbaud, face à Mallarmé, Eliot ou Pessoa,...). Adonis est des premiers: le récit de ses "enfances" est déjà nimbé de l'aura de la légende dorée. La naissance campagnarde, même agreste, à Quassabine, dans la montagne de la Syrie du Nord, l'initiation paternelle à la langue du Coran et à la culture arabe classique, les veillées où, encore enfant, il récitait par coeur de nombreux poèmes, la révélation précoce de ses talents devant le Président de la République, l'éducation lycéenne prise en charge aux frais de l'Etat, la stupéfaction provoquée par l'arrivée du jeune homme encore en mise rustique (tel un nouveau Rimbaud) dans la rédaction du journal auquel il avait adressé ses poèmes, le choix très tôt d'un nom de plume prédestiné mais blasphématoire pour sa culture d'origine, tout cela, avec de légères variantes, se retrouve dans les versions de sa vie déjà largement en circulation. Il suffit sans doute d'ajouter les mois de prison pour opinions politiques pendant son service militaire, l'installation au Liban dans les années '60, espace rare de liberté à l'époque où il fonde groupes et revues, les carrières littéraire et universitaire désormais menées de front, la publication de nombreux recueils, traductions et anthologies qui ont fait date, de livres théoriques et de manifestes où il développe des thèses littéraires, culturelles et sociales radicales, sa présence courageuse à Beyrouth à l'heure des bombardements, son refus de s'aligner sur un pouvoir ou une idéologie dominante, de se mettre au service d'un régime quelconque du monde arabe, son exil occidental, sa vie désormais "déterritorialisée", "d'étranger professionnel" représentant plus officieux qu'officiel de la modernité poétique arabe, et l'on obtient une figure paradigmatique, une allégorie vivante, presque idéale, du rôle et de la fonction du poète dans le monde contemporain. Cette figure exemplaire est pourtant bien la sienne propre, et lorsque le mythe semble parfois en venir à recouvrir l'histoire, ce n'est que pour mieux mettre en lumière l'essentielle vérité, qui n'est pas seulement celle d'un homme particulier (Ali Ahmad Saïd Esber, né le 1er janvier 1930 à Quassabine, Syrie) mais surtout celle du poète Adonis, c'est-à-dire du poète par excellence, avatar d'une longue lignée et en même temps "creuset initial". Une telle convergence entre homme et oeuvre, figure et fonction, mythe et histoire est suffisamment rare pour mériter d'être saluée.
Le premier recueil d'Adonis, intitulé la Terre a dit est publié en arabe en 1954. Il est suivi en 1957 de Feuilles dans le vent. L'oeuvre complète est écrite en langue arabe et publiée en majeure partie à Beyrouth chez des éditeurs libanais (Dar al-Awdah et Dar al-Adab notamment), mais une partie est disponible en français, traduite essentiellement par Anne Wade-Minkowski (parfois par Jacques Berque, Serge Sautreau ou André Velter entre autres). Ses premiers recueils intégraux en français furent publiés dans les années 1980 aux éditions Sindbad, dont le fonds a été repris et réédité ensuite par Actes Sud. On trouve plusieurs recueils importants au Mercure de France et plusieurs choix de poèmes réunis par André Velter dans la collection de poche Poésie chez Gallimard. De nombreux textes d'Adonis sont également publiés chez divers éditeurs pour des livres d'art, des anthologies de poésie ou des numéros spéciaux de revues. Le dernier titre paru est Histoire qui se déchire sur le corps d'une femme (Mercure de France, janvier 2008). Adonis est aussi traducteur entre autres, du français vers l'arabe de Saint-John Perse, Yves Bonnefoy, Georges Schehadé, et de l'arabe vers le français des poèmes d'Abu-al Ala al-Maari (Rêts d'éternité Fayard, 1998).
détours d'écriture,
15 janvier 1992
Aussitôt que j'ai commencé à écrire, j'ai entretenu avec mon pays un rapport semblable à celui que j'entretiens avec moi-même. Dans ce mouvement de l'écriture qui peut amener à se renier, pour mieux être soi, on peut rompre avec son pays pour mieux lui appartenir. Cette sorte de séparation est alors un lien qui permet de s'affirmer dans la différence. Quand j'écris, je vois mon pays comme un autre alphabet où j'agis avec la même liberté que celle qui me guide entre les voyelles. C'est la conséquence, je crois, de la conviction profondément ancrée en moi qu'en tout déracinement est un enracinement. ici apparaît l'autre, l'étranger, comme élément constitutif du moi. La langue de l'autre est un autre sein, une mère seconde pour une seconde naissance, naissance qui le rapproche de sa langue originelle, mère première par l'arrachement même. Comme si l'autre ouvrait au moi un espace pour des naissances infinies; comme si le moi ne se renouvelait que par une sorte de mort dans l'autre, mort qui est elle-même une nouvelle vie.
Quand il écrit dans sa langue maternelle, le poète ne perçoit pas son moi qui lui demeure impalpable comme l'air, dans ses mots, ses images, ses symboles, ses signes et intersignes. Aucune distance entre lui et son langage. Si son texte est transmis dans une autre langue, la distance fait son oeuvre et le poète voit son moi avec clarté, comme s'il s'agissait d'un autre. Comment était-il dans le texte original? Comment apparaît-il dans ce texte traduit? Que reste-t-il de lui? Qu'est-ce qui a disparu? Quelle est la part de l'étranger ou de l'étrangeté? Dans ce rapport différentiel s'opère à la fois la rencontre du moi avec l'autre et moi avec le soi. L'autre dévoile son moi au poète, et la langue étrangère illumine la langue originelle. Le poète fait l'expérience de son identité en faisant l'expérience de son altérité.
Je suis particulièrement heureux que cet autre soit pour moi, essentiellement, la France et sa langue. Je me suis initié à la poésie française d'une façon assez étrange, commençant à la lire alors que je connaissais à peine son alphabet. C'était dans les années '40, j'avais environ quinze ans, et pendant un an et demi, je m'étais familiarisé avec cet alphabet à l'école de la Mission Laïque Française, à Tartous, en Syrie. Puis, sous prétexte d'arabisation, l'école fût fermée et l'enseignement du français par conséquent supprimé, mais je continuai seul mon apprentissage, à travers sa poésie. Le premier recueil que j'ai essayé de lire était Les Fleurs du Mal, en 1950, à Damas. je m'en souviens, j'ai dû chercher dans le dictionnaire presque chaque mot de chaque vers, et les pages de ce recueil étaient couvertes de mots arabes, de flèches, de lignes et de cercles. Quel dommage que je n'aie pas gardé cet exemplaire. J'aurais ainsi gardé une "forêt de symboles" ! J'ai donc poursuivi mes lectures de poésie française, seul avec mon dictionnaire, jusqu'en 1960, date à laquelle le gouvernement français m'a invité, en tant que poète, en même temps que le sculpteur Michel Basbous et la romancière Leila Baalbaki, à venir à Paris pour un séjour d'un an. Cela aurait pu être pour moi l'occasion de perfectionner mon français, mais j'ai préféré consacrer mon temps à découvrir Paris dans son aspect vivant et à rencontrer ses poètes. Cette expérience m'autorise à dire que ma seconde naissance poétique a eu lieu dans la poésie et dans la langue française. j'ai écrit la plus grande partie des Chants de Mihyar le Damascène, pour moi l'un des plus importants et des plus significatifs de mes recueils, sous le ciel gris mais illuminant de Paris, en 1960-61, tandis que des traductions en arabe de poètes français commençaient à paraître dans la revue Chi'r (Poésie) que nous éditions à Beyrouth, le poète Yûsuf al-Khâl et moi-même, avec d'autres amis. Dans ce climat, mon rapport avec la poésie et la poétique de la langue arabe s'est approfondi. J'ai beaucoup appris de la poésie française et je continue à apprendre beaucoup de ce que j'appellerais la poéticité de la forme ou de la "technique"; par contre, dans mon approche et ma vision de l'homme et des choses, j'ai l'impression de m'en éloigner. Eloignement qui paradoxalement me rend plus proche d'elle. En effet, il n'y a pas rencontre avec le semblable, il y a répétition; la rencontre se fait avec le différent, voire avec l'opposé.
Je serais tenté de dire qu'il existe pour la poésie française et arabe un espace commun au sein de l'espace, et un temps commun au sein du temps : espace et temps qui s'unissent et donnent naissance à un monde-mélange qui n'est pas réel, mais non plus irréel, un monde-pont entre ce que nous vivons et ce que nous imaginons, entre ce que nous avons fait et ce que nous avons à faire. De nombreux précurseurs arabes et français ont travaillé à la construction et à la consolidation de ce pont. A ce propos, je tiens à saluer vivement ceux qui ont ouvert le chemin en ce qui me concerne personnellement; qu'il me soit donc permis de rendre un hommage particulier à Jacques Berque, à Pierre Bernard, et à Anne Wade-Minkowski. Ce monde-pont est pareil à la poésie, nous emportant loin de nous-mêmes pour nous rendre plus proches à la fois de notre être profond et des autres. Il est symbolisé géographiquement et culturellement par notre Méditerranée, notre mer-mère commune dont je crois voir les deux rivages se rencontrer dans l'acte de création, comme se rencontrent les deux lèvres, ou comme se nouent les deux bras autour d'un même corps, une création qui dit à chacun de nous : tu seras toi-même seulement dans la mesure où tu seras l'autre.
Adonis,
15 janvier 1992
"Occident, tu es condamné à mourir. Nous sommes les vainqueurs de l'Europe.. Laisse l'Orient, ta terreur, répondre à nos espoirs enfin !.. Elève-toi, Inde aux mille bras, grand et légendaire Brahma. C'est à ton tour, Egypte."
Le discours de Louis Aragon, dans lequel cette invocation du futur de l'Orient constitue une partie de la péroraison, fut donné au public à la Résidence des étudiants de Madrid, avant d'être publié dans La Révolution Surréaliste en 1925. La vision de l'Orient comme théâtre de révolutions a une longue histoire. Landor et Southey par exemple, ont mis le discours orientaliste au service de la libération et de l'anticolonialisme. L'arbre généalogique du mouvement surréaliste, qui a été rétrospectivement construit dans les années vingt et trente, comprend nombre d'écrivains majeurs qui, fascinés par l'Orient, ont recherché la révolution ou une illumination de l'Orient.
Dans Voyage en Orient (1851), un recueil de récits fantastiques présentés sous la forme d'un carnet de voyage en grande partie fictif, Gérard de Nerval se laisse aller à son obsession pour les sociétés secrètes et les rites disparus. Une année après, dans Les Illuminés ou les Précurseurs du Socialisme (1852), il présenta une histoire simplifiée du mysticisme révolutionnaire oriental.
Arthur Rimbaud étudia l'arabe, ainsi que la Kabale, et il ne cessa pas d'être fasciné par l'Orient au travers de sa courte carrière poétique : "Je retournais à l'Orient et à la sagesse éternelle" ainsi qu'il l'écrit dans Une Saison en Enfer.
Le premier Manifeste du Surréalisme (1924) s'est attaché à établir l'ascendance du surréalisme. André Breton et ses collaborateurs ont distingué des figures comme le "Moine" Matthew Gregory Lewis, Gérard de Nerval, Arthur Young, Lautréamont, Rimbaud et Baudelaire comme ancêtres. L'exotisme avait une valeur positive aux yeux de Breton, comme le remarque le Manifeste : "Chateaubriand est surréaliste dans son exotisme". Cependant, au moment où il était sur le point de réaliser l'ébauche du Second Manifeste du Surréalisme en 1930, Breton s'est arrangé pour critiquer les avatars littéraires du mouvement précédent, en épargnant Lautréamont. Breton espérait alors libérer le mouvement de l'ombre littéraire des morts sacrés. Cependant, dans cette abracadabrantesque polémique excommunatoire, Breton invoqua l'exemple de l'alchimiste du XIVe siècle Nicholas Flamel en tant que précurseur de la peinture surréaliste et présenta le surréalisme comme la poursuite de l'oeuvre des philosophes hermétiques et cabalistes. Le surréaliste était engagé dans une quête initiatique pour la pierre philosophale.
L'intérêt croissant de Breton pour l'occulte et la mystique a dû être stimulé par ses relations tendues et finalement infructueuses, aux alentours de cette période, avec René Daumal et le groupe associé à la revue Le Grand Jeu. Daumal et ses alliés étaient experts en drogues et privation de sommeil, ainsi que dans l'étude des textes mystiques orientaux. Daumal était un étudiant sérieux de sanskrit et de la Vedanta, et son étrange roman, inachevé et posthume, Le Mont Analogue, publié en 1952, est sans conteste inspiré des disciplines bouddhistes et hindous, ainsi que des enseignements de Gurdjieff. Cependant, il a dû être également inspiré par l'allégorie soufi du XIIIe siècle de Farid Al-Din Al-Attar, La Conférence des Oiseaux, ainsi que des légendes soufis sur le Kaf, la Montagne Cosmique. Il semble également plausible que c'est au travers de la lecture des notes de lecture présentées dans Le Grand Jeu que Breton s'est familiarisé avec l'oeuvre de René Guénon, aussi connu sous le nom de 'Abd Al-Wahid Yahya, converti à l'Islam et soufi Shadhili. Dans Sur le Surréalisme et ses travaux actuels (1953), Breton devait citer avec approbation Les Etats multiples de l'Etre de Guénon ainsi que l'attaque de ce dernier contre l'idée que la manifestation de l'humanité avait existentiellement un statut privilégié, plutôt que de n'être qu'une forme de manifestation parmi les autres. Guénon et Breton partageaient une même fascination pour les initiations secrètes, les plus hauts états de l'être et la résolution alchimique des opposés. Cependant, dans la mesure où Guénon était un élitiste notoire, un conservateur, un opposant de l'art moderne et du modernisme, critiquant l'Occident pour sa culture de masse, son rationalisme et ses cultes idiots de l'individualisme et de la démocratie, la conjonction de Guénon et Breton, le soi-disant révolutionnaire trostkyste, a quelque chose de l'étrange beauté du hasard de la rencontre entre une machine à coudre et un parapluie sur une table de dissection.
L'Orient, et l'Egypte plus particulièrement, fut un peu lent à répondre à l'appel d'Aragon. La vague surréaliste en Egypte a été recensée par 'Abd Al-Qadir Al-Janabi, dans un pamphlet d'une minceur tout à fait significative, Le Nil du Surréalisme : les activités surréalistes en Egypte 1936-1952 (imprimé en 1991, prétendument à Arabie sur Seine). Janabi commença par citer une lettre envoyée par André Breton à Georges Henein en 1936 : "Le lutin du pervers, comme il daigne m'apparaître, semble avoir une aile ici, l'autre en Egypte". Henein était un "spécialiste de l'insolence". Il avait découvert le surréalisme lorsqu'il étudiait à Paris, et bien qu'il écrivît parfois en arabe, il a surtout publié en français. Henein et son principal collaborateur, Ramses Yunan, étaient tous deux issus de familles chrétiennes, et le mouvement surréaliste qu'ils animaient était avant tout littéraire et vaguement révolutionnaire dans ses objectifs. C'était également un mouvement séculier tourné vers l'Occident. Pour Henein et ses collaborateurs, la littérature arabe devait être libérée des modèles coraniques. Quand André Breton mourut à Paris, le poète libanais Unsi Al-Hajj, écrivit que "le roi des djinns est mort à Paris". A ce moment, Henein était lui-même en exil en France, depuis qu'en 1952 les officiers de l'armée égyptienne avaient déposé le roi Farouk, et bien que les surréalistes égyptiens aient soutenus le coup d'Etat, le régime de Nasser ne voulait pas tolérer le version surréaliste de la révolution. L'âge libéral d'effervescence illusoire était passé. Quelques heures avant sa mort en 1973, Henein dit à sa femme que "les bébés éléphants meurent seuls". L'année précédent la publication du Nil du Surréalisme, 'Abd Al-Qadir Al-Janabi publia Ma'arik min 'Ajl Al-Raghbah Al-Ibaahiyyah (Batailles au nom de l'envie d'anarchie, Cologne, 1990). La couverture représente une femme nue caressant un pistolet, qui semble être sur le point de se transformer en robinet. La quatrième de couverture cite Adorno sur la condition de l'exil. Entre les deux couvertures, certains y trouvent une sélection de textes libérateurs de sources variées, telles que Lewis Caroll, Karl Marx, Arthur Rimbaud, Antonin Artaud et Octavio Paz, ainsi que Yunan, Henein, et un assortiment de surréalistes arabes et de leurs compagnons de voyage.
Ce que les essais de Janabi et diverses autres études sur le modernisme au Moyen-Orient suggèrent, est que le surréalisme turc et arabe fut en tout premier lieu un mouvement littéraire (bien qu'il y ait eu, bien entendu, des peintres, dont le plus notable fut l'égyptienne Joyce Mansour). Bien plus, le surréalisme fut en grande partie une importation de l'Occident, avec un arbre généalogique de poètes et romanciers européens. En 1992, cependant, le poète syro-libanais Adonis présenta le surréalisme dans un contexte arabo-islamique renouvelé.
Mais faisons tout d'abord une longue disgression sur la manière dont Adonis choisit son nom. Breton avait l'habitude de citer la célèbre étude de Sir James Frazer sur la magie et la religion, Le Rameau doré, en soutien à l'affirmation surréaliste qui voulait que la pratique de la magie a été une force libératrice dans l'histoire : "la magie a contribué à l'émancipation de la nature humaine... et l'a élevé à une perspective plus large et libre, avec une vision plus profonde du monde.. nous sommes obligés d'admettre que si l'art africain a fait beaucoup de mal, il a aussi été à l'origine de beaucoup de bien, et si la magie est fille de l'erreur, alors elle est mère de la liberté et de la vérité." Beaucoup de poètes arabes ont pris connaissance des thèmes frazériens de la terre dévastée et du dieu mourant, au travers de leurs lectures de T. S. Eliot et, à travers lui, de l'excentrique Du rite à la romance (1920) de Jessie L. Weston. Finalement, le chapitre Adonis-Tammuz dans Le Rameau doré a été traduit en arabe par Jabra Ibrahim Jabra. Jabra (1920-1994), un palestinien exilé en Iraq, a été fortement influencé par Breton et fut un auteur remarqué de nombreux travaux de prose et de poésie, comprenant la comédie absurde Al Churaf Al-Ukhra (Autres pièces, 1986).
Les intellectuels et politiciens syriens et libanais qui ont lu Le Rameau doré ont eu tendance à en retirer un message différent de celui découvert par Breton. Dans son chapitre sur l'ancien culte d'Adonis au Levant, Frazer avait écrit que "année après année, les demoiselles syriennes ont pleuré sur son destin ultime, alors que l'anémone rouge, sa fleur, fleurissait parmi les cèdres du Liban, et la rivière coulait rouge dans la mer, frangeant les côtes sinueuses de la Méditerranée bleue, quand bien même le vent souffle sur la côte, avec une bande sinueuse de cramoisi". Au XXe siècle, le destin du dieu-berger, sa mort alors qu'il chassait, sa descente vers les mondes souterrains de Perséphone et son retour à la vie à chaque printemps devait devenir un symbole d'espoir pour le groupe des nationalistes syriens qui ont vu dans le sacrifice du sang la régénération de leur terre dévastée. L'héritage syrien de la mythologie pré-islamique devait jouer un rôle majeur dans les écrits et les discours de Antun Sa'ada, le fondateur et chef charismatique du Parti National Syrien. Le Parti National Syrien, qui a été fondé en 1932, avait certaines affinités (bien que pas particulièrement sinistres) avec le Parti nazi allemand. "Liberté, Devoir, Discipline et Pouvoir" étaient ses maîtres-mots. Sa'ada insista sur le caractère sacré du sol syrien, la grandeur de son histoire et le message inspirateur de sa mythologie. Il envisageait l'établissement d'une Grande Syrie qui devrait inclure dans ses frontières, non seulement la Syrie, sous sa forme actuelle, mais également le Liban, la Palestine, l'Iraq, le Koweït et Chypre.
Sa'ada était aussi un critique littéraire influent et un polémiste à l'encontre des formes poétiques obsolètes et, d'après ce que l'on dit, ce fut lui qui donna au poète 'Ali Ahmad Sa'id son nouveau nom de "Adonis". Né en 1930, 'Ali Ahmad Sa'id était issu de la minorité alaouite et avait grandi dans un village de montagne dans la région de Lattakia. Enfant, il avait étudié le Coran et les grands poètes arabes classiques, et il avait l'habitude d'écouter les anciens du village réciter de la poésie soufi. Jeune homme, Adonis tomba sous le charme de Sa'ada. Quand Sa'ada fut exécuté sommairement par le gouvernement libanais en 1949, Adonis compara son sacrifice à celui de Tammuz (le dieu martyr des babyloniens qui est devenu l'Adonis des Grecs). La comparaison faite par le poète impliquait le retour, sous une forme ou une autre, de Sa'ada, le héros décapité. Plus tard, cependant, Adonis devait rejeter la mystique et la version chargée de mythologie du nationalisme syrien de Sa'ada, en faveur du pan-arabisme : "l'existence arabe et la destinée arabe complètent ma réalité, pas seulement en tant que poète, mais également en tant qu'homme... Nous n'avons pas d'identité hors de l'identité arabe ". Les désastres successifs qui arrivèrent à la Palestine ont amené Adonis à adopter des positions beaucoup plus radicales et anti-occidentales à beaucoup d'égards. Adonis est indubitablement l'un des poètes arabes majeurs de ce siècle. Outre ses recueils variés de poésie, dont le plus notable est Afghani Mihyar Al-Dimashqi (Chansons de Mihyar le Damascène, 1961), il fonda, en 1956, en collaboration avec le poète Yusuf Al-Khal, le magazine littéraire Shi'r et plus tard, en 1968, Mawaqif, le plus important débouché pour la poésie expérimentale dans le monde arabe. Il a également composé des écrits majeurs de prose réaliste. Dans Sadmat Al-Hadatha (Le Choc de la Modernité, 1978), il soutient que la sujétion actuelle du monde arabe à la technologie occidentale, associée aux oeillères islamiques, étaient la pire de toutes les options. La modernité réelle implique davantage que la possession d'un réfrigérateur ou d'un ordinateur, cela nécessite des changements d'attitudes mentales. Dans son brillant ouvrage Al-Shi'riyya Al-Arabiyya (1985), il présenta des poètes arabes classiques, tels que Abu Tammam, comme les modernisateurs expérimentaux du Moyen-Age, et il réfléchit sur la manière dont il était venu à la lecture de Abu Tammam au travers de sa lecture de Mallarmé, et à Abu Nuwwas par celle de Rimbaud. Néanmoins, la poésie arabe était essentiellement autonome. Elle n'était ni sensiblement influencée par l'Occident, ni appréciable par quelqu'un qui ne possédait pas un arabe courant.
Dans les cours qu'il donna à Avila en 1989 et dans un ouvrage subséquent, Al Suffiyya wa Al-Surriyaliyya (Soufisme et Surréalisme, 1992), Adonis poussa cet argument un peu plus loin. Ayant posé les principes du surréalisme pour un public arabe, il alla jusqu'à dire que le soufisme et le surréalisme avaient une origine et des objectifs communs. Dans l'introduction de l'ouvrage, il concéda que le lien étrange établi par son titre pourrait provoquer une hostilité critique, dès lors que le second des deux pouvait être pris pour un assemblage blasphématoire de l'autre monde et de l'athéisme. Cependant, il poussa la provocation jusqu'à suggérer que l'athéisme n'implique pas nécessairement le rejet du soufisme, par peur que le soufisme ne requiert nécessairement une foi dans la religion comme elle est traditionnellement interprétée. Soufistes et surréalistes étaient engagés dans des quêtes parallèles du caché de l'existence. Les deux mouvements cherchent à résoudre les contradictions sur un plan supérieur. La dérégulation des sens et la folie sacrée devaient servir comme formes d'initiation vers une plus grande compréhension. Le mystique andalou du XIIIe siècle Ibn Al-Arabi et André Breton partageaient non seulement un culte mystique de la femme, mais expérimentèrent aussi tous deux l'écriture automatique. Tous deux appelaient au développement d'un métalangage. Adonis cita en sa faveur Le Second Manifeste du Surréalisme et les liens qu'il avait établi avec l'alchimie. Le soufisme n'était pas seulement un corps mort de doctrine religieuse et le surréalisme n'était pas seulement une école de peinture. Les deux mouvements étaient tous deux des champs d'expérimentation et d'exploration.
Adonis discuta naturellement des poétiques de Rimbaud et des déclarations de Breton, et sa bibliographie amena ses lecteurs à Georges Bataille, Walter Benjamin, René Callois, Daumal, Maurice Nadeau et d'autres. Cependant, ce qui était original dans son livre était sa discussion à propos du soufisme comme forme de surréalisme avant le surréalisme. Des mystiques médiévaux tels que Al-Niffari, Al-Hallaj, Al-Shibli et Al-Ghazali figurent dans le panthéon proto-surréaliste. Bien que (ou parce que ?) Al-Niffari était un soufi relativement obscur du 10ème siècle, Adonis lui consacra un chapitre spécial intitulé Le livre de Al-Niffari, ou le treillis de la Pensée. Kitab Al-Mawaqif (Le livre des positionnements) de Al-Niffari était un compte-rendu énigmatique des occasions lors desquelles Dieu demeura près du mystique et lui dit des choses, s'adressant à Al-Niffari comme s'il était une femme et l'instruisant sur a manière de passer de la vision monotone du soufisme ordinaire à la contemplation de Dieu : "Et j'ai vu la Crainte se tenir au loin au dessus de l'Espoir; Et j'ai vu les Riches se tourner vers le feu et devenir le feu; Et j'ai vu la pauvreté comme un adversaire apportant des preuves; Et j'ai vu toute chose; Qui n'avait de pouvoir sur aucune autre; Et j'ai vu ce monde n'être qu'une illusion; Et j'ai vu que les cieux n'étaient qu'une déception."
Il est possible que la revue libanaise de poésie expérimentale Al-Mawaqqif ait emprunté ce titre à Al-Niffari.
Il y a plus dans Al-Sufiyya wa Al-Surriyyaliyya que ce à quoi on puisse jamais faire allusion ici. A l'encontre d'Adonis, on peut soutenir que les soufis ont traditionnellement tendu à être quiétistes et conservateurs, plus que d'en appeler à la révolution qu'il recherche. Sa vision des soufis en tant que libérateurs et conquérants de l'imaginative est sélective. D'un autre côté, la majeure partie de la littérature académique sur le soufisme, et à ce propos sur le surréalisme également, est monotone d'hébêtement, alors que Adonis traite des deux mouvements comme forces vives pour le changement dans le monde.
Robert Irwin,
15 janvier 1992
Le chant
ouvre des espaces
En dehors de lespace.
*
Où
Nous mènera le chant
Sinon dans l'ailleurs
D'ici-même
Et d'on ne sait où?
*
Quand le chant
Se chante lui-même,
Il nous occupe tout.
*
A vivre le chant
On gagne
Sur l'effondrement.
*
Le chant veut toucher
Un terminus
Qui n'existe pas.
*
Le chant
Ne contourne pas.
Il affronte
*
Mêlez votre chant
Au chant de l'azur
Ou faites-les
Se battre —
Vous connaîtrez
Votre force.
*
Est-ce que le chant
D'un oiseau
Aide un autre oiseau
A trouver son chant?
*
Un chant
Qui de temps en temps
Laisse perler
Des gouttes
D'inavouable
Renoncement
*
Tout ce que l'on peut
Pardonner au temps
C'est d'accompagner le chant
*
Si le chant
N'épouse pas le silence,
Alors il n'est pas.
*
Peux-tu parler du chant
Toi qui mets le silence
Au dessus de tout?
Oui, seul
Peut apprécier le chant
Celui qui confie
Sa joie au silence.
Seul celui-là
Sait peser le chant.
Eugène Guillevic,
15 janvier 1992
Adonis : voilà des sons qui, en arabe, s'entendent étranges : le poète les emprunte pour abolir les familiers 'Ali Ahmad Sa'îd, don de son milieu pour sa personne, enchaînant trois patronymes rayonnants de sens. Comme tout nom arabe, ils gardent vive l'empreinte de la racine dont ils dérivent. Les noms ne se séparent pas du sens, en arabe; ils ne subissent pas de déformations spectaculaires qui réclameraient l'enquête étymologique.
'Ali Ahmad Sa'îd sont vocables qui convoquent des qualités et des états : on y reconnait l'élévation, la louange, le bonheur. Ce sont noms qui s'impriment limpides sur le miroir du sens. Et qui, de surcroît, renvoient aux figures centrales de la représentation islamique. 'Ali se confond avec le premier imam, sanctifié par les Chi'ites, vénéré par les Sunnites, qui repèrent en lui un des quatre guides de l'Etat originel, sublimé en modèle. Ahmad, le plus loué, est un des noms du prophète, que le Coran propose.
Qu'un corps porte ensemble le nom du prophète, qui scelle la Loi, et le nom de l'immam, qui en ouvre l'exercice; que dans une personne soient agglomérés le nom de l'élu, sur qui est descendu le Livre, et le nom du proche inspiré, à qui échoit le privilège de l'interprétation; qu'un individu soit investi par la double métaphore du noyau, qui condense la lettre, et de l'huile, où se dilue la glose, n'est pas procédure exceptionnelle chez les gens de l'Islam.
Destituer un tel nom et le barrer à la faveur d'un nom étranger à la langue et au mythe qu'elle transmet, voilà qui est inaugural. Apposant son étrangeté au sein de la langue, Adonis devient un vrai nom : forme pure, il est d'emblée aveugle au sens. Il possède des références que la mémoire de la langue ne gère pas. Pour l'expliciter, il faut déborder la morphologie de l'arabe. Il faut entrer dans l'inconnu. Adonis, d'évidence, confronte l'arabe avec ses langues soeurs. C'est un vestige sémitique que l'arabe n'a pas retenu. Il résonne, par exemple, près de l'hébraïque Adonaï, Seigneur. La perte du sens immédiat oblige à reconstituer l'histoire de la forme, à partir des traces qu'elle contient.
Avec le nom d'Adonis, le poète ne quitte pas le champ du sacré et du mythe. Il troque une croyance encore active — malgré sa sclérose — par une légende morte, qui n'est plus intériorisée comme telle, mais qui s'éclaire comme acquis culturel dédramatisé. C'est un choix qui invite à apprécier l'inouï, à sortir de sa demeure, à visiter d'autres lieux, à fréquenter d'autres images. un tel nom semble dire : Non, la culture ne commence pas et ne finit pas dans le monothéisme. Lever l'implicite qui interdit la référence au signe antique : voilà en quoi le nom Adonis devient l'emblême par quoi le poète élargit l'horizon culturel de sa langue, et renouvelle sa mémoire.
La lecture de Frazer a contribué à rendre la mythologie classique présente à la conscience poétique des Arabes d'Orient, parmi lesquels certains découvrirent que divers mythes sont nationaux. Tel Adonis, qui est un dieu syrien. Choisir le nom d'un dieu parmi les dieux, et le traduire en graphie arabe, c'est d'abord porter atteinte au culte de l'Un, c'est ensuite restaurer des gloires ruinées et oubliées, bien qu'elles aient appartenu au même sol. Adonis est le dieu de la mort et de la résurrection. Et le poète, qui lui emprunte le nom, meurt au nom qu'il n'a pas choisi et à l'héritage de culture et de croyance qu'il colporte, pour renaître à lui-même dans la sortie et le franchissement des frontières, à arpenter l'étrangeté antique et moderne. manière de façonner sa propre forme telle qu'on la conçoit, et de retourner à sa langue, et d'ajouter un écrit neuf dans la réserve de son corpus.
La traduction du nom invoque l'entrée dans sa langue d'oeuvres écrites en d'autres langues; afin de ranimer sa propre langue par l'apport du génie étranger. Telle démarche n'est pas coutumière en langue arabe. A rappeler que le phénomène historique des traductions en arabe a concerné les textes scientifiques et philosophiques, pour ainsi dire pas la création littéraire; surtout si elle est poétique, elle sera réputée intraduisible, intransmissible. Cette vérité n'aura pas permis à la littérature arabe de se frotter avec des genres ou des inspirations étrangers, du moins jusqu'à l'âge moderne, lequel a eu une conception naïve et technique de la traduction, qui fût si peu féconde. La traduction ne concerne pas le seul transport des oeuvres d'une langue à l'autre. Réduite à cet exercice, elle ne pourrait éviter la perte qu'ele instaure. Elle serait autrement plus agissante si son esprit était intégré à l'écriture même. Alors, la poète aura l'audace de confronter son invention avec celle qui brille en d'autres langues. Ajoutez à cela que la traduction est aussi interne à la langue. Comment écrire, dans le cas du poète Adonis, en arabe ? Comment rester dans le "cela qui dépasse", sans marcher avec Dieu qui, dans ses formes islamiques, arpente absolument la langue arabe ? Traduire, voilà la solution. Comme Adonis perpétue l'expérience de l'invisible, pour signifier que nous ne sommes plus en théologie, le poète traduit le classique "ghayb" (invisible, mystère, absence) à travers le néologisme "al-Lâ mar'iy", qui désigne désormais l'invisible propre à l'expérience moderne, esthétique et poétique.
Ainsi, le choix irréfléchi du nom, neuve parure dans la langue, aura annoncé une démarche poétique qui fonde son écriture sur le principe de la traduction, qui aura permis au poète de s'approprier l'antiquité méditerranéenne; de confronter les grandes ruptures poétiques de l'Europe moderne; de redéployer la tradition poétique arabe, envisagée d'après la personnalisation aiguë de l'être face à l'excès et aux limites, tant dans l'inspiration profane qu'à travers l'expérience mystique, et, selon l'exigence de l'unité formelle en accord avec l'éloge de l'obscur.
Abdelwahab Meddeb,
15 janvier 1992
Sur les terres où naquit Adonis, ces terres vouées à la mort des dieux et à leur résurrection dans le sang des fleurs et des humains, où histoire et éternité font un étrange mais indissoluble ménage, il y eut d'abord le cri des ancêtres et des prophètes reconnus et revendiqués, ceux qui font partie de la tribu réelle d'Adonis, Hallâj, Abû Nuwâs, Bashshâr et puis les chemins du présent où le poète, l'errant Mihyar / Adonis improvise ses pas et ses mots.
Cette terre, ce pays sont faits de brûlures et d'ombres, de villages poussiéreux et de fleuves impassibles et de milliers de silhouettes en attente, immobiles et désoeuvrées ou errantes et obstinées, tous les laissés pour compte, tous les déshérités des terres pauvres. Là est la véritable patrie d'Adonis, dans ces visages "qui se déssèchent sous les masques du chagrin", ces routes "sur lesquelles il a oublié ses larmes" et "l'enfant vendu pour prier et pour cirer les souliers". Alors, en cette patrie si mouvante, si charnelle, si précieuse, en ce royaume infertile mais si chargé de beauté profanée, on comprend que les armes et les mots du poète ne puissent être faits de certitudes, de slogans, de références ni de dogmes. L'homme qui parle, murmure, chante, s'inquiète ou se révolte dans le Chant de Mihyar le Damascène (et cet épithète: Damascène n'est là peut-être que par dérision car la terre où l'on meurt est bien plus essentielle que celle où l'on est né), cet homme est le contraire d'un rhapsode, d'un porte-parole ou d'un chargé de mission poétique. Tout ce qu'il est, tout ce qu'il dit porte la trace de la poussière substantielle du monde, et du questionnement perpétuel. Il inscrit ses paroles sur les chemins toujours improvisés de la lumière, il est "le chevalier d'étranges paroles", l'errant "qui a pour seule patrie l'incertitude", l'homme sans ancêtres et sans lignée dont "les racines sont dans ses pas", celui qui est délivré de l'absurde malédiction des fautes originelles mais qui porte en lui le fardeau du monde à venir, du monde à inventer par les pas et les mots. Parce que sa patrie demeure toujours inachevée, il devient "le semeur de doutes", un "charmeur de poussière", le "roi des vents", qui vit non pas dans la lumière assurée du présent mais "dans le sein d'un soleil à venir", qui parle une langue "qui est celle d'un dieu à venir", qui "habite l'horizon", et qui, pour arme, n'a que l'herbe. On comprend alors qu'au coeur de ce pays qui se veut devenir perpétuel, le refus soit l'évangile du poète. De ce refus, qui porte autant sur l'histoire et l'ancestralité que sur les conventions ou les contraintes de la langue, le poète tire la force et la substance de son oeuvre. si bien qu'il construit à mesure sa véritable identité, nullement acquise une fois pour toutes mais toujours en état de gravidité. Car l'identité, ce n'est pas seulement ce qui a été dit et donné mais ce qui n'a pas encore été dit et donné, c'est ce qu'on a devant soi, non derrière soi, c'est "ce qui paraît toujours projeté vers l'avant, provenir du futur". Il faut à mon sens beaucoup de courage pour écrire cela aujourd'hui, en un temps où la recherche obstinée de l'identité se confond avec la revendication particulière du passé, des racines. Le chemin d'Adonis où il improvise ses pas tout en édifiant l'identité future, a la force, la beauté, et la hardiesse immaculée d'une vérité virtuelle.
Le pays d'Adonis est le plus vieux et le plus neuf qui soit. N'oublions pas que la Syrie, l'ancienne Phénicie, était la terre du phénix, l'oiseau qui renaît de ses cendres et celle du dieu Adonis, le dieu qui renaît de son sang. Etrange terre, enclose entre la poussière et la résurrection, où se dessine le royaume ingravé qu'habite déjà le Damascène. Ce pays est, dans les deux sens de ce mot, le présent majeur du poète à ses contemporains. A ce qu'un des amis libanais d'Adonis, le poète Georges Schéhadé appelait, d'une image si forte, "la poussière savoureuse des hommes".
Jacques Lacarrière,
15 janvier 1992
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